samedi 25 novembre 2017

La tresse de Laetitia Colombani





Trois continents, trois vies de femmes qui ont soif de liberté. Dans le village de Badlapur en Inde, Smita est une Dalit, ici les gens comme elle ne vont pas à l'école, Gandhi les appelait les enfants de Dieu, hors caste ,hors système,. Tous les matins, c'est le même rituel, Smita s'éveille dans sa cahute, près des champs cultivés par les Jatts, elle lave son visage, et ses pieds avec l'eau rapportée la veille du puits, elle coiffe Lalita sa fille , embrasse Nagarajan son mari, puis elle prends son panier de jonc tressé, ce panier que sa mère portait avant elle, ce panier à l'odeur âcre , tenace, indélébile, qu'elle porte toute la journée comme une croix, un fardeau honteux. C'est son devoir, sa place dans le monde. Ce que fait Smita il n'y a pas de mots pour le décrire, elle
ramasse la merde des autres, à mains nues, des toilettes pour le pays le gouvernement l'avait pourtant promis. Smita entre dans les maisons par la porte arrière, elle reçoit en guise de salaire, des restes de nourritures, parfois de vieux vêtements, qu'on lui jette à même le sol. Smita à pris une décision, sa fille ira à l'école, elle refuse d'emmener Lalita en tournée, elle ne lui montrera pas les gestes des videurs de toilettes.
A Palerme , une jeune femme Giulia quitte à regret son lit, elle s'habille à la hâte avant de descendre à la cuisine où s'impatiente la mamma, ton père est parti,  c'est toi qui ouvre ce matin, elle saisit les clés de l'atelier et quitte rapidement la maison, elle parvient dans une impasse, c'est là qu'est installer l'atelier de son père, dans un ancien cinéma, dont il a racheté les murs il y a vingt ans, l'âge de Giulia. Elle a grandit là,  entre les cheveux à démêler, les mèches à laver, les commandes à expédier, voilà près d'un siècle que sa famille vit de la cascatura, cette coutume sicilienne ancestrale qui consiste à garder les cheveux qui tombent ou que l'on coupe pour en faire des postiches ou perruques, fondé en 1936 par l'arrière grand-père de Giulia, l'atelier Lanfredi est le dernier de ce type à Palerme. De mari , Giulia n'en cherche pas, elle ne fréquente ni les café, ni les boîtes de nuit, Giulia préfère le silence feutré de la biblioteca communale, elle s'y rends chaque jour à l'heure du déjeuner, lorsqu'elle revient à l'atelier cet après midi là ; un silence inhabituel règne dans la salle principale, à son entrée , tous les regards se tournent vers Giulia,  Cavamica lui dit, ta mère à appeler , il est arrivé quelques chose au Papa. Sarah, vit à Montréal, mère de famille, cadre supérieur, working gin, it girl, wonder woman, autant d'étiquettes, que les magazines féminins collent sur le dos des femmes qui lui ressemblent. Après le petit déjeuner,c'est une affaire qui roule, aussi vite, que la berline de Sarah pour déposer à l'école Simon et Ethan en primaire, Hammah au collège, Sarah prend la direction du Cabinet à huit heures vingt précisément elle gare sa voiture dans le parking devant le panneau portant son nom, Sarah Cohen, Johnson & Lockwood, cette plaque quelle contemple tout les matins avec fierté, désigne plus que l'emplacement de sa voiture, elle est un titre, un grade, sa place dans le monde, un accomplissement , le travail d'une vie, sa réussite, son territoire. Dans le hall le portier la salue, puis la standardiste, il n'y a pas grand monde, elle est souvent la première arrivée et la dernière partie, c'est à ce prix qu'on construit une carrière, le plafond elle la pulvérisé, fait explosé à grands coups d'heures supplémentaires, de weekend  passé à son bureau , de nuits à préparer ses plaidoiries. Sarah avait aussi construit un mur parfaitement hermétique entre sa vie professionnelle   et sa vie familiale. Lorsqu'elle se regardait dans le miroir , Sarah voyait une femme de quarante ans  à qui tout avait réussi , elle avait  trois beaux enfants, une maison bien tenu dans un quartier huppé, une carrière que beaucoup lui enviaient. Smita démêlent  ses cheveux,ils lui descendent jusqu'à la taille,elle ne les a jamais coupés, c'est la tradition, ici les femmes gardent longtemps leur cheveux de naissance parfois toute leur vie, elle divise la chevelure en trois mèches, qu'elle entrelace d'une main experte pour en faire une tresse. Son mari est parti tôt, comme à son habitude dès le lever du jour, il est chasseur de rats comme son père avant lui, il travaille dans les champs des Jatts, c'est une tradition