mardi 30 mai 2023

Les derniers rois de Thulé de Jean Malaurie


 

Thulé, les Esquimaux du Pôle ... Autorisation Groënland accordée , Je relis le texte de ce télégramme que m'adosse l'ambassadeur de France à Copenhague . Lors de mes précédents séjours au Groënland  sur la Côte Ouest dans la baie de  Disko en 1948 et en 1949 ( printemps été ) durant ces deux premières missions géomorphologiques dans la baie de l'Eqe et surtout à Skansen, j'avais certes appris, que des indigènes existait au nord très au nord, près d'une mystérieuse Thulé, des Esquimaux " primitifs "par lesquels aucun Français n'avait encore vécu .Le navire s'engage lentement dans l'allée d'eau tranquilles du Vaigat  il jette l'ancre devant Qullissat , centre minier : c'est ici la grande île de Disko . Devant nous un semis de maisons de poupées , rouges, jaunes, bleues , à petits carreaux .  Retour à l'âge de pierre , faisons route vers Thulé, depuis quelques heures , nous sommes en vue du cap York sombre et hautaine promontoire des terres nord- groenlandaises , nous sortons de la fameuse baie de Melville pour nous engager dans ce que , depuis la fin du XIX siècle, l'on est convenu d'appeler, avec l'explorateur Peary, la route américaine du Pôle . Le Tikerak , navire en bois armé pour les glaces sur lequel à Jakobshavn , je me suis embarqué, se fraye une voie dans le brouillard et la banquise. Je songe aux avertissements que formulait dès 1618 Pierre Bertius, cosmographe de Roy Très Chrétien . "la froidure y est indomptable...et ....en tue plusieurs. L'hiver y dure neuf mois sans plouvoir ....Tous ce païs est plein d'ours cruels avec lesquels les habitants ont une guerre continuelle ". Engoncés dans nos chandails, nous nous précipitons aux rambardes, la coque du navire est ceinturé d'une dizaines de kayaks , dont les occupants nous dévisagent. Petits, la face jaune et plate éclairée d'un énigmatique sourire; quelques minutes encore et c'est l'administrateur danois Torben Krogh qui avec bonne humeur, vient lui même à bord serrer la main de chacun . Ayant décidé d'hiverner 150 kilomètres plus au nord à Siorapaluk , station exclusivement indigènes, Thulé est pour moi qu'une escale ; je fais quelques jours après mon arrivée à Thulé , transborder mon matériel sur un cargo , le Elin-S se rendant providentiellement pour trois journée dans le nord du pays. Siorapaluk la bien nommée le site est extraordinairement beau et mon isolement sera aussi complet, je serai l'unique blanc à hiverner cette année au nord de Thulé. Les chiens du village se mettent à hurler, de la rive je persiste à suivre des yeux " la très longue barque" dans douze mois seulement elle sera de retour. Seul désormais devant le but fixé ; ma mission commence. J'étais encore assis sur un de mes sacs lorsqu'une femme s'approcha pour m'apprendre par des signes que la plupart des hommes sont : " Avatare ,avatare  à la chasse ...là bas ! " Parti à la découverte , je ne marchais pas depuis une heure le long d'un sentier de la falaise que soudain, à un détour une bruissante piaillerie aux accents modulés m'est renvoyé comme un écho par la montagne; le ciel est obscurcis  de millions de petits oiseaux noirs, des mergules nains, allant et venant de la mer à la falaise; ils plongent en se renversant dans l'eau , tête avant pour attraper quelques poissons et crustacés . Comme enivré par le bruit , je suis le sentier, les éboulis sont rougis par leurs excréments , j'aperçois soudain  des têtes hirsutes, des bras armés d'épuisettes à long manche. Un gros derrière culotté d'une peau d'ours mitée me fait face " Pioulî ! pioulî ! pizz...rirrr, rirrr! siffle t-on . Des Esquimaux s'installent sur les clapiers d'éboulis agitant leurs filets . La chasse est extraordinaire, dès que l'épuisette est pleine, l'homme la retourne brusquement sur un caillou; les femmes vont gauchement de l'un à l'autre, en portant des sacs accrochés par des lanières autour du front, les centaines d'oiseaux  morts qui s'entassent. Il est courant pour un chasseur, de capturer au filet cinq