dimanche 16 septembre 2018

Aborigènes de Eddie Mittelette



Né en 1979, Eddie Mittelette a découvert la culture aborigène en prenant part à la coupe du monde de boomerang à Melbourne, en 2000. Il a ensuite effectué trois voyages en Australie, dont deux à la rencontre des Natifs du désert. Il a parcouru 11000 kilomètres en solitaire à vélo sur les pistes de l'Ouest Australien. Sa fascination pour l'existence des Aborigènes la mené auprès des Martu . " Il est temps pour moi d'avancer, même si la bienveillance des habitants de Wiluna m'encourage à poser mes valises, beaucoup de personnes m'ont ouvert les portes de leur maison , ont accueilli ma sincérité sans délai ni contrepartie ; ils me prouvent d'une belle manière que les préjugés ont bâti de solides remparts entre les Aborigènes de cette région et leurs détracteurs . Je suis un coup de vent dans leur vie, pourtant tous m'ont vanté leur spécialités, Randall porté, par une profonde ferveur, j'ai en mémoire ses paroles : Quand je pars chasser le kangourou , j'en rapporte quatre ou cinq tous ficelés sur la capot de ma Toyota , avant de les cuire, je bois leur sang , c'est le meilleur médicament çà soigne tout, s'ils ne sortent pas de leur cachette, j'attrape parfois un émeu, quand la nuit tombe, on campe tous ensemble autour d'un grand feu dans lequel ma mère cuit les bêtes et le pain traditionnel, on mange avec les enfants et les vieux, on rit , puis on raconte des histoires de monstres terribles, enthousiasme partagé par sa mère, chasseuse aguerrie de varans, quelle sort du terrier par la queue avant de leur fracasser le crâne au sol. C'est pour moi une certitude je reviendrai. L'air de Port Hedland est suffocant, ma tente devenu une étuve , je m'en extrais dés les premières lueurs de l'aube, après avoir mit de l'ordre dans mes sacs, je me rends dans la localité  voisine South Hedland , à mi parcours de mon voyage, ce premier lundi de mai est un jour particulier, je m'apprête à rejoindre la communauté de Warralong afin de partager la vie quotidienne des Aborigènes Martu ; ainsi j'interromps mon itinéraire pour un temps indéterminé, pour plusieurs mois je l'espère, Kate la directrice de l'école communautaire m'a succinctement  expliqué que je travaillerai en tant que bénévole auprès des enfants, je m'occuperai aussi des repas pour les enfants, et assisterai les professeurs durant leur cours . Dans une proportion comparable à celle de l'ensemble du continent , la population Aborigène d'Australie s'élève à 3% , seul le territoire du Nord en dénombre plus de 30% ; l'Australie a commis un long et lent génocide envers les Aborigènes en retirant les enfants nés d'union de père européens  et de mère indigènes afin d'interrompre la transmission de leur culture; ces enfants ne revoyaient jamais leur mère et étaient contraints de rejeter toutes les manifestations de leur aboriginalité ; cela à duré un siècle.Dans le dialecte, Martu signifie " personne" mais également " l'un des nôtres" Ce nom porte en lui toute l'importance du partage qui relie les êtres : le don de soi pour la communauté, l'absence d'ego ; ces facultés apparaissent tôt chez les enfants et je m'étonne toujours de certaines réactions, à un âge qui révèle les premières jalousies, la mise en commun est d'usage, d'ailleurs, je n'ai jamais entendu de " merci" depuis mon arrivée car ce mot n'existe tout simplement pas dans leur dialecte. A l'origine, les Aborigènes ne croyaient pas que la mort puisse être un fait naturel ; leurs superstitions  nous apprennent que les causes peuvent venir de vengeances, d'actes de sorcelleries lancés par des clans rivaux ou des esprits malveillants comme le Malbu,cet esprit se déplaçait à la faveur des nuits noires, chaussés de plumes d'émeu qui ne laissaient pas d'empreintes, afin de mener des expéditions punitives ; une période de deuil est nécessaires laissant le temps à l'esprit de quitter le corps, une habitation est interdite tant que les Aînés n'ont pas levée l'interdiction la bâtisse nourrit les craintes de ceux qui s'en approchent. A l'ère du Mangung , les êtres chantèrent au fil de leurs créations ; des chants de deux à douze mots destinés aux hommes pour leur succéder . Ils leur enseigneraient ainsi la connaissance pratique des choses et des lieux mais aussi la manière de les honorer par des rituels pareilles à un cryptogramme , les pistes chantées renfermaient des secrets, dont une traduction littérale n'aurait fait qu'égarer l'étranger non initié. De fait, ces réseaux étaient un puissant outil de paix qui amoindrissait les conflits inter claniques  et rendait inepte tout instinct de conquête, puisque s'en les clés de compréhension et d'usage une terre n'apporte rien aux hommes et aucun rituel associé ne peut y être célébré . Les ancêtres qui parcouraient la longue chaîne des lacs, du Percival à  Dora en passant par Auld transportaient avec eux le jangi , un bâton dont le bout se consumait lentement et qui permettait de démarrer un brûlis sur Spinifex ou d'allumer le feu de camp à l'étape ; gage de vie, cette braise ne devait jamais s'éteindre, surtout lors des périodes froides et pluvieuses . L'étincelle à l'origine de