vendredi 30 août 2019

Une vie de Simone Veil




 Les photos  de mon enfance  le prouvent  nous formions  une  famille  heureuse,  nous voici les quatre frère et sœurs  serrés  autour de Maman, quelle tendresse entre nous ! Au delà des différences qui nous opposaient et des difficultés  qui nous fallait affrontées, nos parents nous offrirent en effet la chaleur d'un foyer unie; et ce qui comptait  plus que tout à leurs yeux, une éducation à  la fois intelligente et rigoureuse. Plus tard , mais très vite , le destin  s'est ingénié à brouiller les pistes, qui semblaient si bien tracées , au point de ne rien laisser de cette joie de vivre. Chez nous comme dans tant de familles juives françaises la mort à  frappée  tôt et fort, aujourd'hui  je ne peux m'empêcher de penser avec tristesse que mon père  et  ma mère  n'auront jamais connu la  maturité de leurs enfants, la naissance  de leurs petits enfants, la douceur d'un cercle familial  élargi. Les années 20  furent pour eux celle du bonheur; ils s'étaient mariés en 1922, mon père André Jacobs avait alors trente deux ans et Maman Yvonne  Steinmetz   onze de moins , mon père est architecte, ma mère irradie de beauté rayonnante qui évoque pour beaucoup  celle de la star de l'époque Greta Garbo, un an plus tard naît  une première fille Madeleine surnommée  Milou, une nouvelle année s'écoule et Denise voit le  jour, puis Jean en 1925 et moi en 1927, Maman est heureuse  ses enfants remplissent sa vie. Deux ans après leur mariage  mes parents avaient quitté la capitale  pour s'installer à  Nice,  Maman ne vécut pas cette transhumance avec joie ,à la demande de son époux, elle avait abandonné  des études de chimie  qui la passionnait, pour se consacrer à  sa maison et à  ses enfants; durant les premières années, les affaires  de Papa  prirent comme il avait prévu, un essor prometteur, il engagea  deux dessinateur, un secrétaire et dessina les plans d'une villa à la Ciotat , selon lui la première d'une longue série. Nous vivions à Nice  dans un bel immeuble bourgeois. Cette situation faste dura peu, la crise économique, la fameuse crise de 1929, allait sévèrement  frapper ma famille comme celle de nombreux français ; les commandes de mon père se ralentirent brutalement, dès 1931 il fallut vendre  notre voiture, il fallut emménager dans un appartement plus modeste, moins confortable , à l'âge de cinq ans, ces petites gênes  matérielles m'affectaient peu, au contraire, j'ai beaucoup aimé cet appartement, la proximité  de la campagne , nous formions  mes sœurs et moi  un trio parfaitement soudé , un peu plus grande   , j'allais volontiers  chercher   le dictionnaire pour trancher un différend sur le sens du mot, Papa m'installait toujours à sa droite à table, au motif  qu'il fallait me surveiller  , il estimait  que trop souvent je n'en faisait qu'à ma tête , que je me tenais mal, qu'il fallait parfaire mon éducation et que lui seul pouvait compenser le laxisme maternel, il n'appréciait  pas mon esprit contestataire. Lorsque  je repense à ces années heureuses de l'avant guerre, j'éprouve une profonde nostalgie. La politique, à cette époque entrait à pas feutrés dans ma vie de  lycéenne , j'étais en septième lorsque le front populaire  remporta les élections en 1936  j'ai conservés des souvenirs précis des premières années de l'Allemagne nationale socialiste et de la montée de l'antisémitisme prévu ou  non par les experts, l'offensive allemande se  déclencha le 10 mai 1940  à ce moment là tout le monde perdait la tête  et la panique qui soufflait sur Paris n'épargnait  pas les grandes villes de province, pendant quelques semaines le phénomène de l'exode  avait pris une ampleur folle. Les Juifs  faisaient désormais l'objet d'une ségrégation administrative parfaitement scandaleuse au pays des droits de l'homme :  était  "juifs" quiconque possédait trois grands parents juifs, mais seulement deux s'il  était lui même   marié à un conjoint juif ! ainsi défini, les juifs se    voyait   interdire toute activité