cent oiseaux par jour ; sans les plumer ni les vider , ils en emplissent alors des sacs de phoque à moitié dégraissés et placés sous des pierres à l'abri du soleil . La graisse fond lentement sous l'effet de la chaleur et la chair des oiseaux se décompose dans un bain de graisse , à l'exception  du bec, des plumes et des pattes que l'Esquimau néglige quand il mange l'oiseau ; il lèche les os puis casse les plus petits avec ses dents pour mieux les sucer. Mon voisin Sakaeunnguuq , tout en m'interpellant m'examine, il m'invite à aller chez lui, à voix basse , il me prie de ne pas lui en vouloir, si sa maison est pauvre et sale , lui ayant répondu que je viendrai . Un igloo parmi tant d'autres, un monticule de tourbe et de pierres en forme de tortue, Sakaeunnguuq tousse pour m'annoncer...soulève une planche, cassés en deux nous nous glissons dans un boyau de trois mètres, je pousse une seconde porte dont le seuil est à hauteur du ventre, c'est là que nous nous hissons en appuyant sur les mains. Une petite pièce basse et piriforme, éclairée par une lampe en pierre noire remplie d'une huile donnant une lumière jaune et hésitante, l'air est imprégné d'une forte odeur urique , de graisse de terreau humide et de musc. Pas un Esquimaux du groupe assis sur des vieux récipients n'a encore tourné la tête ni fait un geste, Sakaeunnuuq  mon hôte, s'est placé devant la porte intérieure, je le regarde , interrogateur nous sommes tous les deux debout et stupides . A défaut d'autre présent , j'offre des cigarettes , mon paquet de caporal passe de main en main, on l'examine, le hume, on le jauge ; l'homme m'y invitant des yeux , je m'assieds, à la place des hôtes, donc à gauche de l'entrée et me mêle au cercle. " Soo (merci) dit l'un d'eux en aspirant une bouffée, et à travers des volutes de fumée me sourit . "Naammappoq!" ça vas! dit cet autre, je m'appelle Ulalik dit un troisième, la glace est brisée et la conversation de reprendre vive et enjouée. Il me faut leur répondre avec patience à milles questions: " D'où je viens ? Où je vais ?Où est ma femme ?Atinik ? Comment les Quallumaat (Les Blancs) , t'appellent ?On apprécie qu'en entrant je ne me sois pas arrêté au milieu de la pièce , raide , s'en saluer d'un mot les occupants, j'apprendrai que c'est l'habitude des Quallumaats. La bouilloire bosselée et noircie dont on ne se sert pour le café est posée sur le primas. L'Esquimau puise à pleines mains dans l'eau brune du sceau de bouillon appelé qajoq , et en tire des morceaux de phoque fumants et noirs comme la suie Neviroq ! Mangez !Elle s'adresse aux hommes , pendant le repas les femmes et les filles se tiennent à  part , quelques marginales( femmes sans hommes, coureuses) grignotent en même temps que nous un bout de viande. La plus grande partie de la première quinzaine d'août est absorbée par l'aménagement de mon abri , ayant pris possession d'une cabane inoccupée , je l'ai transformé aussitôt avec l'aide intelligente des Esquimaux. de forme rectangulaire et ramassée, couverte par un toit double faiblement incliné, elle se divise en deux partie : un corridor où seront déposés vêtements et armes, afin que, dans les allées et venues , ils ne soient pas humidifiés par la condensation. Une grande pièce destinées aux indigènes travaillant avec moi ou de passage; enfin séparée de cette pièce par une légère cloison percée d'une porte, une petite chambre d'environ 4m sur 1,80m, tables et chaises que je fabriquerai avec des planches et des caisses. Dans cet abri, où pendant l'hiver, la glace montait le long des cloisons jusqu'à 30 centimètres au dessus du sol et devait être brisée au couteau, le chauffage est assurée par une cuisinière rouillée trouvé sur place. Pour combustible, je disposais localement d'un charbon groenlandais importé...d'Afrique du sud. Lors des grands froids ( -50) je chauffais la pièce également avec un réchaud à essence ( Coleman). Sitôt débarqué , je plantais dans le sol sableux , avant que les 70 cm dégelé ne soit à nouveau englacé , un grand mât de 4 mètres pour fixer