jeudi 29 mai 2014

Immortelle randonnée de Jean-Christophe Ruffin



Lorsque comme moi on ne sait rien de Compostelle avant de partir, on imagine un vieux chemin courant dans les herbes, et des pèlerins plus ou moins solitaires qui l'entretiennent en y laissant l'empreinte de leurs pas; erreur grossière, que l'on corrige bien vite lorsqu'on va chercher la fameuse credencial, document obligatoire pour accéder aux refuges pour pèlerins. Toute une organisation se cache derrière le vieux chemin, des associations, des publications, des guides, des permanences spécialisées; le chemin est un réseau, une confrérie, une internationale. Le chemin est une alchimie du temps sur l'âme. C'est la raison pour laquelle vers Compostelle , l'essentiel n'est pas le point d'arrivée commun à tous, mais le point de départ; c'est lui qui fixe la hiérarchie subtile qui s'établit entre les pèlerins. Quand deux marcheurs se rencontrent ils ne se demandent pas " Où vas-tu ?" la réponse est évidente ni "Qui es-tu?" car sur le chemin on n'est plus rien d'autre qu'un pauvre Jacquet, la question qu'ils posent est " D'où es-tu parti?" et la réponse permet immédiatement de savoir à qui l'on a affaire. Je partis donc vers Compostelle en suivant le chemin du nord, Hendaye  est certainement une très belle ville mais je mis la cap rapidement sur le pont de Santiago, un ouvrage autoroutier qui enjambe la Bidassou et conduit en Espagne. Mes émois de pèlerin novice étaient puissants, j'avais envie de chanter, il me semblait que d'ici peu, j'allais croiser des chevaliers, car le chemin est plein de contraste et donne régulièrement  des élans d'imagination, il se charge de mettre si j'ose dire le pèlerin au pas, très vite reviennent les murs en parpaings, les potagers, l'exaltation retombe immédiatement le chemin est un chemin voilà tout, il monte, il descend, il glisse, il donne soif, il est bien où mal indiqué, il longe des routes c'est un long ruban d'efforts, une tranche du monde ordinaire, une épreuve pour le corps et l'esprit,il faudra batailler rude pour y remettre un peu de merveilleux. Les marques Jacquaires sont de plusieurs types et le pèlerin apprends vite à les repérer, ces balises ont pris désormais un aspect moderne fond bleu du même ton que le drapeau européen, coquille stylisée formée de lignes en éventail qui se rassemblent en un point, parfois à l'entrée d'une ville ou au voisinage d'un grand axe.La marcheur au bout de quelques heures, prend conscience d'une autre présence: celle de son corps, cet outil d'ordinaire silencieux commence à grincer, la peau qui d'ordinaire sait pourtant se faire oublier se rappellera au bon souvenir du marcheur à tous les endroits où quelque chose gonfle, frotte, irrite, troue.Le sac à dos, auquel les Espagnols donnent le joli nom de mochila est devenu pour moi comme pour tout les Jacquets le compagnon de chaque instant, mais à chaque étape je considérai son poids, les objets que je transportais étaient-ils indispensables? le pèlerin lancé dans un tel examen à deux solutions, les poubelles et les bureaux de poste c'est ainsi que j'ai trouvé en rentrant chez moi  plusieurs objets que je m'étais envoyé .Lago est proche du terme du voyage il reste peu d'étape jusqu'à Saint Jacques et le chemin rejoint sur ce dernier tronçon le fameux Camino Frances, l'autoroute des pèlerins, sur le chemin français l'environnement s'est adapté à eux, des publicités leurs sont destinées, des lieux de ravitaillements ou d'hébergements, des boutiques vivent de cette clientèle nombreuses; dans ces régions pauvres,ils ont su tirer parti de la présence des pèlerins. Lavacolla comme son nom l'indique est le lieu où les pèlerins sur le point d'atteindre le sanctuaire procédaient jadis à de grandes ablutions.
Après les ruisseaux de Lavacolla le chemin monte doucement dans les eucalyptus. La prochaine étape annoncée, plus lointaine qu'on ne croit est le célèbre Monte del Gozo, c'est le mont de la joie, parce qu'à son sommet, on découvre au loin les toits rouge de Compostelle.
Compostelle n'est plus la simple grotte au fond de laquelle ont été découverte des reliques. C'est une métropole d'aujourd'hui, ses grandes surfaces et ses voies rapides, arriver à Santiago ce n'est pas rejoindre les temps antiques mais au contraire revenir brutalement et définitivement au présent.
Le pèlerin marcheur et surtout s'il vient de loin, se sent plus seul et plus étranger que jamais dans ces boyaux touristiques, car la foule qu'il croise et qui se reconnait elle aussi dans l'apôtre ne lui ressemble guère.
Dans la vieille maison ou l'on demande la Compostella, les pèlerins se retrouvent entre eux, là, plus de touristes, mais de vrais Jacquets. L'employé qui le délivre déplie devant elle le Credancial du pèlerin sur laquelle, rangés sagement dans leurs cases se dispose la troupe bariolé des tampons, ce que chacun de ces timbres représentes de sueurs et de pas, de froid et de faim, le marcheur est le seul à le savoir.
Finalement c'est en le tenant à la main que l'on remonte vers la place de la basilique. La tradition veut que chaque pèlerin entoure le saint des ses bras et lui donne par derrière l'abrazo, une sorte d'accolade rituelle, pour une raison qui m'échappe je n'ai pu m'y résoudre, je n'étais pas venue embrasser une idole en or, fut elle sculptée a l'image d'un apôtre.
La grand messe des pèlerins est véritablement un moment de communion, c'est un creuset qui fait fondre les différences, les parcours, les épreuves de chacun pour en faire, le temps d'une oraison un bel alliage au son pur. Je réussis a me caler derrière une large colonne, enfin le tonnerre des orgues retentit, commence alors une messe grandiose, coloré par des lectures en diverses langues européenne, des chants puissants étaient amorcés par un religieuse a la voix d'ange, et repris par la foule dans une unité dont on ne l'aurait pas cru capable, j'assistais au fameux allumage du botafumeiro, il s'agit d'un encensoir géant, une grosse marmite d'argent suspendu par une immense corde, remplie de myrrhe et d'encens.
Pendant plusieurs mois après mon retour, j'ai étendus la réflexion sur mes peurs à ,toute ma vie, j'ai éliminé beaucoup d'objets, de projets, de contraintes j'ai essayé de m’alléger et de pouvoir soulever avec moins d'efforts la mochila de mon existence.    

