samedi 10 septembre 2022

Les herbes de la Saint-Jean de Hélène Legrais




 De génération en génération sur les hauteurs du Mont Canigou on est mineur comme le père de Félicie ou forgeron ou muletier , les pieds dans la neige d'avril à novembre . Félicie grandit dans ce monde rude où tout tourne autour de la richesse locale de fer ; solitaire , rebelle, intelligente la jeune fille n'aime que sa montagne , où elle vas cueillir les plantes médicinales. Félicie faisait le trajet à pieds pour aller à l'école de Valmanya , les autres enfants de la Pinouse restaient en pension à l'hôtel Mayneris ou dans une famille de Valmanya pour Félicie cela faisait trois ans que la mère était partie , le père n'avait pas les moyens de la laisser chez des gens du village , le peu qu'il gagnait alors suffisait à peine à étancher sa soif . Mademoiselle Marguerite était l'institutrice , Félicie l'aimait beaucoup elle lui apportait des champignons cueillis dans sa montagne des coriolettes , elle l'aidait à enfiler avec une aiguille les champignons sur un fil , ensuite il fallait les accrocher en guirlandes sous le toit de l'appentis , puis au bout d'une semaine elle n'avait plus qu'à les décrocher , les coriolettes avaient suffisamment  ratatinées et durcies pour agrémenter un civet ou une omelette , préalablement jeter dans un bol rempli d'eau chaude  ou les champignons retrouvaient en un instant leurs moelleux et leurs onctuosité . Elle sursauta en entendant la voix rauque de son père s'élever de la paillasse sur laquelle il s'était effondré la veille au soir, ivre une fois de plus , il lui avait décocher un coup de poing dans les côtes quand elle lui avait pris sa bouteille et s'était débattu violement quand elle l'avait obligé à remonter l'escalier jusqu'au dortoir, mais ses coups étaient moins précis lorsqu'il avait bu  et elle savait s'y faire avec lui ;  c'était un miracle renouvelé tous les matins qu'importait la quantité de vin qu'il avait bu la veille; il repartait toujours au travail le lendemain frais comme un gardon, d'aplomb sur ses deux jambes et la main aussi sûre . Les galeries qu'il étayaient étaient réputées les plus sûres de la mine et aussi ses quarante ans qui lui permettaient de ne pas être mobilisé tandis que les plus jeunes partaient depuis août par trains entiers pour le front . L'institutrice pour la remercier lui offrit quatre rousquilles enveloppées dans un mouchoir immaculé ,elle les avait ramené d'Arles sur Tech ou elle avait passé les vacances chez ses parents , ces délicieux gâteaux à l'enrobage meringué parfumés à l'anis et au citron Marguerite en raffolait, mais Félicie les trouvait trop sucrés elle n'en remercia pas moins l'institutrice avec effusion, puis elle lui offrit un livre , les lettres dorés du titre sur la couverture rouge dansaient devant ses yeux " La Légende des siècles " Victor Hugo ; Félicie était heureuse de ce présent. Comme elle quittait la place pressée de retrouver la solitude de sa montagne , elle entendit Hep la fille ! elle n'avait pas besoin de se retourner pour reconnaître la Séraphine de Los Masos , celle là c'était la pire ,"t'as ce que tu m'a promis , t'as mes herbes ? elle se dandinait d'un pied sur l'autre , sa nervosité faisait ressortir les vilaines plaques d'un rouge vineux qui boursouflait son cou et ses joues flaques ; la Séraphine souffrait d'une maladie de la peau , c'est le jeune berger Arquez qui croisait souvent Félicie dans les sentiers et les coins de cèpes et de coscolls qui lui avait commander de préparer pour la vieille bigote une teinture à base d'herbes del  fetge qu'en français on appelait " hépatique" moyennant cinq sous ." Tu les as mes cinq sous, répondit Félicie sur le même ton." La Séraphine déposa à contre cœur une belle pièce blanche sur une pierre plate au bord du chemin  et s'éloigna Félicie empocha la pièce avec gravité et déposa à sa place, un petit flacon renfermant la teinture souveraine contre les maladies de peau .  "Apetit  ( attention ) tu dois t'en badigeonner le visage et le cou surtout pas le boire !"  "C'est du poison que tu me donne diablesse ! "en fixant le flacon d'un regard horrifié , c'est ma mort que tu veux, dis ? La vieille tremblait comme si la grande faucheuse elle même lui faisait face ; " Pas cette fois , la Fine Vella ! ( La vieille Fine ) Mais tu sais que si je veux ...La Séraphine s'empara du flacon et s'enfuit , l'index et l'annuaire tendus pour neutraliser les sortilèges de la sorcière. Alors Balthazar  tu rêve ? dit Félicie en voyant son ami; depuis le jour où il l'avait trouvé endormie derrière un rocher entouré de genêts où elle s était mise à l'abri de l'orage , son apparition de vagabond en guenilles à la barbe hirsute ne l'avait pas effrayée, elle l'avait accompagné jusqu'à Saint-Anne en nommant tout au long du chemin les plantes qu'elle connaissait , il l'avait corrigé deux ou trois fois , lui en avait appris d'autres , elle était comme lui , elle paraissait ne pas avoir d'attache , elle était revenue lui rendre visite, elle n'avait que sept ans, depuis la barbe de Balthazar avait blanchit  et Félicie avait appris sous sa direction , les secrets des herbes qui soignent ." Et où comptais tu aller après avoir effrayé cette pauvre folle !"  " Je monte au col, ils prirent ensemble le chemin en lacets qui conduisait à la Bastide par le col de la Palomera . "Je t'assure Balthazar ; il y  a des fois ou j'aimerai vivre en ermite , comme toi ! "On ne décide pas de devenir ermite à treize ans  fillette! on le deviens peu à peu, au fil du temps ." Puis ils se quittèrent , Félicie grimpait droit devant elle avec détermination, agrippant une racine , une touffe de bruyère ou une branche basse pour se hisser plus vite, elle savait exactement où elle allait; elle insinua sa main dans une crevasse profonde  creusé dans l'écorce d'un arbre , pour en retirer un petit sac de jute  grossièrement cousu , elle vida le contenu  sur une pierre plate et un flot de pièces s'en échappa, tous les sous et les centimes gagnés en effectuant de menu travaux , comme ramasser du bois pour le boulanger et en vendant aux uns et aux autres les herbes cueillis dans la montagne , et au milieu scintillait la belle et grosse pièce de cinq franc que Monsieur Legrand lui avait donné en échange de cèpes et des framboises qu'elle lui apportait dans des petits paniers en genêts tressés, elle y ajouta les cinq sous de la Séraphine. Le couteau s'abaissa et le couinement aigu du porc se termina en un gargouillement écœurant ; le sang gicla dans la bassine en zinc posée par terre , Louisette Martin , accroupie , les manches roulées au-dessus des coudes , plongea ses avant bras dans le liquide épais et fumant dans l'air glacé, qu'elle remuait pour l'empêcher de coagulé ; Lucien Marie tenait ferment la bête par les oreilles , l'animal se débattait de toute ses forces de ses cent vingt kilos . Avant la guerre , on faisait appel au mataïre qui montait de Joch avec tout son attirail à la lune vieille parce que la viande se conserverait mieux , il restait à Valmanya toute une semaine dans une maison différente, mais depuis la mobilisation le mataïre était partis au front . Chaque fin novembre Félicie venait chez les Payé pour la montaça , on la tolérait ; Louisette avait l'air contente de la voir , d'ordinaire on avait plutôt tendance à l'ignorer ; " Ne reste pas dans ton coin , viens t'assoir à table elle posa devant Félicie une assiette en faïence un peu ébréchée , elle versa dans l'assiette la soupe à l'orge perlée dans laquelle avait cuit une épaule de porc bien grasse , Félicie n'attendit pas que la soupe refroidisse , elle entreprit de la manger rapidement sous l'œil béat des trois femmes , sait t'on jamais si elles changeaient d'avis ? Mais ses hôtesses avaient maintenant  hâte  de la voir quitter les lieux , on