l'antenne de mon émetteur radio. A quelques mètres de là, je dispose d'une cache à viande montée sur quatre pieux, à 2 mètres de hauteur; la viande et les harnais sont ainsi à l'abri des chiens et des rares ours qui rôdent. A proximité, les neufs chiens acheté à mon passage à Thulé. Le poste danois de Thulé est à 150 kilomètres au sud. A 70 kilomètres du nord c'est Etah, puis le désert jusqu'à l'océan glacial et le pôle. Mon isolement pourrait apparaître comme atténué par la présence d'une radio , mais les liaisons sont difficiles, mon émetteur est de faible puissance, il est sur batterie et je l'alimente par un générateur à bras, le contact avec Thulé est en principe hebdomadaire , chaque samedi, confiant j'accroche l'antenne au mât de ma cabane; un Esquimau se met au générateur et à 21 heures je commence à appeler: Thulé, Thulé , radio Calling...Here Siarapaluk ! Cela peut durer cinq à dix minutes, l'Esquimau, dans son pantalon d'ours et son anorak en peau de phoque, à force de tourner la manivelle pour donner le courant, sue comme un malheureux . Deux fois par semaine, je vois passer devant ma fenêtre, mes voisins chargés de peaux de renards et de phoques, ils se dirigent vers la boutique où elles sont vendus , et avec l'argent qu'ils en retireront, achèteront des produits dont ils  manquent . La chasse aux renards n'est autorisée par l'administration danoise que pendant cinq ou six mois et demi de l'année. De tous les districts du Groenland Thulé est certainement un de ceux où le renard est le plus abondant. Les millions de mergules qui nichent sur les falaises de juin à septembre en sont la cause. Cette richesse très relative à Thulé conditionné par l'austérité de vie des Esquimaux à permis à Knud Rasmassen , administrateur du district de Thulé : (1910 à 1933) d'organiser sept expéditions scientifiques. Chaque Esquimau dispose de cinq à quinze pièges métalliques , le long du littoral sur des distances de 10 à 30 kilomètres. Avec patience durant l'hiver, il les visitera , au moins une fois par semaine; Ululit et Iggianguaq m'invitent à les accompagner; ils ont l'intention tout en posant les pièges dans une vallée où les empreintes sont particulièrement nombreuses de chasser à vue le renard , en quelques minutes je me prépare à les suivre : je prends mon fusil , un sac à dos. je pensais être absent une journée nous fûmes de retour beaucoup plus tard; il fallait suivre les traces et la piste était bonne me ressassait Iggianquaq , depuis qu'Ululik retenu dans le secteur de deux de ses trappes  nous avait laissés. L'expression fixe et intérieure, silencieux, comme le sont la plupart de ces hommes à la chasse, il allait observant le moindre détail, reniflant l'air, nous nous nourrissions de mouettes et surtout de perdrix et de lièvres, pas un seul jour, nous mourons de faim : le lichen, les herbes et surtout les racines de saules nous servent de combustibles . Sur le plateau je retrouve les fortes impressions sahariennes, ces mêmes étendues de cailloux et de sable, une marche lente et régulière dans la rocaille ouvrant le sol craquelé et dur, l'espace, l'espace ...des vallées de galets blancs , nous butons sur le glacier au nord , étincelant au soleil puissant et majestueux, il élargit encore cette immensité: il règne , nous nous collons à son flanc et cheminons dans une boue gluante et des ruisselets d'eau . En longeant le bord de la falaise qui domine au sud le Fjord des glaciers Morris Jessup, on devine très au large , loin , loin à l'ouest le profil neigeux de la Côte Canadienne. L'eau et la glace nous entourent de toutes parts . Ce royaume de Thulé d'Etah à , se déploie sur 300 kilomètres, l'espace c'est la mer et la banquise source de vie et de liberté dans une lumière qui vous mets hors du temps. Le vent se lève, le corps en avant l'un derrière l'autre depuis des heures nous marchons, sur la neige, les empreintes se précisent, un cri aigu sur la droite des naajats (mouettes), le fracas des icebergs qui se brisent, le bruit sourd de la glace du lac trop fortement