samedi 25 avril 2020

La vie secrète de Salvador Dali



Dans la ville de Figueras le 11 mai 1904 Don Salvador y Casi natif de Cadaquès province de Gérone âgé de quarante un ans notaire, marié à Dona Felipa Dome Domenech âgée de trente ans native de  Barcelone inscrivit sur le registre de l'état civil la naissance d'un enfant prénommé Salvador, Felipe et Jacinto . Suis-je un  génie? Pour Salvador Dali la réponse est oui : Pour lui , cela ne fait aucun doute depuis l'enfance."Regarde! Salvador Dali vient de naître. le vent a cessé de souffler et le ciel est pur.  La Méditerranée est calme et sur son dos lisse de poisson on peut voir briller comme des écailles les sept reflets du soleil ; ils sont bien comptés et tant mieux car Salvador Dali n'en voudrait pas plus! C'est par un matin semblable que les Grecs et les Phéniciens ont débarqués dans les golfes de Rosas et d' Ampurias pour y préparer le lit de la civilisation et les draps propres et  théâtraux de ma naissance, s'installent au centre de cette plaine de l'Ampurdan qui est le paysage le plus concret et le plus objectif du monde ." A six ans je voulais être cuisinière. A sept, Napoléon, depuis mon ambition n'a cessé de croître, comme ma folie des grandeurs. Mon frère était mort à sept ans , d'une méningite, trois ans avant  ma propre  naissance, désespéré mon père et ma mère ne trouvèrent de consolation qu'à mon arrivée au monde .J'étais le roi absolu de la maison. Rien n'était assez beau pour moi , mon père et ma mère m'idolâtraient.Le jour de la fête des Rois je reçus entre d’innombrables cadeaux éblouissant, costume de roi, avec une couronne d'or et de topazes, et une cape doublée de véritable hermine .On m'interdisait  d'aller dans les cuisines , quand j'y parvenais , parmi les cris amusés des bonnes , c'était pour voler un morceau de viande cru ou un champignon grillé que j'avalais au risque de m'étouffer .Quand j'eus sept ans mon père décida de me mettre à l'école, il dut s'y prendre de force et me traîner par la main .Comment ne me serais-je pas considéré comme tout à fait exceptionnel , précieux et délicat, moi le gosse de riche, au milieu de   ces gamins en haillons qui m'entouraient ? J'étais le seul à apporter avec moi du chocolat chaud dans un thermos enveloppé dans une housse brodée à mes initiales, je portais un costume marin aux insignes brodées d'or  sur les manches, mes cheveux étaient brossés amoureusement étaient toujours parfumés et les enfants s'approchaient de moi à tour  de rôle  pour renifler ma tête;je ne jouais ni ne parlais avec eux, d'ailleurs eux mêmes me considéraient  tellement à part qui ne m'approchaient avec méfiance pour admirer de près un mouchoir en dentelle ou ma nouvelle canne de bambou flexible avec son pommeau d'argent. Que fis je pendant cette année dans cette misérable école primaire! Autour de moi, silencieux et  solitaire les enfants jouaient , se battaient, hurlaient, pleuraient, riaient, avides de vivre, comme j'étais loin pour ne pas dire à l'opposé de ce besoin d'action qui les agitaient !Dans la classe numéro 1 de l'école des frères de Figueras , j'étais constamment absent de cette nouvelle classe, par la fenêtre je vois deux grands cyprès, je suivais la marche des ombres et de la lumière sur les deux arbres, juste avant le coucher du soleil , l'extrémité droite apparaissait éclairée d'un rouge obscur comme  trempé dans du vin ,tandis que celui de gauche entièrement à l'ombre  n'était déjà plus qu'une masse noire, la cloche de l'Angélus tintait et toute la classe debout répétait en chœur la prière à voix basse pour le supérieur aux mains jointes.Les frères avaient remarqué mon obstination à regarder les cyprès, on me changea donc de place, mais sans résultat, car je continuai à regarder à travers le mur, comme si je les voyais encore , dans mon acharnement  à ne pas les perdre, mon imagination finissait par reconstruire le spectacle disparu .Pour échapper aux interrogations du Frère que je sentais imminents , je me levais d'un seul bond, rejetait brusquement mon livre que depuis une heure  je feignais d'étudier , mais dont en réalité je n'avais lu une seule ligne, paraissant possédé d'une décision inébranlable je montais debout sur le banc, puis j'en redescendait ,  pris de panique, me protégeant le visage de mes  bras  comme si quelques danger me menaçait ; cette pantomime me donnait l'autorisation de sortir seul pour me promener dans le jardin, mes parents , sans doute prévenus de ces faux phénomènes hallucinatoires, recommandèrent  aux supérieurs de l'école des soins redoublés et tout spéciaux auprès de ma personne.Une ambiance  d'exception m'entoura et bientôt on n'essaya même plus de m'apprendre quoi que ce fût : J'adorai déjà trois choses :la faiblesse , la vieillesse et le luxe , mais plus haut encore que ces trois représentations auxquelles inspirait ma personne , régnait le besoin impérieux d'une solitude outrancière, accompagné d'un autre sentiment qui devait le servir pour ainsi dire de "cadre" le sentiment de la "hauteur ", du " sommet". On me donnât la buanderie dans les combles de notre maison , me laissant libre  d'y installer à mon gré un atelier. Dès mon enfance , je tendis désespérément  à me trouver en haut , quelle