tout feu comme celle émise par mon allume feu Firesteel , un silex à frottement s'appelle tiiru; elle donne naissance au tili la flamme ; bien que waru symbolise le feu tel que nous le représentons il devient nyuyula lorsque l'on le ravive , puis taaru lorsque ses flammes atteignent leur apogées . Le soleil s'aligne sur mon cap lorsque j'atteins l'épaisse chênaie qu'enceignent les collines de Dovers ; la piste sinue le long des flancs escarpés qui servent de toiles de fond à un décor surréaliste ; sur un tapis de spinifex et de buffelgrass les chênes du désert composent un tableau oasien , un jaillissement de vie inattendu dans cet univers minéral . La sylve s'épaissit  encore au détour d'un relief  et forme un courent sous lequel des armées de fourmis travaillent à renforcer leur habitat ; l'activité reptilienne est pareillement féconde, les empreintes à l'entrée des terriers trahissent de récentes allées et venues ; au gré du vent , les allocasuarinas aux branches graciles bruissent dans un ondoiement majestueux , leurs feuillages est si duveteux q'il  dissipe un pastel estompé du bout des doigts , je jouis un moment de l'ombre rare, en flânant je surprend une vingtaine de dromadaires qui se dirigent à pas chaloupés vers une colline proche, leur caravane se fige à ma vue, ignorant si ma présence est une menace, plusieurs mâles s'interposent pour parer une éventuelle attaque, ma première crainte est que l'un d'eux soit en rut et me charge, mais pour l'heure je leur inspire de la crainte, ils se remettent en chemin , gardant sur moi un œil défiant ; exalté et le cœur battant j'ai un plaisir d'être dans un tel lieu exceptionnel  qui est en mesure de provoquer de telles rencontres et engendrer autant de beauté ; chaque jour passé dans le désert s'accompagne en effet d'émerveillement, ils sont la récompense de l'effort et de l'incertitude qui ne me quitte jamais, le sentiment de vulnérabilité magnifient mon expérience. Malgré l'envie de camper là , je décide de poursuivre dans le jour déclinant, car la végétation est dense et l'activité animale trop vive. Je déniche rapidement un havre de paix sur la crête d'une dune et m'offre ainsi une vue imprenable sur les confins nord du désert de Gibson . Le bout du monde semble alors à ma portée ; je le tiendrai dans ma main lorsque bientôt  j'atteindrai Kiwirrkurra ; la communauté aborigène réputé comme étant la plus isolée d'Australie! " Bloody long may way, mate!" une manière typiquement australienne d'entamer la discussion, car ici on se préoccupe davantage des distances parcourues que du temps qu'il fera le lendemain ! l'accueil qui m'est réservé est particulièrement chaleureux, nos hôtes sont affables leurs paroles pleine d'attention . Trois jours et plus de 230 kilomètres me séparent de la communauté pentu , à peine ai-je parcouru un kilomètre qu'une douleur fulgurante au genou droit me contraint à l'arrêt, chaque coup de pédale produit une décharge électrique dans sa rotule et se propage dans toute la jambe , c'est la guigne ! L'aube n'est porteuse d'aucune amélioration la douleur persiste et signe , mes réserves de nourritures sont suffisantes pour séjourner  ici plusieurs jours , pourtant je ne peux me résoudre à pareille inaction alors je me remets en selle sans réfléchir , avec pour seul objectif de rejoindre le dispensaire  de Kanawaarrilji en limitant la casse . Un couple d'Australien m'interpelle à l'instant où j'appuie mon vélo contre le mur du dispensaire. " Vous voilà enfin s'exclament -ils en s'approchant pour me serrer la main ; on a suivi votre trace depuis Alice Springs ; çà fait déjà deux semaines. Dimanche 7 juillet , veille de carnival de Panmungurr, pour l'heure du miel et quelques amandes calmerons ma fringale, trouver de l'eau m'importe bien plus, je ne dispose que de 2 litres pour rejoindre la pompe qui se trouve à  25 kilomètres à la lisière méridionale du parc, il m'est impossible de progresser en demeurant sur le sable , ni de couper dans le bush tant la végétation s'épaissit ; j'atteins péniblement la source au terme de six heures d'effort aveuglé par la sueur, je noue sans tardé un tissu autour du robinet pour filtré l'eau qui va en jaillir, mais rien ne viens ! l'état du sentier s'améliore et annonce bientôt un visiteur que je n'espérai plus , une Toyota apparaît dont sort un couple surprit de me croiser, Tonia et Rob lisent sur mon visage défait l'épreuve que je viens de subir , au bord de la nausée, j'engloutis sans attendre 2 litres d'eau  ainsi que la pomme savoureuse qu'ils me tendent ; avant de me confondre en remerciements ; ils remplissent ensuite mes outres plus que je ne pourrais boire. Auprès de mes bons samaritains, je bénéficie de l'entraide qui fait la réputation et la fierté des Australiens de l'arrière pays . S'enquérir du bien-être du voyageur , le secourir si nécessaire, est pour eux un devoir , un principe moral ; Le désert , par son âpreté inhérente, exhorte à la solidarité. Mes pensées se tournent à présent vers l'est . Bien que cela puisse relever du paradoxe, je quitte le " cœur " des Martus avec regret, car je sais déjà que la fin du voyage ne l'égalera pas en splendeur.