comprimé , un coup sec : Iggianguap à tiré, a ce moment précis j'aperçois au loin déjà deux magnifiques renards, leur marche rapide et légère, nous reviendrons sans renard à Siorapaluk, nous nous rabattons sur le lièvre blanc et nous en ramenons cinq. Racorni par le vent et le froid, le visage brûle, les aboiements des chiens montent jusqu'à nous , mais lorsque nous arrivons, c'est pour découvrir que tous les chasseurs ont quittés la station, une petite fumée pourtant au-dessus de la tente de Pualuna trahit une présence humaine. Au fond de son abri, et peu après dans l'embrasure de sa porte en bois apparaît une bonne vieille tête, il y avait beaucoup de phoques, Iminina est venu le dire avec son kayak, ils sont partis vite , je suis tout seul. Cette rencontre devait être pour moi le début de relations amicales avec Pualuna, le vieillard chez l'Esquimau ancien , n'avait pas droit de citer, assurément les temps ont changé, mais si l'on n'encourage plus les vieux à se laisser mourir, l'on se montre toujours à leur endroit d'une sèche indifférence. Ils sont tout juste tolérés. Il y a dix à peine au Canada , le chasseur durant ses marches, abandonnait encore ses vieux sur la banquise, C'était alors un lamentable spectacle: deux à trois chiens guère plus, les Inuits de Thulé étaient encore moins d'un siècle, si démunis qu'ils ne pouvaient se permettre des attelages plus nombreux, le père et le fils marchent en avant , la femme , la fille en arrière, le vieux , la vieille aussi est assis à l'arrière de la traîne, se sachant de trop, ils se laissent enfin glisser, personne ne se retourne et, cependant que la traîne inexorablement s'éloigne, il songe en lui même " Jai fait mon temps" Le père choisit l'heure et sa mort et de son recommencement en son fils. De cette coutume , de cette sagesse , il demeure, je viens de le dire, encore" dans l'esprit" quelque trace . Pualuna un des hommes les plus ancien de la tribu , vit solitaire sous la tente dans un certain mépris, aussi se montre t-'il reconnaissant de mes visites et de ma gentillesse à son égard. J'ai aussi découvert une personnalité Pualuna a été partenaire d'expéditions américaines de Pearg , et c'est lui qui a dirigé la première expédition  de Cook vers le Pôle. Les Esquimaux de Thulé avaient , en 1891-1892 les tailles les plus petites:156 cm chez les hommes,142 cm chez les femmes. En 1855 1860 , le groupe poursuit une vie difficile, il vient de connaître à la suite d'un refroidissement prolongé, une terrible famine, sous l'action des Chamans, les Esquimaux pour survivre , se restreignent à la consommation d'oiseaux, bien des familles, n'ont alors survécu qu'en mangeant à l'occasion leurs morts. L'Inuk dort; ne le trouble pas, c'est son plaisir, son principal loisir, a des jours continue de chasse de soixante heures correspondent des temps de sommeil plus longs qu'à nos latitudes . L'aaveq (morse) cet animal providentiel, particulièrement abondant au large de Pitorarfik-Negi lieu de rendez-vous ancestral permet à la tribu dans les semaines difficiles de décembre janvier de disposer d'assez de viande pour nourrir ses chiens. Nous partons à la chasse aux morses, autour d'un feu de graisse, le camp est monté , plusieurs chasseurs édifient de petits murs de pierres derrière lesquels ils coucherons à la belle étoile, lorsque le thé est prêt, nous voici tous réunis, et un liquide jaunâtre mêlés  de feuilles de thé est versé, nous buvons debout en battant la semelle , le soleil aura bientôt disparu. Qu'attends t-on pour se coucher ? l'Esquimau a faim, et il veut son morse, il l'épie, le sent déjà et il attendra le temps nécessaire, une dizaine de morses arrivent droit sur nous, trois chasseurs se précipitent vers leurs kayaks qui mettent instantanément à l'eau , avec l'aide des plus jeunes, nous autres nous montons dans la barque et à force de rames , nous parvenons à les suivre. Ululik dans son kayak s'approche, il s'efforce de rester au vent et avec la lumière du soleil derrière lui, la femelle intriguée par son cri imitatif lève la