ancestrale, un savoir faire , l'art d'attraper les rats à mains nues , les rongeurs mangent les récoltes, et fragilisent le sol en y creusant des galeries. Aujourd'hui Smita emmène sa fille à l'école, son père à parler au Brahman, elle lui fait sur le front le bindi, le troisième œil, comme on l'appelle ici il retient l'énergie et augmente la concentration, elle tapote doucement le vernis du bout de son doigt avant de le fixer avec de la poudre, elle mange peut-être du rat , mais elle saura lire se dit elle tandis qu'elle lui prend la main et l'entraîne vers la grande route. Giulia n'a pas le cœur à la fête elle se rends au chevet de son père, il a eu un accident pendant sa tournée , pour une raison inexpliquée sa vespa à quitter la route.Sarah vient de tomber, dans la salle du tribunal au milieu d'une plaidoirie ,elle s'est d'abord interrompue le souffle court, puis s'est effondrée  lorsqu'elle rouvre les yeux , un homme est penché sur elle,  vêtu d'un uniforme de pompier;  l'interne semble inquiet, sa tension est basse, et puis il y a cette pâleur; il lui suggère de se reposer, de prendre un congé, lever le pied, Sarah éclate de rire, on peut donc être médecin et avoir de l'humour : Lever le pied ? et comment? en vendant ces enfants sur E-Bay? en décidant qu'à partir  de ce soir on ne mange plus, en annonçant à ces clients qu'elle fait  grève au cabinet, elle gère des dossiers aux enjeux cruciaux, elle ne peut les déléguer. Sarah quitte l'hôpital contre l'avis de l'interne. Lalita est rentrée de l'école,muette, le regard dans le vide, Smita s'énerve parle, l'enfant se se recroqueville, Smita se mets à crier, furieuse, un doute terrible s'est emparée d'elle, elle entraîne l'enfant dans la cour,  et la déshabille, Smita tressaille, en découvrant le dos de l'enfant, il est zébré de marques rouges, des traces de coups, la peau est fendu par endroit, qui t-a fait çà ? qui ta frappé?;le maître dit la petite fille en baissant les yeux, il voulait que je balaie la classe, j'ai dit non. Lalita ne s'est pas laisser faire, à cette pensée Smita se sent fière de sa fille; cette enfant de six ans à peine plus haute qu'un tabouret à regarder Brahame dans les yeux et lui à dit non. Voilà huit jours que le père de Giulia est hospitalisé , elle se rends à la bibliothèque pour faire la lecture à son père, elle va rencontrer un inconnu qui lui demande conseil pour lire en italien, il l' a trouble Kamalgt Singh tel est son nom de religion Sikh, il a quitté le Cachemire à l'âge de vingt ans, il a obtenu le statut de réfugié et une carte de résident permanent, il a trouvé un travail de nuit dans une coopérative fabricant de l'huile d'olives, ce jour là Giulia reviendra à l'atelier avec deux heurs de retard. Sarah,  la bombe est lâchée , elle vient d'exploser là dans le cabinet de ce médecin, la taille d'une mandarine a t'il dit , Sarah à pourtant tout fait pour reculer cette échéance, ne pas s'avouer la douleur lancinante, la fatigue extrême,  dans le taxi qui la ramène au cabinet, elle dresse un état des lieux de la situation,  elle est une guerrière, elle va se battre. Partir, cette pensée  s'est imposée à Smita comme une injonction du ciel, il faut quitter le village; ma femme divague pense Nagarajan elle à encore passé une nuit agitée ; Smita se fait pressante, ils doivent partir à la ville, on raconte que là-bas il y a des places réservées pour les Dalits dans les écoles, et les universités, des places pour les gens comme eux. Soit se dit alors Smita, si tu ne veux pas venir je partirai s'en toi. Lorsque Giulia rentre dans le bureau de son père pour trouver un papier que lui réclame l'hôpital, le troisième tiroir est fermé à clé Giulia s'en étonne après de brève recherche elle finit par trouver la clé le tiroir s'ouvre enfin, il renferme une liasse de papiers Giulia s'en saisit  le sol, alors se dérobe sous ses pieds; quand elle annonce à sa mère et à ses sœurs que l'atelier est ruiné, Francesca s'est mise à pleurer, Adela n'a rien dit, la mamma passe des heures à pleurer, elle suggère à Giulia d'épouser Gino Battagliole un bon parti , amoureux de sa fille , il sauverait l'atelier, mais Giulia à un secret elle est amoureuse de Kamal et doit réfléchir à tout cela.Elle décide d'écrire une lettre de rupture à son amant, en lui expliquant la situation. C'est vers deux heurs du matin qu'un caillou est projeté à sa fenêtre, Kamal sa lettre à la main l'appelle, elle le rejoint, j'ai peut être la solution pour