dimanche 12 janvier 2020

Graines de possibles regard croisés sur l'écologie de Pierre Rabhi et Nicolas Hulot



Nicolas Hulot et Pierre Rabhi ne se connaissaient pas, à  première vue, rien ne les poussait  à  se rencontrer  tant leurs parcours, leur culture, leurs univers    sont différents.  Si l'on s'en tient aux apparences , il y a d'un côté un Africain , humaniste, paysan, réservé, poète  et de l'autre un Occidental  trublion  médiatique et pragmatique, utilisant   la technique  à  foison , acteur  et vecteur de la consommation . Et puis un jour, la rencontre a eu lieu, fruit souvent des jolis hasards de la vie, tout de suite une connivence est  née, une complicité  s'est installée, le dialogue  ne s'est depuis  pas relâché , un dialogue prolifique, animé par un désir de compréhension réciproque  et un engagement commun pour l'environnement ; un échange amical  qui les a       tantôt opposés, tantôt   rassemblés  . Il y a le fils de forgeron né aux marches du désert et l'enfant de la grande  bourgeoisie française né dans les beaux quartiers de Lille; beaucoup de traits communs  : une farouche indépendance, une volonté de cultiver leur libre arbitre et d'emprunter  des chemins de traverse; et puis  chacun à  sa façon aiment passionnément le sol, les arbres, la terre et la Terre, chacun à sa façon aiment et se désolent des mêmes choses. Ce livre est le reflet  des chemins de vie et surtout  un cri  d'alarme. Celui de deux hommes de terrain qui constatent chaque jour un peu plus l'intensité des exactions commises à l'encontre de notre planète. Au fil des pages, Pierre et Nicolas s'interrogent et  tentent de lancer des pistes pour construire un autre avenir. Comment restaurer le lien à la "Terre-Mère"? Le progrès, conçu pour le bien de l'homme, n'est-il pas en passe de se transformer en la pire des tyrannies ?Comment retrouver  du sens dans une vie envahie par l'argent?Qu'est ce qu'être écologiste ?Une éthique, une politique, un mode de vie?Peut-ton croire au développement durable?Ou faut-il être plus radical et prôner la décroissance? C'est enfin une formidable déclaration d'amour à l'homme et la nature, qui vient nous rappeler combien notre destin est  étroitement, fondamentalement lié à celui de la Terre.Et nous pousse, comme l'écrivait Henry Miller , à "rejeter le connu et le prouvé au profit de l'aventure que sont la liberté et la création". 
Leur Chemin de vie : NH :Ce qui m'a frappé chez toi c'est ton incroyable itinéraire, du désert Algérien jusqu'en Ardèche, raconte  nous d'où tu viens ...PR : Je suis né près  de Bechar dans une petite oasis du sud  algérien appelée Kenadsa, mon père  était forgeron, ma mère  est morte alors que j'avais quatre ans, à l'époque  mon père fait la connaissance d'un couple  de Français, un ingénieur et une institutrice pour travailler à la compagnie des Houillères, notre sous-sol colonisé recelait du  charbon, c'est par cette matière obscure que notre système habituel  a été complètement bouleversé  et la modernité est arrivée, une population gavée de lumière allait brutalement devoir tirer sa survie de ce monde de l'obscurité, le temps de la montre  allait abolir cette sorte d'éternité cadencée par le ciel, les prières et les fêtes; le temps allait devenir argent. Ce couple  n'avait pas d'enfant et comme mon père se préoccupait  de mon avenir, ils lui ont proposer de m'éduquer. En 1958 1959 pendant la guerre , j'étais plus en accord avec ma famille et je suis partie en France, j'ai eu la chance de rencontrer les idées de Gandhi en pleine guerre d'Algérie, sa pensée faisait résonner , ma principale conviction , à savoir que la violence ne résout jamais rien, il disait  quelque chose comme "Œil pour œil, dent pour dent ça ne fera que des édentés et des aveugles" l'humanité reste enlisée    dans cette ornière. J'ai débarqué dans la capitale avec tout les attributs de la culture française inculqués par ma famille adoptive; j'ai travaillé dans une entreprise d'homme à tout faire, l'entreprise me paraissait  alors le lien symbolique de la modernité