tête, un mâle s'approche  Hûm, Hûmmm, dans la barque nous redoublons d'attention, cette chasse est extrêmement dangereuse, l'Esquimau doit frapper l'animal avec son harpon près de la tête, que le coup soit manqué et c'est le morse qui, furieux il attaquera, il chargera droit et franc, de son œil rouge, il a en effet très vite pris connaissance du champ de combat et l'homme doit absolument éviter d'être entraîné par l'animal , le kayak a toutes les chances , en ce lieu particulier d' être renversé, mené par la bête en fureur. L'Esquimau parfaitement calme, épie avec la plus vive attention le moindre mouvement de la bête, dont il faut prévoir les réactions fulgurantes, il est cette fois bien placé , 20 mètres, 10 mètres, le kayak glisse silencieux, avec une habilité consommé , le chasseur veille à ce que sa double pagaie ne fasse frémir l'eau, trois, deux tac ! ....Il a lancé son harpon et se dégage à toute vitesse en reculant grâce à des mouvements de pagaie inversées et très puissants; dans une gerbe d'eau, le morse a plongé pour se soustraire à ce coup soudain, qu'il doit s'en doute venir d'un ours ou , par extraordinaire d'un orque , la bouée témoin reliée au câble flotte au milieu d'une tâche de sang qui s'élargit. Nous suivons cette bouée que le malheureux animal traîne à sa suite . Remonte t'-il à l'air pour tenter de respirer ? Nos cinq fusils claquent ....." C'est un gros crie Imina, le morse qui a près de trois mètres de long, avec des souffles longs et assez réguliers fait enfin surface, agonisant, il est achevé d'un coup de pieu . La tête est liée  à la barque, nous introduisons un tube dans son ventre, à tour de rôle on le gonfle , on le gonfle à pleine bouche comme une outre, ce sera plus aisé pour le tiré à la côte. Sur le rivage, de grands feux de graisse et de pétrole ont été allumés. En se cambrant avec adresse pour éviter de salir son pantalon d'ours, un chasseur recueille le sang dans un bidon, ce sera la soupe ( qajoq )Le découpage commence, le ventre est entaillé par le milieu , enveloppée d'un gros lard blanc, cette viande rouge et saine existe les chasseurs; on commence à manger les nageoires  au fur et à mesure de la découpe, les Inuits, qui mâchent à moitié cette viande crue , parlent fort, s'agitent autour de ce qui ne sera bientôt plus qu'une carcasse en brandissant d'énormes coutelas. A 10 heures du soir , tout est terminé, sans discussions on procède à quelques complément de partage pour celui-ci ou celui-là, la répartition est très traditionnelle et qui renvoie à des structures socioéconomiques profonds , on fait une marque sur le morceau qu'on a reçu et l'on le traîne vers son tas , la tête y compris, les deux défenses d'ivoire et le coeur , lequel pèse 8 kilos reviennent de droit au chasseur qui à harponné la bête . L'ordre de distribution de la nourriture est significatif; les chiens, les enfants, les chasseurs , les femmes. Sil est un lieu au monde ou l'enfant est roi, c'est bien ici ; l'enfant est, avant la chasse, avant les chiens, le premier plaisir de l'Esquimau, préférence marquée étant donné au fils, frapper, corriger le fils qui se rends insupportable apparaît presque scandaleux. L'enfant est élevé dans la plus grande liberté , il est rare d'entendre dans un village un enfant qui n'est plus un bébé , crier ou pleurer du fait de ses parents. Son père est comme soucieux de lui permettre d'être parfaitement heureux avant qu'il ne connaisse très tôt huit ou dix ans la dure loi de la toundra, la chasse dans le froid et les privations .Le garçon doit apprendre très tôt dès huit ans à marcher longuement 20 à 30 km, par jour et s'orienter dans la brume, à dormir peu, à bien viser au fusil , à s'identifier au gibier pour aller le chercher là ou il est , enfin , à prêter la main au voisin en cas de besoin. Fondamentalement  dépressif , l'Esquimau est secrètement hantés par des pensées morbides, quand le temps est mauvais , ses idées deviennent particulièrement noires et surtout si la bourrasque se fixe à l'igloo. Au fil des jours l'Esquimau