jeudi 23 novembre 2023

L'Odyssée de l'Endurance Ernest Shackleton





Né à Kilkee en Irlande le 15 février 1874, dans une famille de dix enfants dont le père est médecin, Ernest  Shackleton  arrive à Londres à l'âge de dix ans . Après ses études au collège de Dulwich , il s'engage à dix sept ans dans la marine marchande et devient sous lieutenant de la Royal Naval Reserve  en 1901, cette même année il connaît sa première expérience en Antarctique, sous les ordre de Robert Falcon  Scott, en tant que troisième lieutenant à bord du Discovery. Atteint de scorbut lors de cette expédition, il est contraint de rentrer chez lui où il s'essaie à plusieurs métiers :Journaliste, secrétaire de  la Royal Scottish Géographical  Society, hommes d'affaires, il se porte même candidat à des élections parlementaires. Mais l'Antarctique demeure son obsession et la rencontre avec un jeune officier de la Navy l'incite à tenter une nouvelle expédition en direction du pôle. J'avais décidé de quitter la Géorgie du Sud vers le 5 décembre. Pendant les derniers préparatifs, je révisai l'itinéraire de la route qui devait nous conduire au lieu d'hivernage, la glace était descendu très au nord, cette saison là : d'après les conseils des capitaines baleiniers, je décidai de cingler sur le groupe des Sandwich du Sud en contournant Ultima Thulé , de faire route vers l'est jusqu'au 15° méridien et ensuite seulement de me diriger au sud . Leurs prévisions m'inciteront à faire le plein de charbon : s'il nous fallait frayer un chemin dans la glace jusqu'à la côte du continent, nous aurions besoin de tout le combustible que le bateau pouvait porter. J'espérais qu'en nous dirigeant d'abord vers l'est jusqu'au 15° méridien nous pourrions ensuite avancer vers le sud à travers des glaces flottantes gagner le Couts Land et atteindre Vahsel Bay, où Filchner essaya d'atterrir en 1912. Ensuite , si nous pouvions établir sur le continent une base vraiment solide, je maintiendrais le programme primitif . Ce programme consistait à envoyer un groupe au sud, l'Aurora transportera six hommes sur la côte de la mer de Ross. Ils installeront des dépôts sur la route suivie par le détachement transcontinental un à l'ouest l'Endurance déposera  en tout quatorze hommes sur la côte de la mer Weddell  .Le jour du départ arriva . Le 5 décembre 1914, à 8h45 du matin, je donnai l'ordre de lever l'ancre. Le cliquetis du cabestan fut pour nous le dernier écho du monde civilisé. La matinée brumeuse et couverte , avec averses de neige et de grésil, n'empêchait pas les cœurs d'êtres légers à bord de l'Endurance. Finis, les longs jours de préparatifs et d'attente: maintenant commençais l'aventure. J'étais très satisfait des chiens, bien installés dans le bateau, ils étaient dans d'excellentes conditions. Le 6 décembre, l'Endurance avança direction sud, sa course était dirigée par le passage situé  entre l'île Sander et le volcan Candlemans . Le 7 décembre surgit le premier obstacle, en effet, à peine  les îles dépassées nous rencontrâmes des glaces flottantes , les voiles furent carguées et, à la vapeur, le bateau avança lentement .La nuit suivante, la situation devint dangereuse, l'aube naissante nous trouva dans un lac dont les bords de glace se resserraient autour de nous . j'espérais avec anxiété l'indice d'un changement de vent : une brise d'est nous aurais ramenés vers les îles. La proue de l'Endurance, lancée à toute vapeur contre la glace nous fraya un chemin , bientôt nous tournâmes à l'est , espérant trouver une glace moins épaisse. Dans la matinée du 12 décembre, nous manœuvrons parmi des glaces disloquées. Le 14 décembre, la situation s'aggrava; nous affrontions à présent un brouillard obscur et des chutes de neiges intermittentes, à 8 heures du soir , nous fûmes arrêtés par un banc de glace ; il était impossible de continuer sans risques sérieux pour le gouvernail et l'hélice. Pendant 24 heures , l'Endurance resta immobile  . Pendant ces semaines de manœuvres vers le sud , à travers les dédales tortueux de la banquise, il fallait souvent briser  la glace à coup de bateau, quand la route était barrée par des glaces d'épaisseurs moyenne, nous lancions le bateau à mini vitesse et , les machines étaient arrêtées juste avant le choc. Au premier coup , il taillait