mardi 21 février 2023

Loin d'Hollywood de Charlie Chaplin


   


1921 : Chaplin qui avait quitter en inconnu l'Europe pour l'Amérique dix ans plus tôt , y revient comme l'un des hommes les plus célèbres du monde . Il se mêle désormais aux princes et aux rois , aux grands esprits de son époque, tout en restant très attaché à ses origines modestes. Une tourte aux bœuf  et aux rognons , la grippe et un câble voilà la triple alliance qui à tout déclenché. Même si un soupçon du mal du pays et de soif d'applaudissements à aussi pu influencer les circonstances qui m'ont envoyé prendre des vacances en Europe . Cela faisait sept ans que je me dorais au soleil perpétuel de la Californie, un soleil artificiellement renforcé par le studio Cooper Hewitt. Cela faisais sept ans que je trimais et me creusais les méninges dans une voie unique. Or je voulais m'échapper . M'échapper d'Hollywood , de la colonie du cinéma, des scénarios de l'odeur de celluloïd , des studios, des contrats, des communiqués de presse, des salles de montages, des foules , des naïades , des tartes à la crème, des grandes chaussures et des petites moustaches . Or je me sentais très fatigué, faible déprimé, je me remettais à peine d'une grippe, j'étais dans l'un de ses états d'esprit où l'on se demande pour tout : " A quoi bon ? " je désirais quelque chose mais  j'ignorais quoi . Et voilà que Montague Glass m'invite un soir à dîner chez lui à Pasadena , j'avais reçu beaucoup d'autres invitations, mais celle là comportait la promesse d'une tourte aux bœuf  et aux rognons l'une de mes faiblesses . La tourte est un enchantement, la soirée aussi, une fête de famille simple et chaleureuse ; il s'installe au piano et je me mets à chanter, nous jouons ensuite aux charades, la fête se termine très tôt, voilà un véritable foyer, habité par un homme au succès artistique et commercial notoire, mais qui s'arrange pour fermer sa porte le soir et avoir la paix. Je reviens de Los Angelès en voiture, un câble de Londres m'attends chez moi, dans lequel on attire mon attention sur le fait que mon dernier film , le Kid , va être projeté à Londres et vu qu'il est salué comme ma plus belle réussite, le temps est venu pour moi de regagner mon pays natal. Cela fait des années que je me promets d'accomplir ce voyage . A quoi ressemblera l'Europe d'après - guerre? Je réfléchi un moment, je n'ai jamais assisté à la première de l'un de mes films. Leurs débuts ont toujours eu lieu pour moi dans des salles de projections de Los Angelès , j'ai ainsi manqué quelque chose de vital et de stimulant. J'ai du succès certes, mais il est rangé dans une boîte que je n'ai jamais ouverte pour y goûter. Des sensations des plus agréables s'annoncent  avec , en plus, la promesse d'un repos assuré . Je compte bien sauter sur l'occasion , d'autant que Kid est peut-être mon dernier film. Et je veux voir l'Europe , l'Angleterre, l'Allemagne, la France . Les billets sont pris, nous plions bagage, tout le monde est sous le choc, ce qui me ravit. Le lendemain soir, j'ai le sentiment que presque tout Hollywood est venu m'accompagner à la gare de Los Angelès . J'ai droit aux scènes classiques sur le quai, l'importance de la foule me surprend. Le train s'ébranle et me voici parti pour trois jours de relaxation et de routine ferroviaire. Je prends parfois nos repas dans le wagon restaurant, parfois dans notre salon , je dors affreusement mal; sans doute y a t-il quantités de gens intéressants à bord du train , je ne cherche pas à le savoir, la plupart du temps nous jouons au solitaire, on peut faire un nombre incalculables de parties en trois milles deux cent kilomètres. Puis nous atteignons Chicago, j'aime bien Chicago je ne suis jamais attardé très longtemps , mais les avants goûts que j'en ai eus m'ont à chaque fois dévoilé une intense activité. Toute l'histoire de la ville parle de sa réussite, toutefois pour moi , Chicago évoque avant tout Carl Sandburg , que j'ai rencontré à Los Angelès et dont j'estime grandement la poésie . Notre troupe descend au Blackstone Hôtel , ou une suite à été mise à ma disposition . Puis arrivent les reporters : " Monsieur Chaplin pourquoi allez vous en Europe ?" " Pour de simples vacances " "Y tournerez vous un film ? " "Non ""Qu'allez vous faire de vos vieilles moustaches ? "  " Les jeter " " Qu'allez vous faire de vos vieilles chaussures ? "  " Les jeter "  Ce garçon s'est bien débrouillé , il a eu juste le temps de me poser ses questions avant d'être écarté d'un coup d'épaule . " Monsieur Chaplin êtes vous Bolchévique ? " " Non"  "Alors pourquoi allez vous en Europe ? " " Pour y prendre des vacances" " Quelles sorte de vacances ? "  " Excusez moi, les garçons , mais je n'ai pas bien dormi dans le train , il faut que j'aille m'allonger" Je vois s'ouvrir la porte de ma chambre, et une main secourable , me fais signe , je réussi à m'engouffrer; une fois à l'intérieur , j'ai toute latitude pour envisager les supplices qui m'attendent au cours de ses vacances . Je ne parle pas des foules, car je les aime, elles sont amicales et spontanées , mais des intervieweurs ! Nous nous rendons ensuite dans les locaux du Dailly News , là les photographes nous guettent , cela ne me dis rien de les affronter; je déteste les séances photos, mais je dois m'y résoudre, je suis l'un des juges du concours , et il leur faut un portrait du juré : Après une collation , nous bouclons nos valises et reprenons le train ; cette fois-ci pour New York , à la gare de nouveau la foule, mais cela me plaît . Après une mauvaise nuit, de nouvelles parties de solitaire et des repas à heure imposée , nous finissons par arrivée à New York . La foule, les reporters, les photographes et Douglas Fairbanks ce bon vieux Doug me mets un bon coup et réussit à me pousser dans une automobile, et nous filons au Ritz et la foule file au Ritz. En nous servant d'une garde de porteurs comme une troupe de choc, nous parcourons la distance entre le trottoir et le hall s'en perdre un seul bouton ; j'en éprouve un mélange de fierté et de soulagement , mais comme d'habitude je me réjouis trop vite, nous montons dans notre suite ; ils sont là , ces messieurs de la presse, " Monsieur Chaplin , pourquoi allez vous en Europe ?" " Pour y prendre des vacances " " Envisagez vous de vous marier un jour ? " " Oui" " Etes vous un Bolchévique ?" " Je suis un artiste, je m'intéresse à la vie , le bolchévisme est une nouvelle phase de la vie, il va donc de soi que je m'y intéresse . " Je suis appelé au téléphone , la presse finit par quitter les lieux .  Nous nous rendons à la projection dans la belle limousine de Mme Nast , la foule s'étire sur plusieurs pâtés de maisons autour du cinéma ; je suis fier d'appartenir au monde du septième art, on nous acclame Mary, Doug et moi , j'essaie d'avoir un air digne, j'arbore mon sourire commercial ; quand nous sortons de la voiture, la foule se presse autour de nous, il y a là presque tout les types d' Américains ; Doug prends Mary sous son aile et fonce comme s'il tournait une scène, je suis son exemple et saisis le bras de Mme Nast, en tout cas j'essaie, mon chapeau s'envole alors vers les cieux, une femme armé d'un ciseau est en train de découper un morceau du fond de mon pantalon ! une autre empoigne ma cravate, puis c'est au tour de mon col de chemise, ma chemise m'est ôtée de force, des boutons de ma veste sont arrachés , mes pieds écrasés, on griffe mon visage, mais je garde mon sourire ; puis tête la première, je m'engouffre dans le cinéma, déconfit je me ressaisi et avec ce qui me reste de ma dignité , je me dirige à grands pas vers la loge qui  a été réservé pour notre groupe . Je réapparais en haillons ,dans la loge ou m'attend un air unanime de désapprobation , je refuse néanmoins de me  laisser gâcher mon plaisir et revois Les Trois Mousquetaires , c'est un vibrant succès pour Doug , bien qu'un peu envieux j'en suis ravi pour lui . je me demande si la projection du Kid pourrait m'apporter un tel triomphe. J'aurai aimé faire une grasse