s'exprime vivement tel qu'il est, mais lorsque il se laisse aller, ce sont les sombres pensées qui propage toujours affluent : la maladie, la faim, l'absence de gibier, l'incapacité physique de chasser, l'abandon des siens, l'action pernicieuse des esprits mauvais , vite alors la vie reprends ses droits. Chasser d'abord, courir au gibier, où est le morse ?Comment vont les chiens ? Il faut regarnir les caches à viandes. C'est en groupe qu'on rit ,qu'on se moque l'un de l'autre et que l'on se défoule. Une grande chasse difficile suivie de telles réunions, voilà ce que l'Esquimau appelle jouir de la vie. L'Esquimau vit dans le miracle, rien ne l'étonne. La religion ancestrale le fait communiquer avec les esprits familiers personnels qui le conseillent, le soutiennent, le guident . Que les Chamans soit en mesure d'aller en quelques secondes sous les eaux consulter Nerrivik, visiter la lune où quelques autres lieux éloignés est normal. "Nous gardons nos vieilles coutumes dans le but de tenir le monde en suspens, car ces pouvoirs ne doivent pas être offensés." Compte tenu de l'extrême modicité de mes moyens et grâce soient rendues au CNRS six mois de crédit pour quatorze mois de séjour, je ne peux subsister qu'en vivant à l'esquimaude, chassant comme ces nomades. J'acquiers dès le mois d'août un traîneau et un assez bon attelage de neuf chiens; durant tout l'été, je me suis entraîné sur la plage à les conduire : fouet, cris, un ton , une allure, une alliance qui concourent à assurer l'unité nécessaire entre l'homme et ses chiens. Les chiens doivent être nourris: 1kg de viande par animal , attaché à un point fixe les bêtes sont tendues vers les les vingt et trente morceaux  débité au couteau ou à la hache ; il est absolument nécessaire de les jeter à chacun en respectant les hiérarchies de la traîne, le morceau jeté est attrapé au vol, les dents claquent, d'un coup de déglutition le chien avale sans mastiquer sa livre de viande gelée, qu'un morceau tombe par terre et le pacte est rompu. Le naalagaq , ( leader ou chien de tête) lui est à l'écart : il attend, l'œil tranquille, de son autorité, votre vie peut dépendre? Au fil des semaines, j'en apprends davantage sur les mœurs des chiens et les méthodes de dressage. Le chien doit toujours coucher dehors de l'igloo, quelques soit la rigueur du temps, leurs molaires sont cassées avec des pierres pour éviter qu'en mordillant les traines de peaux , lorsqu'ils sont affamés, ils ne s'en libèrent. Dans les premières semaines, la lanière du long fouet de 8 mètres , s'enroule irrésistiblement autour de mon torse, de mes jambes, la mèche claque parfois au visage, je me protège les yeux, peu à peu je m'enhardis, les gestes se font plus sur. IL faut avoir son fouet sans cesse en main, un accident récent m'en fera toujours souvenir, les traîneaux se suivaient en file indienne, le long de la banquette littorale de la côte sud de l'île de Herbert Suranglaçon , à un paysage glissant et étroit, je trébuche et tombe, les chiens de l'attelage qui me suit me talonnent en jappant, leurs crocs n'ont pas été limés et ils sont agressifs, ces quatorze chiens se jettent immédiatement sur moi, parce que avec mon pantalon d'ours, mes bottes d'ours je sens ...l'ours surtout pour des chiens affamés, couché tout en poil de la tête aux pieds, je me débat, ayant perdu mon fouet, j'ai toutefois la chance d'être protégés par ces peaux épaisses, les bêtes me mordent à la cuisse et voici que d'autres se jettent à mon visage, je me protège du bras et crie Aqi! Aqi ! ( en arrière !) trois quatre secondes s'écoulent, le temps est compté , que le sang coule et les chiens vont s'énivrer comme des loups; le hasard fait que les chiens en se reculant pour réussir un nouvel assaut me laisse une demi seconde de répit, je me mets vivement debout, j'attrape mon fouet, sauvé . Je garderai pendant plusieurs semaines sur ma cuisse, les cicatrices noirâtres des morsures que les dents des chiens avaient marquées dans ma chair. Nous sommes le 10 mai à Oaqqaitsat aux abords du glacier de Humboldt à mesure que nous gagnons le nord, les empreintes se révèlent plus nombreuses, près du cap Agassiz, notre excitation croit à tel point que , devant une trace toute récente, les Esquimaux déchargent les traînes en quelques secondes. La première piste suivie est profonde et nette, pas de doute, elle est d'hier, il s'agit d'un gros ours, les chiens nerveux vont bon train . Pour se reposer et se réchauffer mes compagnons s'arrêtent un instant et prépare du thé; nous sommes à l'entrée du fjord.  