magie palpitante celle d'échapper à la salle à manger pour grimper comme un fou sous mon toit et m'enfermer à clé dans mon réduit, ma solitude s'y sentait invulnérable.De là haut ( la maison de mon père était une des plus hautes de Figueras ) je dominais la ville et mon horizon s'étendait jusqu'à la baie de Rosas , parfois cependant , je regrettais amèrement de ne pas courir les rues et participer le soir aux jeux aphrodisiaques dont je percevais les cris de plaisir, des filles et des garçons, ces clameurs montaient jusqu'à moi et me perçaient le cœur d'une flèche.Mon narcissisme se métamorphosait en rêverie cosmique, jusqu'à ce qu'une larme indulgente coula le long de ma joue  vînt apaiser le tumulte de mon âme;depuis un moment , je sentais à l'intérieur de ma main caressante quelque chose de petit, de bizarre et d'humide que je regardais avec surprise ;c'était mon sexe  . Mes parents décidèrent de m'envoyer au repos à la campagne dans une propriété de la famille Pitchot à deux heures de Figueras. Je partis en cabriolet avec M. et Mme  Pitchot et leur fille adoptive de seize ans , Julia, nous arrivâmes juste après le coucher du soleil.Le Moulin de la Tour m'apparût , comme un lieu magique, il semblait avoir été bâti pour me permettre de continuer mes rêves éveillés. Voici dans les grandes lignes le programme de ma journée au Moulin de la Tour Le lever comportait une cérémonie exhibitionniste , pour bien réussir mon coup, il me fallait me réveiller avant l'entrée de Julia dans ma chambre, lorsqu'elle venait ouvrir les volets, j'employais ces minutes à savourer l'émotion érotique que je tirerais de mon exhibition surtout à inventer la pose, varié chaque jour, au moment où la porte s'ouvrait, je restais figé, feignant le sommeil le plus paisible en réalité , si on m'avait regardé attentivement , on aurait noté un tremblement terrible de mon corps, elle s'approchait de mon lit, pour recouvrir ma nudité d'un des draps que j'avais volontairement rejeté, puis je prenais le petit déjeuner servi pour moi tout seul dans la salle à manger :deux tartines de pain grillé au miel et une tasse de café au lait très chaud. Comme les murs  de la salle à manger étaient couvert de peinture à l'huile, je n'avais pas assez de mes deux yeux pour contempler ces tâches de peinture  épaisses et informes, qui idéalisaient la toile de la manière la plus capricieuse, jusqu'à ce qu'un recul d'un mètre ou un clignement des yeux rendissent par miracle leurs formes à ces visions tumultueuses ;le plus ancien des tableaux de M. Pitchot rappelait la manière de Toulouse Lautrec, l'érotisme de ces allusions littéraires à la mode 1900 brûlait au fond de ma gorge comme une goutte d'armagnac avalée de travers, je me souviens surtout d'une danseuse de Tabarin faisant sa toilette :elle avait un visage d'une perversité maladive et des poils rouges aux aisselles . Je grandissais dans la propriété de M. Pitchot à Cadaquès, la moitié de mes joues étaient recouvertes par des favoris en forme de côtelettes, je ne portais que des costumes en velours noir souple , tous les soirs je me rendais à l'école officielle de dessin ;mon professeur M.Nunès était un excellent dessinateur, ancien prix de Rome de gravure, passionné pour les Beaux-Arts, il m'emmenait chez lui pour m'expliquer les mystères du clair obscur et des rayures sauvages d'une gravure de Rensorat, je sortais de chez M. Nunès exalté et stimulé, les joues enfiévrées par les plus grandes ambitions artistique. Je partis pour Madrid, avec mon père et ma sœur, l'admission à l'école des Beaux-Arts comportait  l'exécution  d'un dessin d'après l'antique , nous avions six jours pour le réaliser. Le résultat de l'examen ne fut pas moins explosif, j'étais admis à l'école des Beaux-Arts avec cette mention " Bien que le dessin n'ait pas été exécuté dans les dimensions réglementaires, il est si parfait que le jury l'a approuvé .Dans ma chambre, je peignais mes premières toiles cubistes intentionnellement influencées par Juan Crois , je n'utilisais à cette époque que le noir, le blanc, le terre de Sienne et le vert olive, un grand chapeau de feutre noir compléta mon accoutrement avec une pipe que je n'allumai jamais. Malgré mon enthousiasme du début  je fût vite déçu par l'école des Beaux-Arts, en effet , loin de se réfugié dans un conformisme académique, ils étaient" déjà" progressistes , ouverts aux nouveautés" Mon ami, chacun doit trouver sa manière , il n'y a pas de loi en peinture. Interprétez ...Interprétez en laissant ce que vous voyez, mettez y votre âme, en peinture c'est le tempérament qui compte! Le tempérament!" Dans le groupe de la résidence se trouvaient Pepin Bello, Luis  Bunuel, Garcia Lorca, Pedro Ganfias, Eugenio Montès, et tous ceux que j'allais connaître à cette époque, deux seulement atteindraient les sommets :Garcia Lorca dans la poésie et le drame, Eugénio Montès dans les escaliers de l'âme et de l'intelligence , l'un était de Grenade, l'autre de Saint Jacques de Compostelle puis ils m'acceptèrent, je donnai tellement l'impression de les surclasser que bientôt tout le groupe se mirent à répéter:  "Dali a dit cela ...Dali a peint ceci...Dali a répondu...Dali pense que ...C'est dalinien...."tout ce qu'ils possédaient je