matinée, mais mon avocat me réveille à 9 heures ; il a des liasses de documents officiels et de papiers à me faire signer , j'ai un mal de tête carabiné et mon bateau lève l'ancre à midi . La foule , les reporters, les photographes une cohue , on se pousse , on joue du coude, on présente les passeports, le visa tamponné, tout s'enchaîne parfaitement , et me voici à bord . Beaucoup de passagers m'amènent leurs rejetons pour que je leur soi présenté, les enfants ne me dérange pas . L'Olympic  est gigantesque et je me prépare à tous les plaisirs que réservent ses différents espaces , le bain turc, le gymnase, les salons de musique, le restaurant Ritz Carlton . Nouvelle promenade autour du pont , l'air salin me requinque et efface mes sautes d'humeur. Je me penche au-dessus du bastingage et aperçois en contre-bas les passagers des deuxième et troisième classes, ainsi que les hommes de la chaufferie, c'est l'équipe de nuit venue s'aérer sur le pont, ils m'aperçoivent et me reconnaissent, des sourires se dessinent sur leurs visages noirs; Ils crient  " Hourra!" " Salut Charlie"  " Ah je suis repéré " . Je m'habille pour le dîner, nous nous rendons dans le fumoir et je tombe sur un démoniaque caméraman , " Ecoutez Charlie, je suis vraiment désolé, mais on m'a donné pour mission de vous filmer pendant le voyage . " Et je lui explique que s'il a bien une chose qu'il ne fera pas au cours de cette traversée, c'est de me filmer. " On me paye pour vous filmer , et je vous filmerai donc  Ma soirée est gâchée , je vais me coucher en maudissant toute l'industrie du cinéma; ceux qui fabriquent des films et ceux qui emploient des caméramans . Le lendemain est censé  être le dernier jour à bord, nous approchons la côte. J'ai cesser d'être une curiosité et je suis accepté tel que je suis , sans moustaches et sans déguisements. J'ai échangé des adresses, des cartes, des invitations, je me suis fais de nouveaux amis, on a rencontré un tas de gens charmants trop nombreux pour que je cite leurs noms. Enfin me voici en Angleterre ! Southampton , bien que j'y sois passé, m'est complètement étrangère, rien ne m'y est familier; la foule grossit à vue d'œil, que de jolies femmes, si ,différentes des Américaines !Comment, pourquoi , je l'ignore. Une très belle jeune fille, du type anglais me regarde fixement, elle s'approche de notre wagon, d'une magnifique voix musicale, me demande " Puis je avoir un autographe, Monsieur Chaplin !" belle , cheveux auburn, environ dix sept ans. Nous nous mettons enfin en mouvement, je me penche en avant, comme pour aider le train à aller plus vite, je veux avoir un aperçu de la vieille Angleterre , elle est en proie à une frénésie de la construction, partout des maisons neuves d'un nouveau genre. Mon cousin Aubrey me fascine, un gentleman à l'air plutôt digne mais avec tous les signes distinctifs d'un Chaplin ; il tient un bar dans un quartier  assez huppé de Londres, il y a également Abe Broman qui gère les affaires de la United Artist en Angleterre et puis Song un ami de l'époque ou je me produisais sur scène. Cela fait dix ans que nous ne sommes pas vu , je suis bien conscient d'avoir changé . Londres je reconnais certains immeubles, ce sont les mêmes , je pensais que l'Angleterre se serait transformée, il n'en est rien, elle est restée identique à celle que j'ai quitté en dépit de la guerre . Je ne vois aucune différence, pas même l'aspect des gens et voici la fabrique de poteries Royal Dalton, et là c'est le Qeen's Hend et maintenant nous approchons du Cut rue de Londres très commerçante jusqu'aux années 50 qui longe les voies du chemins de fer menant à la gare Waterloo. Je sors immédiatement du train , deux policiers me prennent chacun par un bras, il y a des caméramans , des photographes, je distingue des visages lointains, j'entends des voix au bout du quai " Le Voici ! il est là ! C'est lui ! " des milliers de personnes attendent dehors " Bravo Charlie !" l'atmosphère est vraiment chaleureuse, les policiers jouent des coudes