Oaaqqutiaq explique qu'en avril les ours se cherchent pour s'accoupler, aussi vont ils çà et là sans but définis, c'est alors que Padloq, qui s'était écarté pour satisfaire ses besoins, accroupie se trouve nez à nez avec lui, goguenard, les pattes en dedans, l'ours l'observe avec curiosité, un bond, un cri et les chiens s'élancent, les hommes se sont jetés sur leurs traineaux, l'ours court ventre à terre à une vitesse prodigieuse et c'est merveilleux de le voir, lui si pataud, devenu svelte et agile, il file vers le nord est, le glacier de Humboldt , gagné de vitesse, il biaise vers la muraille du glacier, il est perdu . Chacun sort son coutelas et tirant à lui , ses chiens, sectionne les laisses, quinze chiens rageurs rattrapent l'animal, le devancent,, l'obligeant à s'arrêter, dressé il fera face, de droite à gauche , il promène sa tête racée et scrute l'espace de ses yeux bruns foncés, il réussit encore dans un saut gigantesque le long de la paroi à se dégager, désespérément , il s'accroche à la glace avec ses griffes et se hisse centimètres par centimètres par une faille , les chiens hurlent , bondissent vers la patte pendante  l'homme intervient , il tire, l'ours s'arrête, reprends son ascension , se colle à la falaise, la neige rougeoie de grosses gouttes de sang tombent une à une, une balle près de l'oreille lui traverse enfin le crâne, foudroyé il tombe dans une petite crevasse; il faudra plus de deux heures pour l'en dégager. Plaisir de la chasse, le besoin de manger sont les plus forts, à grands traits du coutelas, la fourrure est dépouillée , en éventrant l'animal les chasseurs prennent la précaution de retirer le fiel et de l'enfouir dans la glace, il empoisonnerait la viande nous ferait perdre cheveux et poils L'Ours est divisé en sept parts , tiens prends Natuk me donne les dents et les griffes pour ma femme au cas où je me marierais: " ça les fait rester fidèle." Un morceau est jeté à Nerrivik , Déesse des Eaux ; puis c'est le tour des chiens et enfin de nous même , tout en mangeant la langue très appréciée mais bouillie, la moelle et la graisse crue, les hommes évoquent de nouvelles histoires légendaires de chasse . C'est le 23 mai que nous atteignons Inuarfissuaq ( base de Marshall) notre groupe se scinde alors en deux . Kutsikitsoq et moi chacun sur sa traîne, cependant que Oaaqqutsiaq et les femmes longeront la côte et auront tout le temps de chasser le phoque en nous attendant . le pays ici n'a jamais été cartographié, je multiplie les visées, relève des coupes de terrain dans ce sol glacé , dresser la topographie aux passages difficiles , nous courons en avant des chiens, de nombreuses traces de caribou sont relevées. C'est le 26 mai dans l'après midi que nous devons arriver aux abords du lac dit l'Iceberg, ou de Septembre ou Hiawatha altitude 274 mètres nous bivouaquons sur un gros rocher de gneiss gris pailleté d'aspect confortable, sans dresser de tente nous dormons en plein jour allongés sur nos traîneaux , après neuf heures de sommeil  lourd , mon compagnon fatigué par la montée d'hier , est encore très endormi. Fin de matinée nous atteignons la haute falaise de cap; le glacier se présente mal et visiblement Kutsikitsoq ignore où est la passe, il se démène et en maugréant va dans tous les sens; nous pataugeons dans l'eau des torrents, je mesure au passage la position de ce glacier pour en compter l'avance depuis l'expédition de mon devancer Lauge Koch en 1922. De palier en palier nous montons, en fin d'après midi nous atteignons les 1200 mètres