le possédais déjà à la puissance carré ou cubique, seul Garcia Lorca m'impressionnait .Je fus expulser définitivement de l'école des Beaux-Arts on m'accusa d'avoir fait naître une révolte pour la nomination d'un professeur de peinture à l'Académie , la garde civile m'arrêta et on m'enferma dans la prison de Figueras, et au bout d'un mois on me transféra dans celle de Gérone , puis enfin on me remis en liberté.Mes parents m'emmenèrent à Cadaquès où je repris ma vie d'ascète, me donnant tout entier à ma peinture et à mes lectures . Des tableaux de moi furent exposés dans de grandes galeries à Madrid et à Barcelone, Paris entendit murmurer qu'un peintre nouveau venait d'être découvert en Espagne . Picasso , de passage à Barcelone , avait vu  " ma Fille de dos" et en avait parlé très élogieusement. Je fis un premier séjour à Paris, je fus présenté à Picasso par Manuel Angelo Ortiz, un peintre cubiste de Grenade ;quand j'arrivai chez Picasso rue de la Boétie, je fus aussi ému et respectueux que si j'avais une audience avec le pape lui même. " Je viens chez vous avant de visiter le Louvre dis-je, vous n'avez pas tort , répondit-t'il . Un soir , Goemans  mon futur  marchand de tableau, m'emmena au bal Tabarin , il me signala quelqu'un qui entrait , c'est le poète surréaliste Paul Eluard, il est très important à Paris, et en plus il achète des tableaux, sa femme est en Suisse , celle qui est avec lui est une amie, nous allâmes à sa rencontre, fîmes connaissances autour de plusieurs bouteilles de champagne. Eluard me parut être un personnage de légende, avant de nous quitter , il promit de venir l'été suivant à Cadaquès. Le lendemain soir , je pris le train pour l'Espagne, j'étais donc un homme maintenant en 1929 dans ce village de mon enfance et de mon adolescence, dans ce Cadaquès blanchi à la chaux, j'étais un  homme et je m'efforçais chaque jour un peu plus de devenir fou. Ce fut là que je commençais d'avoir mes crises de rires.C'est alors que je reçus un télégramme de mon marchand de tableaux Camille Goemans avec lequel je venais de signer un accord selon lequel, pour 3000 Francs il aurait l'exclusivité de ma production estivale.A la rentée, il exposerait mes tableaux dans sa galerie et je toucherai un pourcentage..De toute façon , avec les 3000 F il était propriétaire de trois de mes toiles, mon père trouvait ces conditions honorables, Goemans télégraphia donc et arriva, il fut enthousiasmé par le " jeu lugubre" qui n'était pas tout à fait terminé, quelques jours plus tard  arrivèrent René Magritte et sa femme , puis Luis Bunel,  Paul Eluard annonça sa venue par lettre.En quelques jours , je fus entouré pour la première fois, par un groupe de surréalistes qui accouraient attirés par l'étrange personnalité qu'ils venaient de découvrir.Mes crises de rires les surprirent tous, mes amis surréalistes acceptèrent avec résignation mes éclats ,les considérant comme un des multiples inconvénients inhérents à un génie aussi manifeste que le mien Un matin où je me tordais de rire, une voiture s'arrètta devant ma  maison ; Paul Eluard en descendit avec sa femme , le visage de Gala Eluard ma parut très intelligent , mais elle avait l'air de mauvaise humeur et contrariée de se trouver à Cadaquès  ; le soir au cours de la promenade , j'abordai plusieurs questions sérieuses , elle  fut surprise par la rigueur de mon raisonnement  et m'avoua  tout à l'heure sous les platanes  qu'elle m'avait pris pour un personnage antipathique et insupportable à cause de mes cheveux pommadés qui me donnait l'allure d'un danseur professionnel de tango argentin. Le lendemain , je passai   chercher Gala et nous partîmes nous promener dans les rochers de Cayals ; j'attendis que Gala entamât la conversation annoncée, c'est à propos de votre tableau  " le Jeu Lugubre" , c'est une oeuvre très importante dit-elle et c'est pour cela que tous les amis , Paul et moi nous voudrions comprendre à quoi correspondent certains éléments auxquels vous semblez attacher une importance particulière. Je fus tenté de répondre par un mensonge, cependant le ton net de Gala, l'expression tendue de son visage, son honnêteté entière et hautain, me forcèrent à dire la vérité ; je vous jure que je ne suis pas coprophage , j'ai autant d'horreur que vous pour ce genre d'égarement ; mais je considère les éléments scatologiques comme terrorisants, au même titre que le sang  ou que ma phobie des sauterelles .J'attendis que Gala manifestât son soulagement  de ma réponse et pourtant elle gardait un air préoccupé comme s'il était encore une question qui la consumait à fleur de sa peau  olivâtre si délicate, cette chair si proche de la mienne, si réelle m'empêchait de parler ; la beauté souffreteuse du visage n'était pas la seule élégance de ce corps, je regardai sa taille cambrée par sa démarche de Victoire  et je me dis  avec déjà une pointe d'humeur esthétique " Les Victoires aussi ont le visage assombri par la mauvaise humeur , il ne faut pas y toucher." Pourtant j'allai la toucher, j'allai  étreindre sa taille quand la main de Gala prit la mienne, c'était le moment de rire , et je ris avec nervosité d'autant plus violente que cela en était plus vexant pour elle à ce moment précis ; mais Gala au lieu de se