dans le secteur public et la sphère médiatique. Dès 1941 il avait été  fait obligation  aux Juifs de se déclarer, d'abord les étrangers, nombreux à  Nice  puis les Français  qu'est ce que cela voulait dire ? N'étions nous pas Français aux même  titre que les autres ? Cependant  comme  la presque totalité des familles juives, nous nous sommes pliés à cette formalité, habitué à  respecter  la loi, d'ailleurs nous n'avions pas à rougir de ce que nous étions.Après  la chute de Mussolini  dans l'été 1943 les Italiens signèrent une armistice et quittèrent la région, on entra  dans la tragédie le 9 septembre 1943 la Gestapo débarquait en force à Nice, avant même les troupes allemandes ; ses services      s'installaient à l'Hôtel Excelsior, en plein centre ville, et déclenchait sans coup férir la chasse aux Juifs que les Italiens avaient refusé de mettre en oeuvre, les arrestations massives commencèrent aussitôt ; nos papiers d'identité  devaient porter la lettre J. J'ai senti le danger de cette mesure  avant le reste de la famille, et voulu m'opposer   à ce tampon ; convaincus  des dangers  mes parents ont alors décidés de faire front  en se procurant  des fausses cartes d'identités, puis nous nous sommes dispersés, mes parents chez un ancien dessinateur de mon père, Milou et moi  logions dans le même immeuble chez  d'anciens professeurs  , mon frère Jean  était hébergé ailleurs par un troisième couple ; avec cette dispersion , munis de fausses cartes d'identités , nous nous imaginions à l'abri, ma sœur continuait à travailler, je poursuivais mes cours au lycée, et n'hésitais  pas  à sortir en ville avec  mes camarades, disons  le sans détour : nous étions inconscients. J'ai rendez-vous avec des amis pour fêter la fin des examens, je m'y rendais avec un camarade lorsque soudain , deux Allemands en civil  nous arrêtèrent pour contrôle d'identité, et nous conduisit à l'hôtel  Excelsior, on me montra une pile de fausses cartes d'identité semblable   à la mienne ; j'ai donc fourni une fausse adresse    aux Allemands, avant de supplier le camarade non juif  qui s’apprêtait à ressortir   libre de prévenir ma famille, mais il fut suivi par la Gestapo; le coup de filet fut rapide Maman , Milou et Jean  arrivèrent à l'hôtel Excelsior, même si mon frère n'était pas circoncis, nos  fausses cartes suffisaient  à nous dénoncer comme Juifs. Le 7 avril  nous avons donc voyagé pour atteindre Drancy, où  convergeaient  nous l'avons appris par la suite tout les convois de toute la France ; à notre arrivée nous avons tout de suite compris que  nous descendions une nouvelle marche dans la misère et l'inhumanité. Ce  qui est certain , c'est que mon père et mon frère sont partis  ensemble pour Kaunas , car leurs noms figurent sur les listes ils semblent  que tout le monde ait été rapidement assassinés  à l'arrivée, du moins si on en croit les témoignages de la quinzaine de survivants  revenus de cet enfer, quel  fut le sort de mon père et de mon frère ?  nous ne l'avons jamais su ! Le 13 avril nous avons embarqué à cinq heures du matin, pour une nouvelle étape dans cette descente aux enfers, à la gare de Bobigny, on nous à fait monter dans des wagons de bestiaux , nous étions  effroyablement serrés une soixantaine d'hommes , de femmes, d'enfants, de personnes âgées;  le voyage à duré deux jours et demi, le le 13 avril à l'aube au 15 au soir   à Auschwitz - Birkenau, c'est une des dates que je n'oublierai jamais, elles demeurent attachées  à mon être le plus profond, comme le tatouage du numéro 78651 sur la peau de mon  bras gauche; à tout jamais elles sont les traces  indélébiles de ce que j'ai vécu .La seule humiliation que nous n'avons pas connu c'est d'avoir la tête rasée ce qui était pourtant la règle à Auschwitz , certain ont imaginé  que la Croix rouge avait annoncée une visite, et bien sur personne n'a jamais vu le moindre inspecteur de la Croix rouge à  Auschwitz, soixante ans plus, lorsque je pense à la  constance  avec laquelle la Croix rouge  internationale s'est efforcée de légitimer son comportement de l'époque, je reste....