et repoussent les assauts; les fille hurlent d'une voix stridente : Charlie! Charlie! Bonne chance à toi, Charlie! Dieu te bénisse ! Soudain une terrible cohue , la foule se divise en plusieurs flux, je commence à m'inquiéter pour mes amis; ou est Tom ? et Carl ? Où est mon cousin ? Une autre bourrade, il y a des policiers partout, je suis entrainé, soulevé et presque balancé dans la limousine ; pensif je réfléchis à ce que j'ai fait jusque là rien d'extraordinaire, rien qui puisse justifier tout cela Charlie soldat était peut-être un bon film mais toute cette clameur pour un acteur de cinéma ! Ah voici Big Ben comme le clocher me paraît petit à présent, nous tournons dans Haymaik et les gens me saluent depuis leurs fenêtres, nous approchons du Ritz, hôtel ou je descends ; on me conduis à ma suite, il y a des bouquets de fleurs envoyés par deux ou trois amis , le directeur se présente, les gens m'acclament; dans la rue Comment réagir ? En me mettant à la fenêtre, je lève les bras, fais le clown , me serre la main à moi même, adresse des baisers , je repère un bouquet de roses et commence à envoyer des fleurs à mes admirateurs, lesquels se jettent dans une folle mêlée pour les récupérer , peu après le chef de police surgit dans ma chambre "Monsieur Chaplin , tout se passe bien, mais de grâce ne lancez plus rien par la fenêtre, vous allez provoquer un accident , des gens vont mourir écrabouillés . Finalement ,Tom Gerayhty, Donald Crisp et moi annonçons notre intention d'aller faire un tour ; nous nous échappons par l'arrière de l'hôtel. Je suis sûr que tout ira bien et que personne me reconnaîtra , je n'en peux plus, je demande donc à Donald et Tom de me laisser , je veux être seul, me promener seul . Je hèle un taxi pour m'éloigner plus vite et demande au chauffeur de m'emmener à Lambeth , nous traversons le nouveau Westiminyer Bridge  , les choses reviennent plus familières, de l'autre côté se trouve le nouveau bâtiment du London Country Council , le chantier à durée des années . Westminyer Road s'est beaucoup dégradé je l'empruntais à pied dans le temps. Mon Dieu ! Là sous le pont ! le vieil aveugle est toujours là ! c'est bien lui, le vieille silhouette que je voyais quand j'avais cinq ans , il a un peu plus de vert sur ses vêtements ,un peu plus de gris dans sa barbe emmêlée , ses yeux ont toujours ce même regard austère qui m'angoissait dans mon enfance ; pour moi tout est trop douloureux, cet homme personnifie la pauvreté dans ce qu'elle a de pire, noyée dans l'inertie engendrée par la perte de tout espoir . Voici Baxter Hall où pour un penny nous allions autrefois voir les plaques, d'une lanterne magique l'ancêtre des films d'aujourd'hui , il y a du sens à ce que je me trouve là. Voilà les bains de Bennington , responsables de nombreux jours d'école buissonnière, on pouvait y nager, en seconde classe , pour trois pence ( si l'on apportait son maillot de bain. ) Nous remontons ensuite Brook Street jusqu'en haut du quartier bohême , nous dépassons le pub Kensington puis empruntons Kensington Cross et Chester Street où j'habitais autrefois .Je retrouve mes amis à L'Embany Club , mais Edqui est fatigué nous quitte après le repas , nous prenons un taxi  et nous nous rendons à Lambeth , je veux leur faire découvrir le quartier en détail comme s'il m'appartenait ; me revient à l'esprit la boutique d'un vieux photographe dans Westminster Bridge Road , je me rappelle y avoir contemplé quant j'étais enfant, un portrait présenté en vitrine celui de Dan Leno  ( célèbre artiste du music hall britannique  (1860-1904) spécialisé dans les chansons comiques et les numéros burlesques l'un de mes idoles dans ma jeunesse ; la photo n'a pas bougé, de même que le photographe son nom , Sharp figure toujours sur l'enseigne, je raconte à mes amis que j'avais été pris en photo dans ces studios, il  y a une quinzaine d'années et nous entrons demander s'il y a moyen de récupérer un tirage " Mon nom est Chaplin dis je à l'employé , nous avons détruit les