et de la libération de l'individu qu'elle ne fut pas ma déconvenue !J'ai pris conscience de cette hiérarchie du pouvoir, de l'avoir, de l'oppression. Je ne comprenais pas pourquoi certains ne bénéficiait pas plus de reconnaissance alors qu'ils travaillaient plus ou accomplissaient les tâches les plus insalubres; quand j'ai vu que ce microcosme trahissait tout ce qu'on m'avait enseigné, çà a été le début de ma toute première insurrection ; je ne pouvais transiger avec l'idée d'équité. NH : Je suis né à Lille , dans une   famille bourgeoise bien installée, puis j'ai grandi à Paris dans les beaux quartiers, j'ai d'abord baigné dans l'insouciance et les certitudes, dans un monde monolithique où l'on ne change pas d'étage ! Mais les événements de la vie ont précipité mes certitudes dans les abîmes, je me suis rendu compte que la vie n'étais pas un long fleuve tranquille, je suis convaincu  que nous portons depuis l'enfance, une portion de notre destinée.Ma révolte contre la chasse, date de cet époque, je m'insurgeai déjà a cet âge  là  contre l' uniformisation des comportements vestimentaires, la vie en vase clos social, et cette obsession des convenances propres à la bourgeoisie, j'ai évolué dans un univers où il n'y avait pas de place que  pour l'homogénéité, j'ai vite pris conscience de la nécessité de la différence, je suis moi aussi un autodidacte absolu .Devenir écologiste : NH :En 1960 , tu quitte Paris et tu t'installe définitivement en Ardèche.  Pourquoi ?  PR: Je venais de rencontrer Michèle , qui allait devenir ma femme dans l'entreprise où je travaillais , pour elle comme pour moi il n'était pas question de vivre dans cette aliénation , nous voulions un autre lieu, un autre espace, l'agriculture nous paraissait , l'activité, la mieux à même de mettre en cohérence nos idées avec notre mode de vie, c'est alors que nous avons rencontré l'admirable Dr Pierre Richard, un médecin qui s'occupait à l'époque de la création du parc national des Cévennes, c'était un écologiste visionnaire, un des premiers à déplorer la désertification des campagnes et la dégradation des espaces naturels. C'était un pays à la fois magnifique et humainement à la dérive, les hommes avaient domestiqué la montagne et avaient réussi à y vivre dans des maisons dont certaines paraissaient clouées  aux parois rocheuses. On était au cœur des Trente Glorieuses et personne ne comprenait qu'on veuille s'installer en pleine débâcle , qu'on quitte la facilité et le salaire de la ville. Pour apprendre l'agriculture, je me suis inscrit dans un établissement appelé " Maison familiale rurale "j'ai obtenu un diplôme et je suis devenu ouvrier agricole. Là, quelle surprise ! je pensais avoir définitivement tourné le dos à la notion du productivisme, mais la réalité m'a vite rattrapé, les jeunes ne parlaient que de puissances des tracteurs, d'augmentation des rendements et du nombre d'hectares qu'ils voulaient acheter. Le  jour des traitements des arbres était pour moi un cauchemar ; nous utilisions des substances chimiques dont un produit le Metasystemox qui avait été responsable de nombreux décès dans la région, nous devions porter des masques pour nous en protéger, après le traitement nous sentions une odeur écœurante et nous trouvions par-terre  toutes sortes d'insectes foudroyés, je devais apprendre plus tard qu'ils s'agissaient de produits de synthèse aux effets rémanents, non biodégradables, nous étions dans une ambiance d'agression généralisée contre la nature et la vie; à l'époque j'ai bien cru que j'allais décrocher.Aujourd'hui encore, certains paysans ne s'imaginent pas combien l'agriculture qu'ils pratiquent est dangereuse et va à l'encontre de l'esprit initial de leur métier. Chaque printemps , je suis affligé quand on commence à disperser les insecticides sur les arbres fruitiers en Provence. NH :Ce qui me surprend le plus c'est notre capacité à nier ces conséquences et à nous dire que la nature est capable de faire disparaître toutes les substances chimiques que l'on disperse, mais rien ne se perd , tout se