à  tout le moins perplexe.Au printemps 1944, les  autorités  du camp  avaient décidé de prolonger la rampe de débarquement des convois pour  la rapprocher  des chambres à gaz, nous portions des pierres  et faisions du terrassement  , puis les S.S  nous ont astreintes à des tâches inutiles porter des rails, creuser des trous, charrier des pierres dont l'objet était de nous affaiblir, un matin, alors que nous sortions du camp    pour aller au travail, la Chef de camp, Stenia, ancienne prostitué terriblement dure avec les autre déportées  , m'a sorti du rang   " Tu es vraiment trop jolie pour mourir  ici, je vais faire quelques chose pour toi  en t'envoyant ailleurs,oui mais j'ai une mère et une sœur je ne peux pas accepter  si elles ne viennent pas avec moi, elle a acquiescé  d'accord elles viendront  avec toi, en effet , elle tint sa promesse, quelques jours plus tard, nous avons été transférées dans un commando moins dur que les autres, à Bobrek , nous étions moins nombreuses, notre groupe de femmes  était caserné dans un grenier au-dessus de l'atelier de l'usine; Maman à commencé  à s'affaiblir  quand à nouveau on nous à déplacée à soixante kilomètres à pied  , nous avons entamé cette longue marche vers la mort, ceux qui tombaient était aussitôt abattu, de Gleirritz , les trains ont commencé à partir dans plusieurs directions, à   Bergen Belsen , il n'y avait presque pas de nourriture, pas le moindre soin médical, l'eau   elle même faisait défaut, la plupart des canalisations ayant éclatés ; Maman  s'est de plus en plus affaibli par la détention, le travail, le voyage épuisant à travers la Pologne, la Tchécoslovaquie ,et l'Allemagne, elle n'a pas tardé à attraper le  Typhus, elle est morte le 15 mars, je me rends compte que je n'ai jamais pu  me résigner à sa disparition, chaque jour Maman , se tient près de moi et je sais que ce que j'ai accompli dans ma vie  l'a été grâce à elle. Début avril, nous avons senti que le dénouement était proche, Milou n'allait pas bien, elle aussi avait contracté  le typhus, je la réconfortais du mieux que je pouvais " Ecoute il faut tenir le coup  et ne pas se laisser aller nous allons  bientôt être libérées. Bergen-Belsen a  été libéré le 15 avril , les troupes   anglaises ont pris possession du camps; la guerre était finie, mes sœurs  et moi  étions vivantes, mais comme tant d'autres, la famille Jacob avait payé un lourd tribut à  la faveur nazie; tout de suite nos oncles et tantes Weisman nous ont accueillie chez eux, à mon retour des camps j'avais appris que j'avais été reçu aux épreuves du baccalauréat passé la veille de mon arrestation en mars 1944, je me suis inscrite  à la faculté de droit, ou j'ai rencontré Antoine qui suivait comme moi des cours de sciences Po, il vivait à Paris depuis sa démobilisation chez une de ses grand-mère; nous nous  sommes mariés à l'automne 1946, j'avais dix  neuf ans et Antoine vingt ans , notre premier fils  Jean  est né à la fin de 1947, Nicolas le deuxième treize mois  après, Pierre François lui s'est  fait plus attendre puisqu'il est né en 1954, afin d'aider notre jeune couple et parce qu'il nous appréciait Michel Boissier à proposé à  mon mari un poste d'attaché parlementaire au Conseil de la République. Mon mari ne voulait pas que je travaille, mais par chance il avait rencontré à travers ses différentes relations politique  un haut magistrat   qui lui avait affirmé " Les femmes ont désormais leur place dans la magistrature" En 1954 l'école de la magistrature n'existait pas, l'accès  à la carrière  s'effectuait par un concours, à l'issue de deux années de stage , j'avais été reçu au concours et affectée à la direction  de l'administration pénitentiaire j'y ai passé sept ans , puis Jean Foyer  m'a affectée  à la Direction  Civiles, puis j'ai accepter le poste moins harassant de secrétaire de Conseil Supérieur de la magistrature auquel m'a nommée le Président Pompidou à sa demande j'ai