négatifs , il y a longtemps m'éconduit il ; et les négatifs de M. Leno, vous les avez détruits aussi ? Non mais M. Leno est célèbre !Ainsi en va -t-il de la renommée, j'étais là à me hausser du col , à me prendre pour une sommité en tant que comique et voilà  que le négatif de mon portrait avait été détruit ! Heureusement , une petite compensation m'est offerte : quand j'apprends au type que je suis Charlie Chaplin , il met sa boutique sens dessus dessous pour me tirer le portrait; mais je n'ai pas le temps. Et puis je préfère m'en aller, car j'entends ricaner mes amis devant qui j'avais eu l'intention  de fanfaronner. Puis je décide sur un coup de tête de gagner la France ; j'appelle Car Robinson et lui annonce notre départ imminent pour Paris. A l'approche de la France , j'en viens presque à oublier mon mal de mer . Je suis accueilli par le chef de la police, ce qui me surprend , car j'étais persuadé d'avoir été assez malin pour pouvoir débarquer discrètement . Mais non, le bateau entre au port et j'aperçois un quai noir de monde. Des chapeaux s'agitent, des baisers me sont lancer et des acclamations fusent . Vive Charlot ! Bravo Charlot! Les gens examinent soigneusement mon autographe , ils paraissent déçu :Ah je comprends , ils espéraient un " Charlot " alors je me mets à signer " Charlot" On m'entraîne ensuite vers un drôle de petit train français , tout est différent ici : nouvelle monnaie , nouveau langage, nouveaux visages, nouvelle architecture. Nous entrons dans le wagon restaurant , il s'agit en fait d'une table d'hôte dont le service est assuré par trois garçons, tout le monde est servi en même temps, voilà l'économie à la française. Il pleut à notre arrivée à Paris, une avalanche de reporters me tombe dessus, nous sommes repérés par un journaliste qui nous suggère une autre sortie et nous montre le chemin. Je saute dans un taxi et me fais conduire à l' hôtel Claridge . Le lendemain , Waldo Frank et moi nous retrouvons pour une promenade, nous nous asseyons sur un banc des Champs -Elysées et regardons les charrettes qui se dirigent vers le marché au petit matin , Paris me semble particulièrement belle en cet instant. Quelle ville! Quelle force à fait d'elle ce qu'elle est ? Qui donc à pu concevoir un tel endroit , un tel pays de gaieté perpétuelle ? C'est un chef d'œuvre parmi les cités, le dernier lieu en fait de plaisir . Puis je suis invité chez un grand couturier à la mode, quel régal de pouvoir admirer le défilé des mannequins dans cet immense et luxueux établissement . Puis une fête est organisée par Dudles Field Malone au Palais Royal dans un quartier de Montmartre. Le lendemain Waldo Frank accompagné de Jacques Copeau, l'un des plus grands dramaturges et comédien français qui administre et dirige son propre théâtre , nous nous rendons ensemble au cirque, je n'ai jamais vu tant de clowns à la mine déconfite , nous dînons tout les trois dans un café du quartier Latin ; vers quatre heures nous échouons dans un autre café , mal éclairé, mais très fréquenté , nous nous asseyons là un moment pour observer les clients ; on joue de la musique stimulante, exotique et entraînante , les demoiselles sont pleine de vie . Un corse je crois , attire mon regard,  il s'arrête à toute les tables en appelant les filles par leurs prénoms, il fait la quête pour les musiciens, il s'incline avec élégance et se répand en remerciements ; une fois la collecte terminé, il lance en faisant cliqueter la monnaie . Dansez maintenant ! Les gens commencent à chanter, ils ont bu juste assez pour devenir sentimentaux; nous quittons les lieux. Le train quitte la gare  si tard dans la soirée , qu'il m'est impossible de voir la France dévastée, alors que nous en traversons une bonne partie. Notre compartiment est mal aéré et sent mauvais, une fois de plus la foule s'était réunie sur le quai pour nous dire aurevoir . Une belle Française m'offert un bouquet de fleurs. Nous arrivons à Jeumont près de la frontière belge autour de minuit. J'ai l'impression