jeudi 8 mai 2014

Le monde comme il me parle d'Olivier de Kersauson


"J'ai toujours presque par philosophie choisi dans ma vie la route la plus difficile, la voie la plus dure construit, la facilité c'est l'impasse. Olivier nous parle de sa voie qui est la navigation depuis son service militaire en 1967 sur la goélette  Pen Duick III  de 19 mètres au côté du capitaine  Tabarly son destin est lié à la mer ;après son service il continuera à  naviguer avec ce grand navigateur qui lui a tout appris jusqu'en 1975 il fera  plusieurs courses  sur diverses embarcations Pen Duick IV ( 21 mètres), Ketch Pen Duik III  Pen Duick VI (23 mètres) a représenté un grand tournant dans le monde maritime " je me souviens que lorsqu'on est arrivé avec Eric sur ce bateau en Amérique tout le monde ( le Yacht Club de Los Angeles  nous riaient au nez, mais  quand ils sont partis faire Los Angeles Honolulu  nous partions après eux et nous arrivions deux jours avant;  personne à l'époque ne connaissait de multicoques avec ces capacités là avec un meilleur cap qu'eux à 5 noeud de plus . Puis tout seul en 1976 il naviguera  sur son Ketch Kriter II (25 mètres) plusieurs courses  sur la mer jusqu'en 2008  convoyage de Géronimo à bord du trimaran Océan Alchimist  quand il est sur la mer il  se sent chez lui où plutôt chez elle. " J'ai choisi la mer car j'aime la solitude ,car on ne fait pas  appel au vocabulaire on se parle à soi-même en silence , en mer  je retrouve ma langue maternelle : le silence, je n'ai jamais vécu dans le schéma des envies et  des besoins, le dépouillement ça me va, le confort pour moi est à la limite de la vulgarité; jeune j'ai compris que de l'argent j'en trouverai toujours, mais que le temps on ne pouvait l'acheter, on peut faire de l'argent, mais pas du temps il faut un peu d'argent pour que les autres ne s'essuient pas les pieds sur vous, l'argent est un outil il sert à faire quelque chose pas à être quelqu'un. Quand j'ai commencé de naviguer on lisait le ciel et , maintenant on lit les cartes sur ordinateur le monde de course a plus évolué sur les quarante dernières années que sur un siècle, aujourd'hui  avant de partir faire le tour du monde je peux facilement avoir une idée précise du temps qu'aura travaillé chaque voile sur l'intégralité du parcours ce.qui m'a toujours sidéré, chez l'être humain c'est le manque de cohérence entre ce qu'il pense et ce qu'il fait ,quand les gens ne sont pas cohérents, je les évite je suis immédiatement mal à l'aise. Nos contemporains n'ont plus de pensée, mais ils ont des avis, l'avis étant le raccourci de la pensée c'est un jugement hâtif prononcé sur quelques chose qu'on ne connaît pas, aujourd'hui on vit entouré d'avis,c'est de la tchatche! . Il faut comprendre que bon nombre de politiques français qui sollicitent notre vote sont des types qui n'ont jamais réellement travaillé, hallucinant,ils n'ont jamais mis les pieds dans une entreprise, ils ont bossé dans l'administration mais n'ont jamais rien géré, ils n'ont jamais été responsable de leur travail et ce sont les mêmes qui parlent de l'économie, de la vie, c'est le monde de l'imposture, leurs propositions ne m'intéressent pas; je n'ai pas de temps à leur accorder; leur seul savoir faire est dans le faire savoir. Ceux qui n'ont pas un sens du devoir sont souvent inintéressants.Vivre est un privilège ce n'est pas un dû, la conscience de notre privilège doit engendrer un comportement , il faut comprendre ce qu'on vit et ce qu'on est, il s'agit de piloter sa vie, comme en mer il y a une réalité en face de nous et, en fonction de cette réalité, nos choix nous conduisent à une tactique. A travers ce livre Olivier de Kersauson fait une formidable ode à la mer, à la vie, avec son franc parler, pudique et passionné il nous offre ses aventures et ses élans.