lui glissa deux de ses bynols  afin de bien lui montrer que son repas était terminé , Félicie se leva , la bouche pleine , elle ne quitta pas la pièce , tout en mordant à belles dents dans un beignet, elle alla se planter ostensiblement  devant le plus grand plat posé sur la table où s'étageaient bien rangés en arc de cercle les premiers boudins sortis de la marmite ; la mère Payé comprit le message , avec un soupir excédé, elle en saisit trois quelle lui mis de force dans les mains , Félicie n'en demandait pas plus  elle les mis dans son sac , remercia d'un signe de tête et s'en fut , digne et satisfaite. Trois c'était plus qu'elle espérait , il y en aurait un pour elle, un pour son père et il en resterait un pour Balthazar . Enfin , la voilà partie, ce n'est pas trop tôt ! Parole elle fait froid dans le dos , cette Félicie , ce n'est pas que je crois à toutes ces balivernes que racontent la Séraphine et ses pareilles, mais il faut reconnaître que cette gamine est étrange, particulière, toujours là , silencieuse dans son coin, à guetter chacun de vos mouvements sans avoir l'air, cela dit , pour une fois elle tombait à pic dans la cuisine : la mère Maynègre  avec ses beignets, la pauvre, je ne sais pas ce qu'on en aurait fait , la padrina  Payé et moi Comme quoi , même une enfant de la lune comme Félicie peut avoir son utilité, ma foi , une assiette de soupe et trois boudins ce n'est pas cher payé le service quelle nous à rendu ! Il faut bien que chacun vive et cette petite ne mange pas toujours à sa faim, si on en croit le cousin Marc, il faut dire que ce n'est pas son soiffard de père qui peut s'occuper d'elle! La gamine ne lui ressemble pas du tout , peut-être tient elle de sa mère ? Pas dans son goût , pour se faufiler partout en tout cas , je crois que le peu qu'elle à vécu à la Pinouse , je n'ai jamais vu la femme de Polyte au village ; je serai même incapable de dire à quoi elle ressemblait ? Finalement , la Félicie pourrait aussi bien ne pas avoir de parents du tout , cela ne changerait pas grand chose !Mais qu'est ce que je suis en train de radoter , moi ? Louisette ma fille , arrête de rêvasser ! Les hommes en ont fini avec la carcasse et ils sont affamés . si je ne veux pas me faire attraper par la sogra ( Belle Mère ) je ferais bien de mettre la table pour servir le repas de la matança.  Par chance , Monsieur Legrand faisait de plus en plus appel à Félicie pour l'aider dans ses calculs ou ses mesures, il lui confiait aussi de temps à autre la distribution  du carbure pour les lampes à l'entrées des équipes dans les galeries , quand il n'avait pas besoin d'elle , elle se joignait aux autres femmes pour trier et récupérer le minerai mélangé au rocher et à la terre qu'on extrayait sur les bords du filon . Abe se risquait à venir traîner autour de leurs jupes , il était aussitôt assailli de tant d'œillades et de roucoulades qu'il ne songeait plus à l'importuner , du moins pour le moment. La Saint Jean avait toujours été la fête préférée de Félicie , elle aimait la danse des flammes dévorant le bûcher auquel on mettait le feu pour célébrer la lumière en cette nuit de solstice d'été la plus courte de l'année . Une fois l'an , en cette nuit des feux , le ciel et les hommes étaient en harmonie ; du moins , ils auraient dû l'être , mais l'ombre de la guerre qui grondait au loin s'interposait entre eux, à coup de larmes, de prières et de voiles de deuil . Demain ils seraient sans doute plus nombreux que d'habitude à prendre tôt le matin , le chemin de Baillestavy ou le vieux Louis Paret , le curé de Rigarda célèbrerait l'office de la Saint-Jean . La tradition voulait qu'on profite de cette nuit magique pour aller cueillir certaines plantes porte-bonheur , réunies en un bouquet , le ramellet , confectionné suivant un rituel immuable ,ces herbes étaient ensuite accrochées au-dessus de la porte de chaque maison afin d'assurer santé et