samedi 16 février 2019

Bakhita de Véronique Olmi



Le visage de sa mère devait être beau, puisqu'elle était belle, sa mère devait être grande, les pommettes hautes, le front large, et les yeux noirs, avec cette lueur bleue comme une étoile plantée au milieu. Comme elle, elle sentait le mil grillé, le sucre amer de la sueur, et le lait ; des onze enfants que sa mère avait mis au monde, quatre étaient morts, deux avaient été enlevés. Elle à cinq ans environ, et c'est la fin du monde, cet après-midi là porte une lumière qui n'est jamais revenue dans son village, les petits jouent à l'ombre du grand baobab, et l'arbre est comme une personne de confiance; il est le centre et l'ancêtre, l'ombre et le repère , les vieux dorment à cette heure du jour, les hommes ramassent les pastèques dans les champs, à la sortie du village les femmes battent le sorgho; c'est la musique tranquille d'un village paisible, une image de paradis perdu qu'elle gardera pour se persuader que ça à exister. Elle vient de là, le lieu de l'innocence massacrée ; cet après-midi là les ravisseurs étaient arrivés au galop avec le feu, les fusils, les chaînes, les fourches et les chevaux et ils ont pris tout ce qu'ils pouvaient, les jeunes surtout, les garçons pour les armées, les filles pour le plaisir et la domesticité, le village reste en désordre plusieurs jours, sa mère la secoue, l'embrasse, la repousse elle lui crie " Dis moi ce que tu as vu !"mais elle reste muette, sa mère sait ce qui s'est passée, elle même est née dans la guerre, elle connait l'organisation de l'esclavage, elle sait pourquoi on a enlevé sa fille et à quoi elle vas servir; mais; elle ne bouge pas, elle se tait, son regard à changé,il porte une connaissance nouvelle et elle n'a pas encore les mots pour la transmettre.Les deux années qui ont suivi la razzia , elle pensait qu'elle se marierait , elle aurait des enfants et elle remplirait le vide laissé par la sœur aîné , elle réparerait le malheur, elle à sept ans maintenant ,elle sait que derrière les collines, sa sœur aîné et d'autres enfants disparus, sont devenus des esclaves, elle ne sait pas ce que sait exactement . Un après-midi elle obéit à sa mère qui lui demande d'aller chercher de l'herbe à la sortie du village, elle est avec son amie Sira , elles voient deux hommes et elles ne se méfient pas, ni poudre ni fusils  ni cheval , ce sont deux hommes dont le village n'est pas si éloigné, des voisins, les deux petites sont seules, si jeunes, une petite fille est ce qui se vend le plus cher, ils sourient, ils saluent dans un dialecte pas si éloigné du sien, l'homme demande à Sira de s'éloigner , à elle l'homme dit d'aller dans le sens opposé vers le bananier , il dit qu'il faut aller chercher un paquet, elle ne comprend pas, l'homme qui tenait sa main sur sa hanche sort un poignard et le met contre sa gorges , de son autre main il couvre sa bouche "Si tu crie je te tue !" elle a marché avec eux jusqu'à la nuit, la nuit est arrivée elle étais seule avec les ravisseurs comment raconter ce qu'elle voudrait n'avoir jamais vécu. La marche a duré deux jours et deux nuits ils sont arrivés dans un village, des hommes sont là ils ont l'habitude des enfants volés; depuis toujours, ils ne regardent pas la petite fille, il n'y a ni pitié, ni curiosité, les ravisseurs ouvrent une porte, ils la jette , elle tombe sur une terre dure et gelée, il n'y a pas de jour, à peine une lumière faible par un trou percé en haut du mur, elle reste là longtemps, un mois peut-être, c'est un temps sans rythme,un temps qui ne fait qu'un avec l'angoisse, parfois elle pense quelle va rester là toute sa vie, avec les ravisseurs qui le soir viennent avec un peu de pain et d'eau, et leur violences aussi; elle dort repliée en fœtus, suce son pouce et parfois chante sa chanson "Quand les enfants naissaient de la lionne "en posant sa main sur sa poitrine, sa peau se déchire, les piqûres des cafards et les morsures des souris y dessinent des signes brûlants qu'elle suit avec les doigts. Un matin, un des ravisseur ouvre la porte, il la traîne dehors, et la lumière est comme un couteau, il y a des voix, il y a des hommes, un brouhaha compact, dans une langue qui n'est pas celle de sa tribu ; un instant elle espère que ces hommes sont envoyés par son père, puis elle voit l'argent passer de main en main ,elle est terrifiée , elle écoute et elle comprends quelques mots , qui disent qu'elle a à peut près sept ans, et qu'elle s'appelle Bakhita son nouveau nom signifie" la Chanceuse" elle ne sait pas qu'elle est prise par des négriers musulmans ; ils sont attachés les uns aux autres, les chaînes autour du cou, tous sont nus, comme elle, les gardiens ont des fouets, des fusils, elle entre dans le monde de la violence et de la soumission, depuis quelle a été enlevée elle a beaucoup marché, elle n'essaye plus d'avoir de repère, les montagnes, les dunes , les collines, les plaines , les forêts, dans ces villages traversés parfois des affaires se concluent, ceux qui n'ont pas d'esclaves à vendre, vendent quelqu'un qu'ils ont volés ou bien un membre de leur famille; Bakhita se bouche les oreilles parfois la connaissance du monde est une grande fatigue, mais elle veut retenir des mots arabes, retenir ce qu'elle voit, ce que la misère et la faim font des hommes.A EL Obeid , plusieurs jours durant on leur à donné à boire et à manger, on les a lavés , on a tondu ou tressé leurs cheveux, tué leurs poux, coupé leurs ongles, on les a vêtus d'un pagne, on a mis des pommades sur leurs plaies, de l'huile de palme sous leurs pieds, on leur a faire boire des herbes amères et mâcher des racines terreuses, on leur a permis de dormir, maintenant ils peuvent être vendus et un matin, on les expose sur le grand marché. En fin de journée Bakhita  est achetée par un civil arabe Binach sa copine aussi , ils sortent du marché quittent les souks, l'homme les amène chez lui, elles le suivent à l'étage, la partie réservée aux femmes, et elles entrent dans la chambre des filles du maître Sorahia et Radia  à peine plus âgées qu'elles elles sont contentes Bakhita va vivre aux côtés des petites maîtresses, elles parlent, elles mangent, jouent aux dominos ou aux cartes, Bakhita les évente avec un grand éventail , quand leurs amies viennent les voir elles leurs montrent tout ce que l'esclave sait faire, le petit singe c'est ce qu'elles préfèrent Bakhita pousse des cris aigus, se gratte sous les bras et attrape avec sa bouche ce qu'elles lancent en l'air, parfois elle fait aussi le cheval qui rue et galope et leurs amies montent sur son dos à tour de rôle. Bakhita à dix ans , sa vie au harem va prendre fin, mais elle ne le sait pas encore, un soir Samir, le frère des petites maîtresses  l'appelle, il lui dit approche, à sa voix elle pense qu'il va la battre , elle se jette à ses pieds, elle se prosterne et dit Asfa (pardon) s'il vous plaît ne ma battez pas Asfa il la repousse d'un coup de pied, et elle tombe, il la gifle encore et encore, il prends sa tête dans ses mains et la cogne contre le sol comme s'il voulait la faire exploser, ce qui se passe après le saccage, être battue dehors et dedans, elle le connaît déjà, s'est le gouffre sans fin, sans secours, c'est l'âme et le corps tenus et écrasés ensemble, le crime dont on ne meurt pas, elle rampe pour sortir de la pièce, le maître la suit et la bourre de coup de pied, Sorahia et Radia sont allongées sur leurs matelas, elles mangent, elle leur demande de l'aide Ainaja Ainaja Samir continu de la battre Bakhia est  maintenant comme un jouet cassé, elle reste allongée sur une natte à attendre de survivre, personne ne la soigne, ni lui parle, le jour ou elle peut se lever toute seule, on estime qu'elle peut travailler de nouveau , plus question pour elle de remonter au harem, elle travaille aux cuisine, des mois passant ainsi chacun fait sa journée avec son bouclier d'indifférence, dans la tumulte des ordres et des coups, et un jour le maître l'envoie chercher, il est avec un homme en tenu militaire qui l'examine , et lui demande de courir dans le jardin , l'homme qui la rachetée est un général turc il dirige des armées d'esclaves au service du gouvernement turcs égyptien qui tient le Soudan sous sa loi , dans sa maison règne deux femmes, la mère du général et son épouse; Bakhita sera au service de son épouse, elle va apprendre à la coiffer et à l'habiller s'en jamais la toucher, elle va apprendre à anticiper les ordres, les désirs , à voir venir les coups et à les accepter, les maîtresses parlent turcs, les esclaves l'arabe. Et puis un matin , la femme du général décide avec l'accord de sa belle mère de tatouer ses trois esclaves ;les doigts de la petite Yebil tremblent dans la main de Bakhita dans la cour deux hommes robustes maintienne la petite Yebil au sol sur le dos tandis qu'on apporte deux bols à la tatoueuse, l'un rempli de farine , l'autre de sel, la petite Yebil tremble tellement que la tatoueuse recommence plusieurs fois les dessins à la farine sur son corps, et puis elle sort un rasoir de son tablier et elle suit les dessins en commençant par le ventre d'ou le sang jaillit, la petite hurle comme un animal