de recevoir un message du pays en découvrant qu'une bande de soldats américains est venue m'accueillir à la gare; et ils ne sont pas seuls, car des bidasses français, belges et britanniques me saluent aussi à grands gestes en m'acclamant. J'aurai voulu parler aux Belges , nous essayons de discuter, mais en vain , quel dommage ! Cependant , l'un deux à une heureuse inspiration : " Un verre de bière Charlot !" je hoche la tête en souriant, à ma grande surprise, on me tends une chope que je porte à mes lèvres, par politesse au début , mais que je vide jusqu'à la dernière goutte par plaisir ; "Excellente cette bière !" Dans le train j'apprends que mes films ne sont pas projetés en Allemagne et que je n'y suis pratiquement inconnu ; cela me ravit , je vais pouvoir me détendre et échapper aux foules . L'Allemagne est magnifique, tout y dément la guerre, sur le parcours de notre train , un tas de gens labourent les champs et s'activent fiévreusement ; Hommes , Femmes, enfants tout le monde est au travail ! Partout on bâtit des usines. A Berlin , nous descendons à l'hôtel Adlen: il est plein à craquer, à causes des courses automobiles qui se déroulent en ce moment . La politesse abrupte des Allemands à l'égard des étrangers me marque, j'y décèle une pointe d'amertume. Dans le hall , il y a une foule notamment des Américains et des Anglais, qui ne tarde pas à me repérer; alors qu'un certain nombre de reporters commence à s'agiter autour de moi , les Allemands ne bougent pas , se contentant d'observer la scène d'un air perplexe . Le théâtre de la Scala , ou je passe la soirée, est très intéressant  quoi qu'un peu vieillot , il contient cinq milles places essentiellement au niveau du parterre , et dispose d'un tout petit balcon. C'est un théâtre de variétés , de music-hall, spécialisés dans les numéros de jongleurs, d'acrobates et de danseurs; pendant l'entracte, on à droit à des saucisses de Francfort et à la bière, servies directement dans la salle . En sortant du théâtre, nous nous rendons au café Scala, une sorte de casino , c'est l'un des plus grands débits de boissons de Berlin, et son style architectural est d'une modernité extrême; de là nous gagnos le Palais Heinroth , l'endroit le plus onéreux de Berlin et le haut lieu de la vie nocturne, il se détache dans la ville modestement éclairée grâce à ses illuminations; car ici les rues sont sombres et sinistres: c'est alors que le poids de la guerre et de la défaite se fait ressentir. Dans le quartier des affaires , nous croisons beaucoup de nudités visiblement amères et maussades; des gens qui n'ont rien reçu après avoir pourtant payé, un soldat cul de jatte vêtu d'un uniforme déteint nous demande l'aumône , voilà l'empreinte laisser par la guerre, de ces scènes on en voit partout à Berlin . Le premier soir à Paris après mon retour d'Allemagne, nous dinons chez Poccardi ( célèbre restaurant italien de l'époque) puis nous remontons jusqu'aux anciennes portes de Paris, nous dérivons ensuite jusqu'à Montmartre et nous arrêtons au Rat Mort ( café fréquenté par les gens de lettres et les artistes se trouvaient au numéro 7 de l'actuelle place de Pigalle, à l'angle de la rue Frochet) l'un des plus fameux restaurant. Une fille d'une beauté frappante se faufile devant notre table, ses cheveux blonds coupés au carré ombragent ses traits gracieux et délicats, ses yeux étranges d'un bleu violacé. Bien qu'il n'y ai que peu de clients, je suis vite reconnus, les Français sont si démonstratifs, " Salut Charlot ! " crient t'ils en faisant un signe. Comme l'orchestre entame les premiers accords d'un air russe, elle se lève et se met à chanter. Fascinant ! Quel artiste ! Que fait t'elle ici ? il faut que je fasse connaissance , j'appelle le garçon et lui demande d'expliquer au patron que j'aimerai rencontrer la chanteuse . Une fois les présentations faites, je l'invite à ma table; " Etes vous Bolchéviques ?" elle rougit, elle semble brusquement s'enflammer , " Non ils sont méchants , le Bolchévique est très