bonheur pour toute l'année ; à la Saint-Jean suivante on décrochait le ramellet séché pour le lancer dans les flammes du feu de joie . Félicie s'en fut derrière la grange des Pacall chercher la vieille couverture dont elle avait envelopper les branchettes de noyer , celui-ci déposé en croix servait seulement de support aux plantes magiques . Il suffisait que les feuilles soient bien brillantes et vertes, c'était plus joli , le jaune millepertuis, l'orpin l'herbe de vie et de mort , la camomille blanche et l'immortelle qu'on appelait aussi herbe de la Saint-Pierre , les plantes qui constituaient le coeur du ramellet .Elle aurait dû l'entendre , dans la neige , les pas crissaient , il avait dû sortir plus tôt pour que les flocons recouvrent la trace de ses pas ; elle était furieuse après elle même, n'avait elle pas été présomptueuse de croire qu'elle pourrait le tenir à distance , comme les autres !Grâce à son père , elle savait tenir à distance les ivrognes et , naïvement , elle pensait contrôler la situation , elle n'avait rien vu venir ; la neige brûlait ses jambes nues sous sa jupe , il respirait fort, haletant ,elle étouffait , le rocher meurtrissait ses épaules à travers son chandail, il n'avait toujours pas dis un mot, la jupe se déchira avec un bruit sec et il glissa un genou entre ses jambes pour la forcer à les ouvrir, l'homme appuie son avant-bras sur sa gorge pour l'immobiliser en gardant une main libre , elle suffoque , des tâches rouges dansent devant ses yeux, l'homme s'agite au-dessus d'elle, il agrippe ses fesses , laboure son ventre, l'homme s'agite toujours par soubresauts tel un sanglier, elle manque d'air ,elle est ailleurs , elle l'entend , mais ne sent plus rien, elle n'est pas là, sa vue se brouille, une douleur acide, aigue , comme une coupure de rasoir, la ramène à la réalité, le membre dur de l'homme l'a transpercé comme un épieu, il recule pour prendre son élan, s'enfoncer plus profond et relâche la pression de son avant-bras, elle se laisse glisser sur le côté, ses doigts tâtonnent , rencontrent l'arête  d'une pierre , sa main se ferme , elle frappe de toutes ses forces, les yeux fermés , le sang jaillit éclabousse son visage, elle peut à nouveau respirer , écroulé dans la neige , il pressait ses mains ensanglantées sur son crâne . Elle entortille comme elle peut les morceaux de sa jupe autour de ses hanches et s'enfuit en serrant toujours la pierre tâché de sang  dans ses poings fermés  trébuchant à chaque pas elle se traîne jusqu'au torrent . Chaque fibre de son corps lui faisait mal , elle était épuisée comme si elle avait couru des heures dans la montagne, pendant de longues minutes , elle frotta ,frotta encore jusqu'à que sa peau rougisse à vif ; le sang et la semence mêlés étaient partis au fil de l'eau, elle frottait toujours. Au prix d'un énorme effort , elle s'obligea à se mettre debout , elle avait besoin de ses herbes pour calmer la brûlure qui dévorait son ventre et éviter toute conséquence funeste elles soignaient aussi bien les coliques que les vertiges , les palpitations, les rhumatismes ou les maladie de peau suivant qu'on les utilisaient en infusion ou en décoction ou qu'on en extrayait l'huile ; mais cette fois c'était à leurs propriétés abortives que Félicie entendait faire appel . En avait -elle vu pleurer, des imprudentes qui la suppliaient de les débarrasser du souvenir encombrant d'une nuit de fièvre et d'abandon ! Mais jamais elle n'aurait cru être un jour obligée d'utiliser ses talents sur elle même. Elle avait fait infuser les feuilles de rue ,et elle avait tout bu , la fièvre était venue , puis le sang,  tantôt elle brûlait ,dégoulinait de sueur, tantôt elle grelotait , puis le quatrième jour, la fièvre était tombée, elle mourait de faim, enfin elle sortit de sa cachette . Puis un soir ,elle les vit apparaître , chancelant à la lisière du bosquet des pins , comme à l'accoutumée , Abe