transmet  et au bout de la chaîne alimentaire il y a l'homme ! Je me souviens qu'il y a quelques années , il y a eu un échouage massif de dauphins sur les côtes françaises, on a d'abord avancée cette vieille théorie farfelue du suicide collectifs ; puis les biologistes ont découvert dans les tissus des dauphins, toutes sortes de textiles, d'arsenic, de produits issue de l'agriculture rejeter dans les eaux fluviales. PR :Un jour le docteur Richard est arrivé en souriant , un ouvrage à la main; c'était " La Fécondité de la Terre" d'Ehrenfried Pfeiffer un autrichien qui avait compris que l'agriculture moderne était destructrice, qu'elle minéralisait les sols et menait à une impasse, c'est là que j'ai commencé à comprendre ce qu'était l'écologie, pour la première fois , on me proposait une agriculture qui plus que de respecter la vie , contribuait à régénérer ce qui était dégradé. NH :C'est ce qui t'a mené , en pionnier à l'agroécologie ? PR : Oui progressivement, l'aventure de Mont -champ  à enfin démarrer, oui une véritable aventure !Ce bien était en plein cœur des garrigues, la maison menaçait de s'écrouler, les terres étaient en friches, nous avions obtenu notre prêt , mais le Crédit  Agricole nous avait stipulé que nous devions pas faire de travaux autre qu'agricoles. Cet étape de la survie a été longue et douloureuse, mais nous l'avons totalement acceptée , parce qu'elle était le tribut à payer pour notre liberté, nous devions aussi élever nos cinq enfants , avec  toute la problématique sociale qu'un  milieu isolé  pouvait leur imposer, pour éviter le confinement familial, nous avons accueilli des stagiaires, dont les premiers étaient issus de la déferlante soixante-hui-tarde . L'humus est un élément majeur sur lequel la fécondité naturelle des sols est quasiment impossible lorsque l'humus disparaît, les sols meurent  et le désert s'installe ; il joue le rôle du  levain qui fait lever la terre comme une pâte, retient l'eau et améliore les sols en les régénérants avec l'humus dont l'étymologie rappelle l'humanité, l'humilité, l'humidité, on détient une sorte de quintessence vitale, à la fois matière et symbole. PR : Et toi comment en es tu venu à l'écologie ? NH : D'abord  parce que le terrain y était propice, mes parents m'ont transmis l'amour de la nature, mon père avait l'obsession pendant son temps libre de partir sur son petit lopin de terre pour cultiver ses fleurs et s'occuper de ses boutures, ma mère elle aussi aspirait qu'à vivre à la campagne, très tôt je me suis rendu compte que je me sentais bien au contact de la nature et moins bien quand je m'en éloignais. Je vais te choquer, mais j'ai fait le deuxième Paris-Dakar j'avais une vingtaine d'années et je succombais comme tout le monde au facteur vitesse, qui est celui que je fustige le plus aujourd'hui ; j'étais excité par l'idée de la compétition et l'espace du désert devenait pour moi un  exutoire bref  j'étais  le fruit  d'une société dont j'absorbais les leurres, j'ai bien à peu compris que les joies étaient beaucoup plus internes dans le capital immatériel que dans le matériel, mais un autre cheminement de vie n'aurait pas forcément permis de m'en rendre compte. Je dis souvent que j'ai passé une période de ma vie en position fœtale , la tête sur mon nombril, cette période est plus ou moins longue en fonction des individus, mais les événements vous font redresser ; je souhaite  à chacun que cette phase initiatique ne dure pas  trop longtemps parce que dans cette position on se prive du regard des autres ; on naît avec un certain nombre de sens, mais certains éléments troublent la perception, jusqu'au jour où l'on acquiert enfin sa progression , les chocs sont nécessaires et je les ai connu graduellement. A la fin des année  70 , je me suis retrouvé  au Guatemala après un tremblement de terre qui avait causé cinquante mille morts, cet événement  m'a brutalement ouvert les yeux sur la précarité de la vie. PR : Je ne suis pas non plus un spécialiste en tout , je comprends grâce à mon bon sens et à mon intuition. Je suis