mauvais, le Bolchévique , bonne idée dans la tête , mais pas en pratique, mon père ,ma mère, mon frère, tous en Russie et très pauvres; je lui demande si elle aimerait travailler dans le cinéma, son regard se met à briller, elle n'a que vingt ans et se produit ici que depuis deux semaines, elle s'appelle Skaya je note son nom et son adresse dans mon carnet, et lui promet de faire tout mon possible. J'avais promis d'assister à la première du Kid , au cours de l'après midi me sont livrés deux cent cinquante programmes souvenirs pour que je les signe; ce soir, ils seront vendus cent francs l'unité. Pour l'occasion , cette journée à été déclarer férié à Paris et , comme la recette de la projection doit être versée au fond de soutien à la France dévastée, les élites du pays sont là . Je suis présenté à l'ambassadeur Américain Herrick puis, après que l'on m'a montré ma loge aux membres du gouvernement français . A la fin de la projection , je reçois un message du ministre; accepterais je de passer dans sa loge pour y être décoré ? J'aurai du m'en douter qu'un truc de ce genre m'attendait , on me présente et le ministre se lance dans un discours qu'on me traduit. Le lendemain , Elsie de Wolfe ( Ella Anderson de Wolfe 18656-1950 actrice décoratrice américaine qui vécut à la villa Trianon entre 1903et 1939 ) me reçoit à déjeuner à la villa Trianon à Versailles, un moment aussi intéressant qu'agréable au cour duquel je croise les poètes et les artistes les plus en vue . J'ai rendez vous le lendemain en Angleterre pour déjeuner avec Sir Philip Sassoon et rencontrer Lloyd Georges, départ huit heures du matin nous prenons l'avion , peu après notre décollage , nous sommes forcer par le brouillard d'atterrir sur la côte française, ce qui nous retarde de deux heures . Une fois à l'hôtel je retrouve Sir Philip qui m'annonce que Lloyd Georges n'a pas pu patienter plus longtemps qu'il avait un rendez-vous très important à quatre heures , je joue vraiment de malchance , car c'était la seule occasion de rencontrer le Premier ministre Britannique . C'est ma dernière nuit en Angleterre , et j'ai promis à mon couin Aubrey de passer la soirée avec lui , pour le dîner quelqu'un apporte un vieil album pareil à tout les autres , c'est ton arrière grand oncle et elle c'est ton arrière grand mère, voici tante Lucy, lui c'était un général français, Aubrey ajoute tu sais , nous descendons d'une très bonne famille du côté de ton père , il y a des portraits d'oncles qui sont de très riches éleveurs en Afrique du sud. C'est la première fois que je prends conscience de ma famille, et je suis désormais persuadé que nous sommes d'authentiques aristocrates que du sang bleu coule dans nos veines . Nous déterrons tous les membres de la famille et les passons en revue, jusqu'aux oncles d'Espagne... Ne saviez vous pas que, nous autres les Chaplin, avions peuplé la Terre ?Tout le monde est descendu du paquebot, depuis le quai, mes amis me lancent des gestes d'adieu, j'ai une boule dans la gorge, mes joues sont humides, une charmante fillette d'environ huit ans débordant de joie enfantine et à la voix pétillante, s'approche de moi : Oh Monsieur Chaplin, je vous ai cherché partout sur le bateau, s'il vous plaît adoptez moi comme vous l'avez fait avec Jackie Coogan , nous pourrions briser les vitres ensemble et nous amuser comme des petits fous, j'adore vos films " Tu aimes casser les vitres ? Tu dois être espagnole lui dis je " Oh non je suis juive , réponds t-'elle" Voilà qui explique ton génie  Oh vous pensez donc que les juifs sont intelligents ? Bien sûr , tous les grands génies ont du sang juifs , non je ne suis pas juif, dis je alors qu'elle s'apprête à me poser la question ...Arrivée à Los Angelès , je profite de l'agitation générale pour m'éclipser et aller assister à une matinée des Lys des champs avec Marie Doro . Puis nous faisons une brève étape à Chicago, et tandis que le train reprends sa course, je fais défiler mes vacances. Chaque épisodes me semble merveilleux.