qu'atteste mon altimètre pas de doute ,de la neige et du brouillard venant du chenal Kennedy, quelques heures plus tard un brouillard laiteux nous enveloppe . Au bout de treize heures de marche en zigzag nous établissons notre campement , nous partageons le reste de nos deux phoques entre chiens et nous même. Après le repas j'essaie de faire le point, en comptant deux à trois mètres par heures, je connais à peu près ma position, le problème est de ne pas dépasser les 70° 30 de longitude, Kutsikitsoq placide mais narquois, me regarde faire, il saisit négligemment ma boussole, s'efforçant de démontrer en la plaçant dans toutes les positions qu'elle ne vaut rien ! "Nos livres se sont nos têtes, la boussole esquimaude la voilà" il me montre ses yeux et son nez . La situation en vérité est difficile , le brouillard peut se prolonger et nous sommes à cours de vivres. Kutsikitsoq se lève, furieux , il regroupe ses affaires, je ne dit mot, je n'ai pas bougé d'un pouce, ni cillé, au dehors je l'entends rassembler ses chiens, cinq minutes plus tard il est parti. Me voici donc seul, et qui plus est abandonné, à l'Esquimaude je réagis, alors à la difficulté je mange, il me reste un cinquième de phoque, c'est en mâchant, je l'ai dit que l'on pense le mieux, on reprend calme et force. je revois mes notes, trois heures plus s'écoule mon plan est arrêté, dormir d'abord et, au petit matin partir avec les chiens, en suivant comme prévue la route que je me suis assignée. je vais me coucher lorsque j'entends contre ma tente des pas feutrés de chiens , Kutsikitsoq ! Je ne bouge pas , le mieux est d'agir comme si le temps s'était gommé; nous dormons côte à côte comme deux frères difficiles. Je ne m'étais pas trompé ma navigation était bonne et ma vie esquimaude sur la piste avec le fier et coléreux Kutsikitsoq se lisse d'un nouveau lien. J'examine le travail, dans les grandes lignes, l'expédition atteint ses buts essentiels. La carte en témoigne, grâce à notre travail quotidien, cinq feuilles de la Terre d'Inglefield et de la Terre de Washington pourront être ultérieurement être dressées d'Etah au cap Agassiz et de Pullassuaq ( nord glacier de Humboldt) au cap Jackson sur une profondeur de 1 à 3 km selon les itinéraires. Avec l'autorisation du gouvernement Danois, j'ai pu donner, onze noms français aux caps, baies , rivières, fjords reconnus. J'ai évoqué plus haut la personnalité de ce grand géographe ) un cap Joset ( géophysicien français qui perdit la vie dans une crevasse du Groenland central en 1951 et avec lequel j'étais très lié )voulant aussi honorer les Esquimaux toujours oublié sur les cartes, j'ai baptisé le fjord Uutaaq ( père de Kutsikitsoq , compagnon de Peary et ancien chaman )  une rivière Aqajak ( Esquimau mort avec Krueger 1930 1931) Une rivière Aajaku frère de Qaaqqutsiaq qui participa à la dramatique seconde expédition  de Thulé non loin du fatal secteur où Wulff  est mort de faim . Six caisses d'échantillons géologiques, de fossiles , de prélèvement de sable, d'argile, de sacs de cailloux de rivière ont été rassemblées . Sur la géologie et principalement la géomorphologie des terrains traversés, cinq carnets couverts de notes, de croquis, et de mesures, devant permettre des analyses approfondies, des études en laboratoire de la Station du Froid du CNRS que j'ai ultérieurement conduites sur la gélifraction avec diverses simulations aussi proche que possible des conditions naturelles, ici soigneusement identifiés; des collections de prélèvements de roches altérées de fossiles littoraux , une importante documentation photographique. Les traits ethnologiques  dont ce livre témoigne se transmettront plus où moins à des hommes nouveaux, trouvant des points d'appuis différents . Un Groenland moderne se lève , et les Inuits sont déjà , plus qu'une ethnie , une jeune nation. Assurément , il ne peut être question de renier , le titre de ce livre, les chasseurs de la protohistoire, tels que je les ai connus dans une majesté à jamais perdue , seul vivant au plus profond de ma conscience.