l'atelier , les hindous dans son pays donnent en offrandes  leurs cheveux aux divinités, ils sont ensuite ramassés et sont vendu sur les marchés, il faut aller les chercher là bas, importer c'est la seule façon de sauver l'atelier. Smita elle part cette nuit , elle l'a décidée, elle s'agenouille devant le petit autel consacré à Wishnou et prie pour implorer sa protection.Après un dernier regard à la cahute, à cette vie  qu'elle quitte sans  regret , Smita prend la main glacée de sa fille et s'élance dans la campagne obscure.Deux heures qu'elles attendent le car. Smita et sa fille sont happées par la foule, enfin la gare de Vanarasi paraît lorsque le train s'arrêtera , en gare de Tivupati elles en descendront et gagneront la   montagne sacrée pour rendre hommage à leur divinité. Elles retirent leurs sandales comme le veut la tradition en signe d'humilité pour entamer l'ascension des marches qui mènent aux portes du temple  3 600 marches,  environ 15 kilomètres sa fille est fatiguée, elles ont peu dormi dans le train, Smita et Lalita ont rejoint la queue des pèlerins devant l'entrée du temple, un enfant s'avance et leur tends des laddas, ces pâtisseries rondes préparées à base de fruits secs et de lait concentré; elles sont préparé à l'intérieur du temple par des achatas , ces prêtres de pères en fils. A l'intérieur les plus riches déposent des vivres et des fleurs, des bijoux d'or, de pierres précieuses, les plus pauvres offrent le seul bien qu'il possèdent , leurs cheveux. Leur tour est venu, le barbier fait signe à Smita d'avancer, tandis que les mèches tombent une à une à ses pieds, Smita ferme les yeux et prie , son crâne est lisse comme un œuf, elle se sent soudain incroyablement légère, c'est au tour de  Lalita, , le barbier jette un coup d’œil admiratif à la tresse de la fillette ils sont soyeux, épais . A la sortie du Kalianakata, la lumière les éblouit;elles paraissent plus jeunes ainsi , elles se tiennent par la main et se sourient, elles sont arrivées jusque là; le miracle s'est accompli, Smita le sait , Vishnou tiendra ses promesses. A Chenai ses cousins l'attendent, demain une nouvelle vie commence .Giulia revient chez elle la tête en feu Kamal dit vrai sur internet elle a vu que les cheveux indiens sont les meilleurs du monde , elle songe à Kamal et comprend soudain que cet homme, elle ne l'a pas rencontré par hasard, le ciel a entendu sa prière et l'a exaucée. Il est là le signe, le miracle qu'elle attendait.Sarah est là, devant la glace, elle regarde ses ongles abîmés, ses cheveux clairsemés; elle sent quelque chose vibrer , au plus profond d'elle même, elle ne vas pas disparaître, elle ne vas pas renoncer, une amazone voilà ce qu'elle est,  une guerrière,  une combattante. Sarah quitte la maison, c'est aujourd'hui, elle l'a décidée, elle passe la porte du salon, une femme élégante l'accueille, je vais vous montrer nos modèles, elle sort d'une boîte  une perruque auburn synthétique précise t-'elle fabriquée au Japon puis une deuxième artificielle de haute qualité, grand confort enfin une troisième en cheveux humains précise t'-elle  un produit rare et coûteux , des cheveux indiens, ils ont été traités, décolorées et teint en Italie en Sicile plus précisément puis fixés cheveux par cheveux 80 heures de travail pour 150000 cheveux environs, un produit rare, elle aide  Sarah à positionner la perruque  toujours d'avant en arrière; les cheveux n'opposent pas de résistances, ils se laissent dompter docilement, généreusement , ils épousent lentement l'ovale de son visage, ils s'abandonnent; Sarah les lisses, les caresses , les coiffent , Sarah contemple son reflet, ce qu'elle avait perdu ,il lui semble alors que cette chevelure le lui rend, sa force, sa dignité, sa volonté. En s'éloignant du salon Sarah pense à cette femme du bout du monde, en Inde , qui a donné ses cheveux, à ces ouvrières siciliennes qui les ont démêlés et traités, a celle qui les a assemblés. Elle se dit alors que l'univers travaille de concert à sa guérison. Elle songe à cette phrase du Talmud : " Celui qui sauve une vie sauve le monde entier." Elle est là pour longtemps encore. A cette pensée elle sourit. Je dédie mon travail à ces femmes, Liées par leurs cheveux, comme un grand filet d'âmes, à celles qui  aiment, enfantent, espèrent, tombent et se relèvent, milles fois; qui ploient mais ne succombent pas. Je connais leurs combats, je partage leurs larmes et leurs joies. Chacune d'elles est un peu moi.