sentir blessée , par ce rire s'en enorgueillit  , d'un effort surhumain , elle pressa encore plus fort sa main, au lieu de la laisser tomber avec dédain comme n'importe quelle autre femme l'aurait fait . Son intuition médiumnique lui avait donné  à comprendre le sens exact de mon rire si inexplicable aux autres . Mon rire n'était pas "gai" comme celui de tout le monde , il n'était pas scepticisme ou frivolité, mais fanatisme , cataclysme , abîme et terreur ! Et le plus terrifiant , le plus catastrophique  de tous les rires, je venais de le lui faire entendre , de le jeter par terre à ses pieds. Mon petit , dit-elle , nous n'allons plus nous quitter . Elle serait ma Gandira " celle qui avance " ma Victoire , ma femme, mais pour cela , il fallait  qu'elle me guérisse. Et elle me guérit, grâce à la puissance indomptable et insondable de son amour dont la profondeur de pensée et l'adresse pratique dépassèrent les plus ambitieuses méthodes psychanalytiques ; nous étions en septembre ; tous les amis du groupe surréaliste avaient regagné Paris , Eluard aussi , Gala restait donc seule à Cadaquès . Mes œuvres   adorées je les confiaient à un menuisier de Figueras qui les emballa avec le soin maniaque que j'exigeai de lui . Je partis pour Paris où mon exposition devait avoir lieu  du 20 novembre au 5 décembre à la galerie Goemans. Nous fîmes  construire une maison  au dessus de Cadaquès ensuite nous partîmes à Barcelone sur laquelle les paysans aiment à répéter " Barcelone est bonne si bourse sonne " avec l’acompte laissé à Cadaquès pour le menuisier, il ne nous restait plus rien , je dus aller à la banque pour toucher le chèque de 29000 francs  du Vicomte  de Noailles et le soir nous fîmes bombance avec du champagne , durant tout le dîner nous ne parlâmes pas d'autre chose que notre maison de Port Lligat , nous louèrent une maison de pêcheurs à Torremolinos un petit village à quinze kilomètres de Malaga ; un champs d’œillets descendait  de chez nous à pic sur la mer ce furent nos vacances de feu, nous devînmes aussi bronzés que les pêcheurs.Le public ne se décidait pas à  me suivre , mais j'avais ruiné ses convictions ! Les artistes modernes avaient bien raison de me haïr  !Ne pouvant profiter de mes découvertes je fus constamment volé ! Ce fut l'époque décourageantes de mes inventions , j'inventais les ongles  artificiels avec de petits miroirs pour se regarder , des mannequins transparents  pour les étalages , des sculptures ventilateurs en rotations  etc ....Ces inventions furent notre martyre , surtout celui de Gala qui avec son dévouement fanatique partait après déjeuner , avec mes projets sous le bras et commençait une croisade ,elle rentrait le soir verdâtre, morte de fatigue, cela n'a pas marché .Et pourtant tous mes projets furent réalisés, tôt ou tard , un jour nous apprîment que l'on venait de lancer  des ongles postiches pour un soir, un matin je lus dans un journal  " on vient de mettre en vitrines des mannequins transparents , cela ressemble à du Dali " c'était encore une chance que l'on me citât. On aimait mes idées à partir du moment où des inconnus le défloraient sous prétexte de faire mieux. Le terrible bon sens français  s'empara de mon nom vite célèbre , mais pour en faire  un épouvantail à moineau " Dali , oh oui c'est extraordinaire, mais c'est fou et non viable.  Je me disais patience , il faut durer ,au lieu de faire un pas en arrière j'en faisais  cinq en avant , encouragé par Gala aussi têtue que moi dans l’intransigeance. Notre force, à Gala et moi , était  de vivre hygiéniquement  sans fumer, sans nous piquer, sans renifler , non seulement  nous restions distants, mais équidistants des artistes de Montparnasse , équidistants des communistes, des fous, des bourgeois, nous étions au centre et pour y rester et conserver notre lucidité, nous partions de temps en temps à Cadaquès où nous nous cachions pendant des mois laissant derrière nous Paris bouillir comme une marmite de sorcière. Quand j'avais terminé une toile , nous nous accordions la permission exceptionnelle d'aller avec les pêcheurs griller quelques sardines et quelques côtelettes dans les rochers du cap de Creus à l'endroit exact où les Pyrénées viennent mourir dans la mer . Cette nouvelle période toucha bientôt à sa fin ; les critiques distinguaient déjà le surréalisme avant ou après Dali . Un des secret de mon influence  a toujours été qu'elle restait secrète. Le secret de l'influence de Gala a été  qu'à son tour elle était doublement secrète. Mais j'avais le secret de rester secret . Gala avait le secret de rester secrète dans mon secret à moi. Souvent on croyait découvrir mon secret : erreur !Ce n'était pas le mien , mais celui de Gala ! Notre manque d'argent fut encore un de nos secrets . Nous n'avions presque rien la plupart du temps et nous vivions constamment angoissés par l'argent. Cependant nous savions que notre force était de ne pas le montrer. Le tableau que j'étais en train de peindre représentait un paysage des environs de Port Lligat dont les rochers semblaient  éclairés par la lumière transparente de fin de jour ; au premier plan , j'avais esquissé un Olivier coupé et sans feuilles, ce paysage devait servir de toile de fond à quelques idées , mais