également  été nommée  à l'un des postes d'administrateur  de l'ORTF  chargé de représenté l' Etat; j'étais la première femme  à siéger dans ce Conseil d'administration, comme d'ailleurs dans celui de la Fondation de France auquel j'ai été nommée à la même époque . Un soir  , alors  que nous dînions chez des amis, la maîtresse de maison m'invita à  sortir de table, quelqu'un désirait de toute urgence  me parler, c'était Jacques Chirac qui me demandai si j'accepterai le cas échéant de faire partie de son gouvernement. C'est ainsi que je me suis retrouvée dès le lendemain ministre de la santé. Ma tâche me paraissait d'autant plus lourde  que la profession médicale, dans l'ensemble m'acceptait avec réticence, face à un milieu au  conservatisme très marqué, je présentais le triple défaut d'être une femme, d'être favorable à la législation de l'avortement et enfin d'être juive . Du moins pouvais je compter sur l'appui inconditionnel du Président, son Premier ministre en revanche, se montrait plus réservé aux yeux de Jacques Chirac, le pays se trouvait confronté à des problèmes autrement plus urgent que l'IVG. Finalement la loi à été votée dans la nuit    du 29 novembre par deux cent quatre vingt voix ; quinze jours  plus tard, elle fut voté au Sénat  quasiment dans les mêmes termes. Quand je levais les yeux de mes dossiers deux ans après la constitution du gouvernement, je m'apercevais  que le climat avait changé; entre Giscard et Chirac une fêlure s'était produite en fin d'année; j'ai ,refusée d'adhérer  au RPR, c'est alors  que je me suis prise peu à peu à ressentir  l'usure du pouvoir. Puis   aux élections européennes de juin 1979  ma liste arriva assez loin devant celle du Parti socialiste ; mon premier discours  se voulut le plus unitaire possible ; je m'y  présentais évidement avec le souhait  d'être   la  présidente   de toute l'assemblée et insistais  sur les trois défis que nous avions à relever, celui de la paix, celui de la liberté, et celui du progrès social. Dans les années 1980    quand je suis arrivée au Parlement européen, j'imaginais  encore une  évolution vers un système  de type fédéral, aujourd'hui les mentalités ont changés  je ne peux constater un attachement  croissant des citoyens à leur cadre  national et aux facteurs historiques qui ont formé des identités singulières  , à cet  égard  nous vivons un paradoxe, l'Européen d'aujourd'hui  voyage beaucoup, l'envie est devenu une réalité   dont la plupart se félicite , Internet est entré dans les mœurs et la dimension de la modernisation domine la pensée contemporaine. Cependant  les citoyens  semblent beaucoup plus attachés à leur identités nationale qu'il y a vingt ans au point que partout  se développent des tentations  communautarismes s'ils tiennent tant à  cette identité, c'est parce qu'ils subissent à jet continu   des chocs mondiaux, leurs racines  devient une valeur refuge, une protection contre toutes les tragédies que la télévision et internet  nous font vivre en temps réel, où qu'elles se produisent .J'ai  aimé que  le Conseil constitutionnel se préoccupe de la lutte contre les discriminations ; je suis favorable  à toutes les mesures de discriminations positives susceptible de réduire les inégalités des chances , les inégalités sociales; les inégalités de rémunérations , les inégalités de promotion dont souffrent les femmes, avec l'âge je suis devenu de plus en plus militante de leur cause ,il est  inutile de la proclamer à son de trompe, il est préférable de la pratiquer, nul besoin pour cela d'employer de grands mots, qui ne peuvent qu'ameuter les idéologues  de l'égalitarisme  républicain, non plus de débattre de quotas sur lesquels personnes ne s'accordera, ici comme ailleurs notre pays s'engage trop volontiers dans des débats théoriques qui portent sur les principes et négligent les réalités de la société, pendant que l'on fait des rond de jambe sur la parité  . La politique me passionne mais dès quelle devient   politicienne,elle cesse de m'intéresser.