dans la glace une entaille en forme de V ; l'avant s'élevait presque hors de l'eau , puis le navire glissait en arrière tout en roulant. ensuite , veillant soigneusement à ce que les glaçons flottants n'en dommages l'hélice, nous faisions machine arrière , alors à toute vitesse, le bateau était de nouveau précipité dans le centre du V, une échancrure se découpait dans laquelle le bâtiment venait s'enfoncer à plusieurs reprises. Au quatrième essai généralement, la glace cédait ,une ligne noire et sinueuse comme un trait de plume apparaissait , plus large près du bateau lequel s'engageait sans attendre; par ce moyen , l'Endurance pouvait briser une glace de deux ou trois pieds d'épaisseur. Les trois premiers jours de mars , une rude tempête du nord est souffla qui fit dériver notre pack, plus consolidés que jamais .Les membres des scientifiques de l'expédition étaient tous très occupés, le météorologue ne quittait pas son poste d'observation, installé à la proue, avec anémomètre barographe, thermographe, les cailloux trouvés dans l'estomac des pingouins , quelques fragments de roches ramenés par la drague offraient un intérêt considérable, Clark, le biologiste employait la drague dans les chenaux et ramenait des quantités de plancton et , parfois des spécimens du plus haut intérêt . Dans la première partie d'avril, deux tempêtes du nord est contribuèrent à consolider notre pack, la glace nouvelle s'épaississait rapidement. Le 4 avril on entendait encore la glace craquer et broyer et le bateau vibrait légèrement, le 9 , nouveaux signes de pression à l'arrière du bateau , des entassements de glace nouvelle s'élevèrent à onze pieds, l'alerte en resta là ; mais je compris que c'était le commencement de graves difficultés. Le 11 apparut au nord est un nouvel iceberg qui devait nous causer quelques anxiété; il était énorme. On sent son impuissance devant ce long hiver. Si la fortune avait souri à l'expédition, nous aurions été installés confortablement sur le rivage du sud, dressant des plans pour la longue marche du printemps et de l'été. Où atterririons nous maintenant ? Ce n'était pas facile à prévoir. Le 30 septembre fut un mauvais jour; il commença heureusement par la capture de deux pingouins et de cinq phoques, mais l'après midi à 15 heures, les crevasses ouvertes pendant la nuit le long du bateau commencèrent à travailler latéralement . Le bâtiment eut à supporter de terribles pressions à bâbord, c'était la plus terrible compression que nous eussions ressentie jusque là. Le pont tremblait et sursautait , les poutres s'arquaient, les étançons pliaient J'ordonnais aux hommes de se sentir prêt à tout , quelle tristesse après des mois du combat le plus brave et le plus hardi que le bateau ait jamais soutenu un si vaillant petit vaisseau avait été finalement broyé dans l'étreinte lente et implacable du pack de la mer de Weddell ! L'Endurance méritait toutes les louanges, mais combien de temps pourrait-il soutenir le combat dans de telles conditions ? Nous dérivions dans une partie de la mer congestionné par les glaces, la plus mauvaise fraction de la plus mauvaise mer au monde. Le 1er octobre quelques chenaux s'ouvrirent mais en admettant que l'Endurance fût libérée, ils étaient trop étroits pour la navigation. Le dimanche 24 octobre marqua pour l'Endurance le commencement de la fin, nous avions maintenant vingt deux heures et demi de jour, nous les passions à surveiller la terrifiante avancé des glaces, l'assaut fut terrible, à tribord l'étambot fut tordu , le bordage arraché; tout le bâtiment était ébranlé et gémissait , le navire se tordait littéralement et commençait à faire eau dangereusement . Je mis les pompes en action, les hommes travaillèrent toute la nuit. Les grandes pompes et les pompes à main gelées ne pouvaient pas être employées , Worsley, Greenstreet et Hadson durent descendre dans la cale afin de boucher les fissures, nous pataugions dans l'humidité avec des mains glacées, et il fallait empêcher le charbon de s'échapper par les fentes. Du pont  les hommes versaient des sceaux d'eau bouillante dans les conduits pendant que nous martelions en bas . Dans ce monde étrange nous étions des intrus, tout à fait impuissants , notre vie était le jouet de forces primitives et brutales qui se moquaient