laquelle ? il me fallait une image surprenante et je ne la trouvais pas  ; j'allais éteindre la lumière et sortir , lorsque je vis littéralement la solution : deux montres molles dont l'une pendait lamentablement à la branche de l' Olivier , malgré ma migraine je préparais ma palette et me mis à l'oeuvre. Deux heures après Gala revint du cinéma , le tableau qui devait être un des plus célèbres était achevé , je l'a fis asseoir devant , les yeux fermés , un , deux , trois regarde elle fixait le tableau et son visage reflétait son étonnement émerveillé, je fus donc convaincu de l’efficacité de mon image , car Gala ne se trompe jamais. Quelques jours plus tard , mes montres molles que j'avais baptisées Persistances de la Mémoire était acheté par Julien Lévy , l'homme qui allait faire connaître mon art aux Etats Unis . Je me rendis à New York  , tous les après-midi nous allions d'un cocktail party  à un autre ; le soir je visitais le temple cinématographique délirant. Mon exposition chez Julien Lévy fut un grand succès ; la plupart des toiles trouvèrent acquéreurs et la presse quoique agressive , n'en reconnaissait pas moins mes dons imaginatifs de peintre . Je devais repartir pour l' Europe sur le Normandie .Gala me décida à partir à la montagne me reposer dans les Pyrénées tout près de la frontière , au grand Hôtel de Font-Romeu, la guerre approchait à pas de géant , mon repos consistait  surtout à peindre douze heures par jour ; quand nous arrivâmes à à Font-Romeu , on nous apprit que le grand appartement de l'hôtel venait d'être réquisitionné par le général Garnelin en visite d'inspection. je dus attendre patiemment son départ pour occuper la chambre dont je voulais faire mon atelier. La mobilisation partielle  obligea l'hôtel à fermer. Nous repartîmes pour Paris, puis à Arcachon , nous y étions pas depuis trois jours que la guerre était déclarée , j'installai mon atelier dans une villa de style colonial donnant sur le bassin d'Arcachon, Coco Chanel vînt passer quelques temps chez nous , pendant ce temps là les troupes Allemandes progressaient . Coco Chanel incarnait cette période de l'après guerre, comme moi même et on se rejoignaient sur à peu près tout. Les deux semaines qu'elle passa à Arcachon nous forcèrent à réviser nos idées, à les cerner d'un trait plus net ; la guerre en cours exigeait  déjà cette forme que nous voulions donner à nos pensées. Mais l'originalité de Chanel était le contraire de la mienne, depuis  toujours j'exhibe impudiquement ma pensée, tandis qu'elle sans la cacher ne l'exhibe pas, mais l'habille. La haute couture a toujours chez elle une détermination  biologique, une origine pudique ; son corps et son âme sont les mieux habillés de la terre .Gala fut celle qui à cette époque savait à quel point la peinture était pour moi une féroce envie de vivre et une raison encore plus féroce d'aimer . Seule Gala me faisait vivre ! Elle collectionnait des vins de Bordeaux, m'emmenait dîner au Châteaux Trompette elle posait un cèpe parfumé à l'ail sur le bout de ma langue et ordonnait Mange ! Deux jours avant que les Allemands occupent le port d'Hendaye nous nous trouvions en Espagne, Gala fila sur Lisbonne où j'irai la retrouver aussitôt mes papiers en règle . Quand à moi , je me rendis à Figueras, je revis mon pays couvert de ruines , noblement appauvri, mais ressuscitait par la foi en son destin , je frappai à la porte Qui est là ? C'est moi , Qui ? Moi Salvador Dali votre fils , il était deux heures  du matin à la porte de la maison familiale , j'embrassais les miens , ma sœur, mon père , mes tantes ils me préparèrent un souper aux anchois  à la tomates et à l'huile d'olives . Je viens d'écrire ce long livre des secrets de ma vie , qui seul pouvait me donner l’autorité nécessaire pour être entendu. et je veux être entendu du monde entier , car je suis l'incarnation la plus représentative de l'Europe après guerre, en ayant vécu toutes les aventures, toutes les expériences, tous les drames.Franc tireur de la révolution surréaliste, j'ai connu , jour après jour les moindres incidences , les moindres répercussions intellectuelles de l'évolution  du matérialisme dialectique et des doctrines faussement philosophique qui se fondaient sur les mythes du sang et de la race au nom du national-socialisme.La théologie  même n' a plus guère de secrets pour moi . Si j'ai participé avec le fanatisme d'un Espagnol à toutes les recherches spéculatives, même les plus opposées, je n'ai en revanche jamais de ma vie accepter d'appartenir à un parti politique qu'elle fût-il  l'idéologie dont il prétendait relever .Et comment pourrais-je l'accepter encore aujourd'hui  ; à l'heure où la politique se laisse dévorer par la religion parmi tant de choses qui nous restent à jamais mystérieuses et inexplicables, ma seule vérité s'affirme avec d'autant plus de force et de grandeur : Aucunes des découvertes philosophiques , morales , esthétiques ou biologiques ne permet de nier Dieu . Bien mieux le temps dont les sciences particulières ont construit les murs restent sans autre toit que le Ciel Divin .Le Ciel ne se trouve ni en haut , ni en bas , ni à droite , ni à gauche , le Ciel est exactement au centre de la poitrine de l'homme qui à la  Foi .