soutenait le père qui parvenait difficilement à mettre un pied devant l'autre ; Félicie ne s'était jamais sentie aussi calme, elle dégrafa un bouton de sa chemise afin de dévoilé la naissance de ses seins, puis elle entreprit de défaire sa natte, puis elle attendit, un léger grincement familier de la porte, un pas lourd , un peu traînant qui remonte vers elle, Abe en tient une bonne ce soir , tant mieux! Elle attends qu'il arrive à sa hauteur pour lancer dans ses jambes un caillou ,il atteint son genou et le fait trébucher ce faisant il pivote , aperçoit Félicie , elle le laisse s'approcher , puis s'enfuit , il part à sa poursuite, "Tu y as pris goût , hein , petite allumeuse, tu en redemandes ; de volte face en reculade, elle l'entraîne mètre par mètre vers le terminal du câble aérien , sobre , il se méfierait , mais l' alcool , le désir brouillent son esprit, il suit , encore un effort mon bonhomme on y est presque, il arrive près du trou maçonné profond d'une quinzaine de mètres, il est passé devant elle sans la voir, elle bondit, pousse de toutes ses forces , les paumes bien à plat, au niveau des reins ; Abe lance un cri inarticulé comme étonné, puis un choc sourd dont l'écho se prolonge le long des parois cimentées, et plus rien ....Félicie attends , elle retiens son souffle, elle fouille dans la ceinture de son pantalon à la recherche du ramellet qu'elle à confectionné en prévision de ce moment, elle le jette dans le trou , "Bonheur et longue vie à toi , sale punaise !"Ils mirent trois jours à retrouver le corps  lorsque la civière remonta  Marty intrigué par quelques feuilles séchées dans l'ouverture de sa chemise , tira délicatement dessus ;" un ramellet s'exclama t-il , il n'est même pas complet il manque l'immortelle et l'orpin , l'herbe de vie ".Laissant pour une fois ses compatriotes s'éloigner sans lui, un des chinois s'attardait près du ponton, c'était un des jeunes immobile dans ses vêtements de travail de courtil bleu, le visage impassible , il fixa Félicie un moment en silence avant de se détourné et de rejoindre les 
autres Il sait ....Il s'appelait Luc , un prénom inattendu pour quelqu'un qui venait de si loin, les premiers jours, elle était persuadée qu'il attendait l'occasion de la dénoncer, peut-être avait-il du mal avec la langue française . A force d'observer ainsi le jeune chinois ,  à la dérobée , la crainte qu'il avait pu inspirée à Félicie s'était peu à peu transformer en curiosité. Il aimait lui aussi marcher seul dans la montagne, mais qu'allait il  y  faire ? Il portait sur son épaule un sac de toile . Il avait parlé sans se retourner " Votre position ne doit pas être très confortable , vous devriez venir vous assoir ici , la vue est magnifique" comment l'avait-il repérée ? c'était la première fois qu'elle entendait sa voix et la surprise la cloua un instant sur place : il s'exprimait dans un français très correct . Il dessinait pas avec des crayons , mais avec un pinceau mouillé qu'il frottait contre une pierre sombre , d'une dernière caresse de son pinceau , le chinois ombra délicatement un versant de la montagne , souffla dessus pour sécher l'eau  puis tendit le dessin à Félicie , émue de ce cadeau inattendu . "Vous vous appelez vraiment Luc ? ce n'est pas un nom très oriental ; " " Mon vrai nom est Liu , mes parents étaient pauvres , et ils m'ont confié à la Mission pour que j'ai une éducation; lorsqu'ils m'ont baptisé , ils ont changé une lettre et je suis devenu Luc . Les jours suivant le plafond d'une galerie s'était écroulé sur la tête des ouvriers de la mine , il fallait faire vite, ils sont peut-être évanouis, mais si on ne dégage pas vite, ils vont mourir de leurs blessures, ou par asphyxie ,les éboulis ne recouvrent pas entièrement l'ouverture , il reste sur le côté un petit espace vide , le problème est qu'il est vraiment très étroit . "Moi , je veux bien essayer, Luc se porta volontaire , mais