en revanche confronté au drame et aux problèmes des sols, on ne peut pas résoudre tous les problèmes en même temps et être sur tout les fronts, mais faisons  notre possible pour limiter les dégâts dès à présent , faisons le honnêtement et cessons les lamentations et les incantations qui ne font rien évoluer. Demandons nous  que puis je faire à ma petite mesure et le plus honnêtement possible pour changer les choses ? NH :Je  me demande où les politiques sont passés dans notre combat, ils ne se rendent pas compte à quel point leur silence est pesant. PR : Je suis entré en écologie il y a quarante ans, en prenant conscience de la difficulté d'un rapport harmonieux et non nuisible entre l'être humain et la nature, qu'attendons nous pour que l'écologie soit enseigné à l'école, au même titre que les mathématiques ou le français ? Le problème c'est que nous avons complètement perdu notre capacité à anticiper. Aujourd'hui  notre système progresse par réaction à très court terme, résultats, la politique que l'on peut définir comme l'art de prévoir ne se met pas en route, les processus de véritable changement de société pour éviter le chaos final . Peut être que face à la complexité du monde " après moi le déluge " est la seule réponse qu'elle soit capable de donner . NH  : J'ai pu constater cette incapacité  à anticiper plusieurs fois de l'intérieur. Il suffit d'observer le mode de fonctionnement d'un ministère : il faut attendre que se produise un événement pour qu'on réunisse tout le monde pour discuter ! Ce n'est que de la réaction  et de la communication , Où est l'anticipation ? Où est  la réflexion ?  On mobilise le Conseil national  du développement durable, qui rassemble des énergies fantastiques , mais sa présidente n'a jamais été reçue par le premier Ministre et ses lettres restent sans réponses. Dans le même ordre   d'idée, on  vient annoncer au ministère de l'écologie qu'il allait devoir partager ces locaux avec celui de la Francophonie. Le rôle des OGN consiste souvent à éviter des reculs plutôt  qu'à opérer des avancées. PR : Le gouvernement ne considère pas l'écologie comme une priorité, mais comme une préoccupation subsidiaire , un alibi  démagogique à très bon prix ; nous somme loin du compte ; l'écologie  n'est guère présent dans ce champ de bataille de la marchandise ; il semble même qu'elle gêne le fonctionnement du système . Ne pense-tu pas que les individus se répartissent aujourd'hui en deux catégories bien distinctes ; d'un côtés, nous avons ceux qui font fonctionner l'Etat et le gouvernement, les membres de la fonction publique qui suivent un chemin assuré, sécurisé et reçoivent leur chèque tous les mois, que le dollar monte ou descende, qu'il pleuve ou  qu'il vente. De l'autre côté se trouvent ceux que j'appelle " les guerriers de l'économie " et qui regroupent les professions libérales, les artisans, les commerçants, les agriculteurs et même les chefs d'entreprises qui non seulement agissent à leurs risques et périls, mais génèrent les richesses ; il y a là une asymétrie de condition qui explique en partie le dysfonctionnement de la nation . NH : De toute façon , nous n'avons le pouvoir d'orienter l'histoire qu'à condition  d'être conscients de ses dérives. PR : Si les jeunes s'intéressent à nous aujourd'hui c'est qu'ils sentent qu'il y a en eux une dimension qui n'est pas irriguée ; ils sont de plus en plus nombreux à constater qu’emmagasiner toujours  plus de biens ne les rend pas plus heureux, l'urgence écologique et humaine est à la fédération des consciences, la conscience transcende les appartenances, qui nous prennent parfois en otages sous le prétexte de la famille, un groupe social , national, religieux ou politique . Je préfère susciter une réflexion personnelle et intérieure. NH :J'essaye à mon petit niveau de donner aux gens l'occasion  et les moyens d'avancer ; comme par exemple  avec le petit livre vert pour la Terre qui propose cinq cent comportements respectueux de l'environnement dans lequel chacun  peut puiser comme il l'entends et à son rythme .