                                                         SALVADOR DALI

dimanche 12 janvier 2020

Graines de possibles regard croisés sur l'écologie de Pierre Rabhi et Nicolas Hulot



Nicolas Hulot et Pierre Rabhi ne se connaissaient pas, à  première vue, rien ne les poussait  à  se rencontrer  tant leurs parcours, leur culture, leurs univers    sont différents.  Si l'on s'en tient aux apparences , il y a d'un côté un Africain , humaniste, paysan, réservé, poète  et de l'autre un Occidental  trublion  médiatique et pragmatique, utilisant   la technique  à  foison , acteur  et vecteur de la consommation . Et puis un jour, la rencontre a eu lieu, fruit souvent des jolis hasards de la vie, tout de suite une connivence est  née, une complicité  s'est installée, le dialogue  ne s'est depuis  pas relâché , un dialogue prolifique, animé par un désir de compréhension réciproque  et un engagement commun pour l'environnement ; un échange amical  qui les a       tantôt opposés, tantôt   rassemblés  . Il y a le fils de forgeron né aux marches du désert et l'enfant de la grande  bourgeoisie française né dans les beaux quartiers de Lille; beaucoup de traits communs  : une farouche indépendance, une volonté de cultiver leur libre arbitre et d'emprunter  des chemins de traverse; et puis  chacun à  sa façon aiment passionnément le sol, les arbres, la terre et la Terre, chacun à sa façon aiment et se désolent des mêmes choses. Ce livre est le reflet  des chemins de vie et surtout  un cri  d'alarme. Celui de deux hommes de terrain qui constatent chaque jour un peu plus l'intensité des exactions commises à l'encontre de notre planète. Au fil des pages, Pierre et Nicolas s'interrogent et  tentent de lancer des pistes pour construire un autre avenir. Comment restaurer le lien à la "Terre-Mère"? Le progrès, conçu pour le bien de l'homme, n'est-il pas en passe de se transformer en la pire des tyrannies ?Comment retrouver  du sens dans une vie envahie par l'argent?Qu'est ce qu'être écologiste ?Une éthique, une politique, un mode de vie?Peut-ton croire au développement durable?Ou faut-il être plus radical et prôner la décroissance? C'est enfin une formidable déclaration d'amour à l'homme et la nature, qui vient nous rappeler combien notre destin est  étroitement, fondamentalement lié à celui de la Terre.Et nous pousse, comme l'écrivait Henry Miller , à "rejeter le connu et le prouvé au profit de l'aventure que sont la liberté et la création". 
Leur Chemin de vie : NH :Ce qui m'a frappé chez toi c'est ton incroyable itinéraire, du désert Algérien jusqu'en Ardèche, raconte  nous d'où tu viens ...PR : Je suis né près  de Bechar dans une petite oasis du sud  algérien appelée Kenadsa, mon père  était forgeron, ma mère  est morte alors que j'avais quatre ans, à l'époque  mon père fait la connaissance d'un couple  de Français, un ingénieur et une institutrice pour travailler à la compagnie des Houillères, notre sous-sol colonisé recelait du  charbon, c'est par cette matière obscure que notre système habituel  a été complètement bouleversé  et la modernité est arrivée, une population gavée de lumière allait brutalement devoir tirer sa survie de ce monde de l'obscurité, le temps de la montre  allait abolir cette sorte d'éternité cadencée par le ciel, les prières et les fêtes; le temps allait devenir argent. Ce couple  n'avait pas d'enfant et comme mon père se préoccupait  de mon avenir, ils lui ont proposer de m'éduquer. En 1958 1959 pendant la guerre , j'étais plus en accord avec ma famille et je suis partie en France, j'ai eu la chance de rencontrer les idées de Gandhi en pleine guerre d'Algérie, sa pensée faisait résonner , ma principale conviction , à savoir que la violence ne résout jamais rien, il disait  quelque chose comme "Œil pour œil, dent pour dent ça ne fera que des édentés et des aveugles" l'humanité reste enlisée    dans cette ornière. J'ai débarqué dans la capitale avec tout les attributs de la culture française inculqués par ma famille adoptive; j'ai travaillé dans une entreprise d'homme à tout faire, l'entreprise me paraissait  alors le lien symbolique de la modernité et de la libération de l'individu qu'elle ne fut pas ma déconvenue !J'ai pris conscience de cette hiérarchie du pouvoir, de l'avoir, de l'oppression. Je ne comprenais pas pourquoi certains ne bénéficiait pas plus de reconnaissance alors qu'ils travaillaient plus ou accomplissaient les tâches les plus insalubres; quand j'ai vu que ce microcosme trahissait tout ce qu'on m'avait enseigné, çà a été le début de ma toute première insurrection ; je ne pouvais transiger avec l'idée d'équité. NH : Je suis né à Lille , dans une   famille bourgeoise bien installée, puis j'ai grandi à Paris dans les beaux quartiers, j'ai d'abord baigné dans l'insouciance et les certitudes, dans un monde monolithique où l'on ne change pas d'étage ! Mais les événements de la vie ont précipité mes certitudes dans les abîmes, je me suis rendu compte que la vie n'étais pas un long fleuve tranquille, je suis convaincu  que nous portons depuis l'enfance, une portion de notre destinée.Ma révolte contre la chasse, date de cet époque, je m'insurgeai déjà a cet âge  là  contre l' uniformisation des comportements vestimentaires, la vie en vase clos social, et cette obsession des convenances propres à la bourgeoisie, j'ai évolué dans un univers où il n'y avait pas de place que  pour l'homogénéité, j'ai vite pris conscience de la nécessité de la différence, je suis moi aussi un autodidacte absolu .Devenir écologiste : NH :En 1960 , tu quitte Paris et tu t'installe définitivement en Ardèche.  