de nos faibles efforts. Déjà , je n'osais presque plus espérer la survie de l'Endurance . Nous étions parés à tout événement : provisions, chiens , traîneaux, équipements , tout était prêt à débarquer , à la moindre alerte. Le jour suivant , des bruits de pression nous arrivaient toujours et des chocs se faisaient sentir par intermittence; à l'intérieur se faisait entendre les craquements des charpentes, les "coups de pistolets" produits par la rupture du bordage ou des machines et par là dessus le gémissement indéfinissable de notre bateau en détresse, le bâtiment tout entier se courbait comme un arc sous une pression titanesque. Tout comme une créature vivante il résistait aux forces qui voulaient le broyer, mais le combat était inégal des millions de glaces écrasaient inexorablement le petit navire qui avait ,osé affronter l'Antarctique; de nouveau nous faisions eau de toutes part. A 9 heures du soir , j'ordonnais que les canots , provisions etc....fussent descendus. Après ces long mois d'efforts et d'anxiété, pendant lesquels notre espérance avait résisté à tout, l'Endurance agonisait, nous étions contraints d'abandonner notre bateau broyé sans espoir; mais nous restions vivants et bien portants, désormais il nous fallait une terre tous au complet. Hommes et chiens descendirent sur la glace et s'installèrent à quelques distance sur une surface unie, relativement sûre Nous dressâmes le camp pour la nuit, mais vers 7 heures du soir notre glaçon commença à se fendre et à craquer sous nos pieds; je déplaçait le campement de survie sur un autre glaçon plus grand, il fallait convoyer les canots, nous avions deux tentes pointus et trois tentes à cerceaux. Pendant la nuit , la température tomba à 27° sous zéro et la plupart des hommes souffrirent du froid, je réunis l'équipage et lui expliquais brièvement et clairement la distance qui nous séparait de la barrière et de l'île Paulet . Je proposait d'avancer à travers les glaces avec tout notre équipement dans la direction de l'île. L'intensité de la dérive et l'état atmosphérique amenait à la conclusion que la dérive de notre banquise dépendait uniquement  du vent et non des courants. nous désirions, naturellement dériver vers le nord, afin de retrouver l'eau libre et de pouvoir mettre les bateaux à l'eau. Chaque jour des groupes partaient à la chasse, à la recherche de phoques et de pingouins, en plus des rations de traîneau ( farine, thé, sucre , légumes secs) Le 7 avril à l'aube, le pic tant désiré de l'île Clarence apparut au nord. Le 9 avril un dimanche matin, ce jour là devait voir notre départ du glaçon sur lequel nous avions vécu près de six mois. J'avais décidé de prendre le commandement du James Caird  avec Wild et onze hommes, c'était le plus vaste des canots, en plus de son chargement humains, il porterai la plus grande partie des provisions. Wersleh pris la direction du Dadley Docker avec neuf hommes et Hudson et Grean celle du Stancomb Wills. Les hommes de notre canot paraissaient épuisés et, dans les visages imprégnés de saumure, les lèvres craquelées, les yeux et les paupières rougis, les barbes, mêmes celles des plus jeunes, n'auraient pas déparés des patriarches blanchies qu'elles étaient par la gelée et l'écume salée, les autres hommes de l'autre barque valaient pas mieux. Nous longions à présent des falaises rocheuses et des glaciers qui n'offraient pas la moindre possibilité d'accoster. Enfin à 9h30 nous découvrîmes une plage étroite et rocheuse au pied des falaises à pic. C'était le premier atterrissage jamais réalisé sur l'île de l' Eléphant, les trois bateaux amenés à la plage n'était accessible qu'en deux endroit par des pentes de neige. La mer montante nous obligeait à tirer les bateaux toujours plus haut sur la grève. Il nous fallait atteindre la Géorgie du sud avant que l'hiver nous fermât la mer, il fallait à toute force chercher du secours. Les pieds de Blackborron gelés pendant le voyage en bateau étaient en mauvais états et les deux médecins craignaient  qu'une opération ne fût nécessaire. Les provisions étaient aussi une considération vitale, ces rations pouvaient être prolongés jusqu'à trois mois si l'on en réduisait au minimum , et j'espérait que phoques et éléphants de mer y suppléeraient . Le détachement de secours ne prendrait