sauvage, et une fois que les entailles sont terminées , elle ouvre chaque plaies pour les remplir de sel et puis elle appuie très fort , les cries de la petite s'affaiblisse et elle se tait, le corps se convulse et puis il s'immobilise, d'un signe de tête la maîtresse fait signe qu'on emporte le cadavre, c'est au tour de Bakhita, elle est décorée de cent quatorze entailles sur le ventre, la poitrine et le bras droit, durant trente jours, elle a combattu et survécu à la douleur, à l'infection et à la soif terrible que procurait le sel dans les plaies. Le général à décider de rentrer en Turquie, lui et sa famille vont quitter le Soudan, Bakhita  va partir avec les maîtres, partir pour Bakhita c'est espérer toujours, elle ne comprends pas qu'en quittant Kondofan  elle s'éloigne du Darfour. Quand elle monte sur le chameau, elle cache sa frayeur, elle s'agrippe comme elle peut, la chaleur est dangereuse ils voyagent le plus souvent la nuit; se repérant aux étoiles, c'est à Khartoum qui arrivent au petit matin, le maître fait ses comptes et vends Bakhita pour la cinquième fois elle est achetée par un homme qui s'appelle Calisto Legnami consul italien et c'est homme qui va changer le cours de sa vie, Bakhita le suit le visage baissé, elle ne sait pas ou vivent les esclaves dans cette maison, dans quelle cour on les bats, ce jour là Bakhita est lavée, Aïcha l'a aidée a passer la tunique; la tunique était comme un voile de pudeur, c'est comme ce corps restitué, qui ne sera plus battu, ni convoité, quelle retrouve lentement le monde des humains. Elle a entendu dire que le maître était bon qu'il avait affranchi des esclaves; c'es ainsi qu'il l'emmèneras sur sa demande en Italie et la placera chez des amis à lui , elle a pour la première fois de sa vie une chambre pour elle toute seule. Dans cette lutte permanente , cette vie d'adaptation et de grande honte, cette vie sans amour, ni tendresse, elle va rencontrer un homme, le premier homme après son père qui l'aimera vraiment, c'est homme sur sa route comme une étoile tombée à ses pieds, s'appelle Signore Illuminato Checchini. La maîtresse de maison à déjà perdu deux enfants , Bakhita observe la Parone, elle voudrait lui dire de ne pas s'inquiétée ,elle va accoucher, L'enfant naît le 3 février 1886 ,Bakhita est émue, pourtant elle a tellement vu de naissances, fêtée ou terrifiées, des femmes heureuses ou des fillettes écartelées par la douleur, elle a dix sept ans elle sait qu'elle n'auras jamais d'enfant, son corps d'esclave le lui dit, qui s'est recroquevillé sous les violences. C'est une petite fille la Parona  la nomme Alice ; il faut lui donner les saints sacrements sans attendre la petite ne vivra pas, Bakhita  à le droit de rester, attendre avec la mère que le bébé maintenant qu'il est béni, lâche vers le ciel son âme purifié , Bakhita s'approche du berceau  que la Parona à voulu loin d'elle, elle regarde le visage bleui de la petite Alice, respiration courte, souffle rauque, elle voit que la vie lutte contre la puissance d'une mort déjà accepter, alors elle fait une chose qu'elle n'a fait qu'une fois, il y a si longtemps, elle ne demande pas l’autorisation , elle prends le bébé, lui ôte ses vêtements, allonge la petite sur ses genoux crache dans ses mains et masse le thorax lentement et elle parle le visage contre le visage du bébé, elle reçoit sa toux et ses pleurs, Bakhita soulève la petite, la tient sous les bras, elle suffoque et s'étouffe dans ses glaires, Bakhita l'allonge à nouveau prends sa tête dans sa main, pose sa bouche sur son nez aspire profondément et recrache à même le sol, plusieurs fois de suite, c'est bruyant et sale comme la vie et quand la petite ne pleure plus de douleur mais de faim, elle la porte à sa mère, elle doit la nourrir, elle lui montre comment faire. Bakhita entrera dans les ordres et traversera le tumulte des deux guerres mondiales et du fascisme en vouant sa vie aux enfants pauvres. Elle mourut le 8 février 1947 à l âge de soixante dix huit ans, elle est enterrée au cimetière de Shio. En 1969, son corps est exhumé et transféré à la chapelle de l'institut des Filles de la Charité Canossiennes de Shio. Le 1er Décembre 1978, Jean-Paul II signe le décret d’héroïne de ses vertus; le 6 juillet 1991, Jean-Paul II signe son décret de béatification. Le 17 mai 1992, Jean-Paul II déclare bienheureuse celle qui a laissée " un message de réconciliation et de pardon évangélique dans un monde divisé et blessé par la haine et la violence"; en 1995 il la déclare patronne du Soudan; le 1er octobre 2000 il la déclare Sainte.