Pourquoi ?  PR: Je venais de rencontrer Michèle , qui allait devenir ma femme dans l'entreprise où je travaillais , pour elle comme pour moi il n'était pas question de vivre dans cette aliénation , nous voulions un autre lieu, un autre espace, l'agriculture nous paraissait , l'activité, la mieux à même de mettre en cohérence nos idées avec notre mode de vie, c'est alors que nous avons rencontré l'admirable Dr Pierre Richard, un médecin qui s'occupait à l'époque de la création du parc national des Cévennes, c'était un écologiste visionnaire, un des premiers à déplorer la désertification des campagnes et la dégradation des espaces naturels. C'était un pays à la fois magnifique et humainement à la dérive, les hommes avaient domestiqué la montagne et avaient réussi à y vivre dans des maisons dont certaines paraissaient clouées  aux parois rocheuses. On était au cœur des Trente Glorieuses et personne ne comprenait qu'on veuille s'installer en pleine débâcle , qu'on quitte la facilité et le salaire de la ville. Pour apprendre l'agriculture, je me suis inscrit dans un établissement appelé " Maison familiale rurale "j'ai obtenu un diplôme et je suis devenu ouvrier agricole. Là, quelle surprise ! je pensais avoir définitivement tourné le dos à la notion du productivisme, mais la réalité m'a vite rattrapé, les jeunes ne parlaient que de puissances des tracteurs, d'augmentation des rendements et du nombre d'hectares qu'ils voulaient acheter. Le  jour des traitements des arbres était pour moi un cauchemar ; nous utilisions des substances chimiques dont un produit le Metasystemox qui avait été responsable de nombreux décès dans la région, nous devions porter des masques pour nous en protéger, après le traitement nous sentions une odeur écœurante et nous trouvions par-terre  toutes sortes d'insectes foudroyés, je devais apprendre plus tard qu'ils s'agissaient de produits de synthèse aux effets rémanents, non biodégradables, nous étions dans une ambiance d'agression généralisée contre la nature et la vie; à l'époque j'ai bien cru que j'allais décrocher.Aujourd'hui encore, certains paysans ne s'imaginent pas combien l'agriculture qu'ils pratiquent est dangereuse et va à l'encontre de l'esprit initial de leur métier. Chaque printemps , je suis affligé quand on commence à disperser les insecticides sur les arbres fruitiers en Provence. NH :Ce qui me surprend le plus c'est notre capacité à nier ces conséquences et à nous dire que la nature est capable de faire disparaître toutes les substances chimiques que l'on disperse, mais rien ne se perd , tout se transmet  et au bout de la chaîne alimentaire il y a l'homme ! Je me souviens qu'il y a quelques années , il y a eu un échouage massif de dauphins sur les côtes françaises, on a d'abord avancée cette vieille théorie farfelue du suicide collectifs ; puis les biologistes ont découvert dans les tissus des dauphins, toutes sortes de textiles, d'arsenic, de produits issue de l'agriculture rejeter dans les eaux fluviales. PR :Un jour le docteur Richard est arrivé en souriant , un ouvrage à la main; c'était " La Fécondité de la Terre" d'Ehrenfried Pfeiffer un autrichien qui avait compris que l'agriculture moderne était destructrice, qu'elle minéralisait les sols et menait à une impasse, c'est là que j'ai commencé à comprendre ce qu'était l'écologie, pour la première fois , on me proposait une agriculture qui plus que de respecter la vie , contribuait à régénérer ce qui était dégradé. NH :C'est ce qui t'a mené , en pionnier à l'agroécologie ? PR : Oui progressivement, l'aventure de Mont -champ  à enfin démarrer, oui une véritable aventure !Ce bien était en plein cœur des garrigues, la maison menaçait de s'écrouler, les terres étaient en friches, nous avions obtenu notre prêt , mais le Crédit  Agricole nous avait stipulé que nous devions pas faire de travaux autre qu'agricoles. Cet étape de la survie a été longue et douloureuse, mais nous l'avons totalement acceptée , parce qu'elle était le tribut à payer pour notre liberté, nous devions aussi élever nos cinq enfants , avec  toute la problématique sociale qu'un  milieu isolé  pouvait leur imposer, pour éviter le confinement familial, nous avons accueilli des stagiaires, dont les premiers étaient issus de la déferlante soixante-hui-tarde . L'humus est un élément majeur sur lequel la fécondité naturelle des sols est quasiment impossible lorsque l'humus disparaît, les sols meurent  et le désert s'installe ; il joue le rôle du  levain qui fait lever la terre comme une pâte, retient l'eau et améliore les sols en les régénérants avec l'humus dont l'étymologie rappelle l'humanité, l'humilité, l'humidité, on détient une sorte de quintessence vitale, à la fois matière et symbole. PR : Et toi comment en es tu venu à l'écologie ? NH : D'abord  parce que le terrain y était propice, mes parents m'ont transmis l'amour de la nature, mon père avait l'obsession pendant son temps libre de partir sur son petit lopin de terre pour cultiver ses fleurs et s'occuper de ses boutures, ma mère elle aussi aspirait qu'à vivre à la campagne, très tôt je me suis rendu compte que je me sentais bien au contact de la nature et moins bien quand je m'en éloignais. Je vais te choquer, mais j'ai fait le deuxième Paris-Dakar j'avais