un , cela ne suffira pas , intervint Marti le chef mineur , Luc désigna du doigt Félicie , elle peut venir avec moi, tous deux descendirent au fond et réussirent à faire remonter un blessé , l'autre était décédé . Félicie se réveilla en sursaut , elle n'aurait su dire exactement ce qui l'avait tiré brutalement de son sommeil , un bruit , un grondement lointain , se penchant à la fenêtre , elle vit l'ingénieur et Marti en grande discussion "Il n'y a pas de quoi s'inquiéter : la ligne téléphonique  doit être coupée voilà tout , avec ce qui est tombé ces derniers jours...et de la neige mouillée lourde en plus .Puis on su ce que Félicie avait entendu une avalanche , il fallut plus de deux heures pour percer l'amas de neige , par endroits la glace mêlée de branchages et de pierres était dure comme du béton . La paysage était méconnaissable , plus d'arbres plus de rochers, plus de torrent bondissant de sa ravine . Le bâtiment de pierre à trois étages , abritant les ateliers au rez-de-chaussée et au premier et les familles sous les toits, il n'était plus là ; il était cinq heures , l'avalanche venait de rendre sa première victime . Luc avait il entendu la mort arriver , quel Dieu cruel l'avait-il fait venir d'aussi loin pour çà ? Malgré la couverture elle se sentait glacée de l'intérieur , elle y passerait des jours, des semaines s'il le fallait , mais elle le trouverait et le ramènerait au jour .Traînant sa couverture après elle , elle s'approcha de la fenêtre , Monsieur Legrand rentrait à son tour , seul , accablé il leva la tête et l'aperçut ,il lui fit signe d'ouvrir la fenêtre :"Monsieur Voisin va demander de l'aide à l'armée , puisque la Pinouse est sous administration militaire nous devrions avoir un renfort d'une centaine d'hommes pour continuer les recherches et dégagée la voix ferrée . Comme elle se détournait pour aller se coucher , elle vit une petite lumière tourné le coin de la cantine , ils étaient deux , un mince et l'autre plus râblé; elle n'eût pas conscience de pousser un cri , mais l'instant d'après , elle dévalait l'escalier comme une folle , elle courait dans la neige vers la lumière qui grandissait au bout du sentier, elle se jeta au cou de Luc et dans le même élan plaqua ses lèvres sur les siennes glacées mais délicieusement vivantes. Luc avait passé la nuit bien au chaud à Rapaloum , en l'envoyant malgré le mauvais temps apporter un repas chaud au gardien de la gare de l'arrivée du câble aérien, le chef d'atelier lui avait sauvé la vie . Ce fut le mariage  le plus étonnant , le plus étrange qu'on ai vu de mémoire d'homme dans la vallée de la Lentilla et même peut-être dans tout le massif du Canigou. Pensez " la fille" la sauvageonne , la sorcière épousait un ouvrier Chinois une "face de citron" c'était un évènement à ne pas manquer !Elle avait elle même confectionner son bouquet de mariée avec du noyer , de l'orpin , du millepertuis , de la camomille et des immortelles ; un énorme ramellet de la Saint-Jean pour connaître le bonheur toute une vie durant.    


Les mines de la Pinouse fermèrent définitivement leurs portes dans les années trente, victimes du retour dans l'industrie française du minerai de fer lorrain , de moins bonne qualité mais plus rentable. Durant la Seconde Guerre Mondiale , les bâtiments abandonnés servirent de refuge au maquis Henri-Barbusse. Dans les tout premiers jours d'août 1944, lors d'une grande opération concertée entre l'armée allemande et la milice pour en finir avec les maquisards, Julien Panchot, leur chef , qui couvrait leur fuite , fut capturé et fusillé contre le mur de la cantine où les impacts de balles sont encore visibles . Valmanya , qui ravitaillait la Résistance fut brûlé et détruit. Quatre de ses habitants qui n'avaient pas pris la fuite , furent exécutés. Le village martyr, qui dut être entièrement reconstruit , fut décoré de la croix de guerre avec étoile de vermeil en 1948.