pas plus d'un mois; Wild restait en tant que commandant chef, je lui confiai le groupe, les hommes sur la plage formaient un pathétique petit groupe, leurs cœurs étaient pleins d'espoir dans le secours que nous allions chercher. Et bientôt le James Caird perdit de vue la plage , le vent d'est nous poussa rapidement dans le pack. Les seize jours suivant ne furent qu'une lutte de chaque instant sur les eaux agitées , l'océan subantarctique  nous rappela à sa réputation diabolique. Nous finîmes par distinguer au milieu des récifs, un passage, le vent s'acharnait sur nous, après cinq tentatives infructueuses la manœuvre réussit enfin, et au crépuscule nous entrâmes dans la large baie .Sautant sur la plage avec le câblot, je retins le bateau, nous découvrîmes un courant d'eau fraîche, buvant à long traits l'eau pure et glacée nous rendait à la vie .Il fallait penser à la dernière étape du voyage, le bateau était moins résistant, cent cinquante milles par la mer nous séparait encore de la station baleinière de Stromness, plusieurs jours passèrent avant que nous eussions retrouvé assez de force, dans l'après-midi Crean et McCarthy  rapportèrent six jeunes albatros, nous étions donc bien approvisionner en viande fraîche . Je projetai d'escalader la pente de neige et ensuite de nous guider d'après la configuration du pays toujours vers l'est entre cette chaîne et le défilé au-dessus de notre camp, un grand plateau neigeux s'élevait vers l'intérieur . Longeant la base de la montagne nous arrivâmes à un gigantesque bergschrund, cet effrayant ravin creusé dans la glace et la neige avait une forme  semi circulaire, il nous fallait  monter, après une pénible ascension nous fûmes au sommet après trente six heures de marche enfin  à 6h30 j'entendis le son d'un sifflet à vapeur, je savais qu'à la station baleinière  les hommes sont réveillés vers ce moment là, deux heures furent nécessaires pour descendre. Nous nous hâtions, tout près de la station , nous dirigeant vers l'entrepôt, je demandai à l'homme préposé à la surveillance la maison de l'administrateur. Mr Storlle nous accueillis sur le pas de la porte il nous offrit du café et des gâteau puis nous conduisit à la salle de bains , nous étions sales en guenilles plein de barbe . Nous discutâmes après le repas des moyens de secourir nos camarades qui étaient restés sur l'île de l'Eléphant .Le capitaine Thom, un vieil ami de l'expédition était à Huswik avec son bateau, il s'offrit à nous accompagner, le 9 mai nous étions en mer mais nous serons bloquer par un immense pack qui formait une barrière impénétrable, il fallait céder devant l'échec. J'avais l'esprit tendu, uniquement occupé par les moyens de délivrer ceux de l'île de l'Eléphant au plus tôt , l'hiver avançait . Un deuxième sauvetage avec le chalutier nommé Institue de Pesca  mais celui-ci échoua  pris dans une glace compacte il fallut rapidement et avec précaution faire machine arrière. Puis un troisième sauvetage avec une goélette Emma  en chêne, forte et résistante à la mer , mais nous échouâmes à nouveau ballotée comme un bouchon elle était plus légère , la sous barbe fût brisée et la conduite d'eau de la machine touche la glace. Je ne pouvais pas prendre mon parti d'attendre inactif six ou sept semaines sachant qu'à six cent milles de là mes camarades enduraient de cruelles privations. Je demandais au gouvernement chilien d'envoyer le Yelco, le gouvernement ayant consenti, le 25 août , je partais au sud pour la quatrième fois, et la providence nous favorisa, la glace n'y séjournait plus, le Yelco approcha l'île dans un brouillard épais; la mer qui se brisait sur un récif m'indiqua que nous étions tout près de l'île. Enfin nous apercevions des hommes sur la plage, plusieurs étaient en piteux états, mais Nild avait su maintenir l'espoir vivant dans les cœurs .    Ernest Shackleton meurt un 5 janvier 1922 d'une crise cardiaque à bord de son bateau. Ainsi disparaît celui qui proclamait " Jamais je ne consentirai à abaisser mon pavillon!" Son corps rapatrié à Montevideo, est enterré en Géorgie du Sud selon les souhaits de son épouse .    

          Je remercie mon guide et ami Steph de m'avoir offert ce livre qui délivre un message , de ténacité , de dépassement de soi , d'endurance et d'instinct de survie