une vingtaine d'années et je succombais comme tout le monde au facteur vitesse, qui est celui que je fustige le plus aujourd'hui ; j'étais excité par l'idée de la compétition et l'espace du désert devenait pour moi un  exutoire bref  j'étais  le fruit  d'une société dont j'absorbais les leurres, j'ai bien à peu compris que les joies étaient beaucoup plus internes dans le capital immatériel que dans le matériel, mais un autre cheminement de vie n'aurait pas forcément permis de m'en rendre compte. Je dis souvent que j'ai passé une période de ma vie en position fœtale , la tête sur mon nombril, cette période est plus ou moins longue en fonction des individus, mais les événements vous font redresser ; je souhaite  à chacun que cette phase initiatique ne dure pas  trop longtemps parce que dans cette position on se prive du regard des autres ; on naît avec un certain nombre de sens, mais certains éléments troublent la perception, jusqu'au jour où l'on acquiert enfin sa progression , les chocs sont nécessaires et je les ai connu graduellement. A la fin des année  70 , je me suis retrouvé  au Guatemala après un tremblement de terre qui avait causé cinquante mille morts, cet événement  m'a brutalement ouvert les yeux sur la précarité de la vie. PR : Je ne suis pas non plus un spécialiste en tout , je comprends grâce à mon bon sens et à mon intuition. Je suis en revanche confronté au drame et aux problèmes des sols, on ne peut pas résoudre tous les problèmes en même temps et être sur tout les fronts, mais faisons  notre possible pour limiter les dégâts dès à présent , faisons le honnêtement et cessons les lamentations et les incantations qui ne font rien évoluer. Demandons nous  que puis je faire à ma petite mesure et le plus honnêtement possible pour changer les choses ? NH :Je  me demande où les politiques sont passés dans notre combat, ils ne se rendent pas compte à quel point leur silence est pesant. PR : Je suis entré en écologie il y a quarante ans, en prenant conscience de la difficulté d'un rapport harmonieux et non nuisible entre l'être humain et la nature, qu'attendons nous pour que l'écologie soit enseigné à l'école, au même titre que les mathématiques ou le français ? Le problème c'est que nous avons complètement perdu notre capacité à anticiper. Aujourd'hui  notre système progresse par réaction à très court terme, résultats, la politique que l'on peut définir comme l'art de prévoir ne se met pas en route, les processus de véritable changement de société pour éviter le chaos final . Peut être que face à la complexité du monde " après moi le déluge " est la seule réponse qu'elle soit capable de donner . NH  : J'ai pu constater cette incapacité  à anticiper plusieurs fois de l'intérieur. Il suffit d'observer le mode de fonctionnement d'un ministère : il faut attendre que se produise un événement pour qu'on réunisse tout le monde pour discuter ! Ce n'est que de la réaction  et de la communication , Où est l'anticipation ? Où est  la réflexion ?  On mobilise le Conseil national  du développement durable, qui rassemble des énergies fantastiques , mais sa présidente n'a jamais été reçue par le premier Ministre et ses lettres restent sans réponses. Dans le même ordre   d'idée, on  vient annoncer au ministère de l'écologie qu'il allait devoir partager ces locaux avec celui de la Francophonie. Le rôle des OGN consiste souvent à éviter des reculs plutôt  qu'à opérer des avancées. PR : Le gouvernement ne considère pas l'écologie comme une priorité, mais comme une préoccupation subsidiaire , un alibi  démagogique à très bon prix ; nous somme loin du compte ; l'écologie  n'est guère présent dans ce champ de bataille de la marchandise ; il semble même qu'elle gêne le fonctionnement du système . Ne pense-tu pas que les individus se répartissent aujourd'hui en deux catégories bien distinctes ; d'un côtés, nous avons ceux qui font fonctionner l'Etat et le gouvernement, les membres de la fonction publique qui suivent un chemin assuré, sécurisé et reçoivent leur chèque tous les mois, que le dollar monte ou descende, qu'il pleuve ou  qu'il vente. De l'autre côté se trouvent ceux que j'appelle " les guerriers de l'économie " et qui regroupent les professions libérales, les artisans, les commerçants, les agriculteurs et même les chefs d'entreprises qui non seulement agissent à leurs risques et périls, mais génèrent les richesses ; il y a là une asymétrie de condition qui explique en partie le dysfonctionnement de la nation . NH : De toute façon , nous n'avons le pouvoir d'orienter l'histoire qu'à condition  d'être conscients de ses dérives. PR : Si les jeunes s'intéressent à nous aujourd'hui c'est qu'ils sentent qu'il y a en eux une dimension qui n'est pas irriguée ; ils sont de plus en plus nombreux à constater qu’emmagasiner toujours  plus de biens ne les rend pas plus heureux, l'urgence écologique et humaine est à la fédération des consciences, la conscience transcende les appartenances, qui nous prennent parfois en otages sous le prétexte de la famille, un groupe social , national, religieux ou politique . Je préfère susciter une réflexion personnelle et intérieure. NH :J'essaye à mon petit niveau de donner aux gens l'occasion  et les moyens d'avancer ; comme par exemple  avec le petit livre vert pour la Terre qui propose cinq cent comportements respectueux de l'environnement dans lequel chacun  peut puiser comme il l'entends et à son rythme .