dimanche 11 septembre 2016

Comme un enfant perdu de Renaud




Je suis né le 11 mai 1952 dans une famille heureuse et dont j'ai longtemps ignoré les secrets , cinquième enfant d'une famille qui allait en compter six, mon père  Olivier  Séchan, écrivain et  professeur d'Allemand , ma mère Solange dévouée aux tâches de la maison, Christine ma sœur aînée maman de substitution quand la première est débordée car il y a  Nelly, Thierry, David mon faux jumeau et Sophie notre souffre douleur que nous traitons de chouchoute et de petite pisseuse. Nous habitons Porte d'Orléans au numéro 6 de l'avenue Paul- Appell dans les immeubles en briques de la ville de Paris ancêtre des HLM à cent mètres de là vivent mes grands parents paternels Louis et Isabelle Séchan, Louis enseigne la poésie grecque à la Sorbonne tandis que sa femme est une illustre pianiste. A partir de la 9ième nous rentrons seul de l'école par la rue du Père-Corentin, ce qui nous permet de faire une longue escale à la boulangerie, c'est en me rappelant ces retours d'école, ces moments de merveilleuses insouciance, d'éternité trompeuse que j'écrirai vingt cinq ans plus tard Mistral gagnant pour ma fille LOLITA. Je me souviens comme si c'était hier du bouleversement de nos parents le soir du 8 février 1962, ils viennent de participer à la manifestation contre l'OAS et pour la paix en Algérie,ils ont été chargés par la police, 8 morts au métro Charonne durant des jours nous les entendons évoquer ce drame.J'ai neuf ans et je prends subitement conscience de ce que signifie l'engagement politique; à la veille de mes dix ans je me range donc résolument à gauche, comme mes parents ma sympathie pour le Partie communiste , il y a d'un côté les bons, les généreux dont nous sommes, et de l'autre les méchants, et parmi les bons il y a mon grand père Oscar Mériaux le père de notre mère il est ajusteur à la veille de sa retraite , il est une force de la nature, large comme une armoire normande, un croissant de lune et une fleur tatoués sur l'épaule, le verbe haut et parlant une langue étrange, dont un mot sur trois m'échappe, c'est qu'il est du Nord , mon grand père Oscar, fils et petit fils de mineur, expédié lui même à la mine à l'âge de 13 ans, puis il est venu à Paris dans les années 70 pour s'embaucher chez  Renault  à Billancourt , il est abonné à l' Humanité ce qui fait de lui à mes yeux une sorte de modèle, de maître à penser, je l'écoute avec passion me raconter ses souvenirs " Gabilot que j'étais" devant ma bouille perplexe il m'explique que les gabilots, c'étaient ces "p'étiots" employer à pousser les wagonnets de charbons dans les boyaux trop étroits  pour les adultes, puis  soldats dans les tranchées en 14-18  revenu entier  par miracle. Par la suite , c'est chez Renault qui se politise et se met à lire Marx, Engels et Lénine. J'admire cet homme dont les mots me touchent , dont la fibre sociale rencontre mon attirance pour les gens simples, ceux qui vivent de peu et ont le sens du partage. Au début des années 80, quelques années après sa mort qui me laissera longtemps orphelin, j'écrirai une chanson à sa mémoire "Oscar il était ch'timi jusqu'au bout des nuages". Mai 68 arrive à point pour moi celle qui va marquer un tournant dans ma vie, à la maison, je suis condamné à prendre tous les repas à la cuisine sous prétexte que je porte les cheveux longs,au lycée Montaigne où je redouble ma 3e après mon exclusion de Gabriel Fauré dès les premières manifestations on me retrouve en tête des cortèges, point levé; je suis à la veille de mes 16 ans et je peux enfin donné libre court à mon ardent désir de changement pour un monde plus ouvert, plus fraternel, plus solidaire. Mon père me laisse accéder à sa machine à écrire et tandis que je tape la chanson d'Evariste, je leur raconte des bribes de ce que je vis à la Sorbonne, et pourquoi nous devons réussir la révolution, d'ailleurs j'ai embarquer au passage  la guitare de ma sœur Nelly sur laquelle je m'essaie parfois à jouer et chanter du Bob Dylan et du Hugues Aufray , ma guitare sur les genoux, un tract retourné pour bloc note, j'écris et je compose ce jour là en une petite heure Crève Salope cette chanson sera reprise dans les lycées occupés et dans plusieurs universités , je l'ai même  chanter à mes parents,quand j'y songe aujourd'hui , un demi siècle plus tard, j'en ai les larmes aux yeux, comment j'ai asséner de telles insultes à mon pauvre père? je le vois pâlir, se décomposer "'c'est ignoble!" Une chanson de petit voyou !Tu me fait honte" grince t-il avant de quitter la pièce, également consterné ma mère lui emboîte  le pas , et moi je me réfugie dans ma révolte pour trouver la force de sourire. Plus je prendrai la décision d'arrêter les études en 2ième, mes parents sont effondrés ," c'est un mauvais choix, mais c'est le tiens tu en assumeras seul les conséquences pour le restant de ta vie".Et pour mon premier travail ,je parvins à me faire embaucher  dans une librairie, c'est d'ailleurs à cette période que j'apprends que mon père à travaillé durant toute la guerre pour Radio Paris, la radio propagande allemande, c'est là qu'il rencontre ma mère qui est secrétaire et lui employé comme traducteur puisqu'il parle allemand couramment , il est en train de divorcer de sa première femme et il a deux enfants Nicolas et Christine, c'est un cousin qui ma traité un jour de fils de collabo et j'ai appris après  qu'il avait été arrêté à la fin de la guerre comme la plupart des employés de Radio Paris il sera retenu une journée et aussitôt blanchi de tout soupçon par le tribunal. J'apprends aussi que mon grand père Oscar fut membre du parti populaire français (PPF), comment l'ancien mineur communiste à 20 ans , de nouveau communiste au soir de sa vie a-t-il pu se retrouver militant d'un parti fasciste sous l'occupation? être condamné à la Libération et emprisonné pendant plusieurs mois, la révélation est si choquante que je n'aborderai jamais le sujet avec ma mère. Je lis, j'écris, je fréquente les cinémas , je prends plaisirs à bavarder avec les clients et consulter les auteurs que j'aime , je me cherche,  le désir de devenir comédien m'amène à m'inscrire au cours d'art dramatique de la grande Tania Balachova il faut croire que je me débrouille pas trop mal  on me proposera des petits rôles dans des télé films. J'ai 18 ans je devrai partir au service militaire, mais j'échappe à la punition grâce à la mort de Nicolas, ce frère que je n'ai pas connu l'Etat considère que  Nicolas est mort pour la France le 7 mai 1944, ce qui donne droit à mon père de dispenser l'un de ses fils au service militaire.C'est à l'été 1971  que je me pointe à Belle Ille en mer avec six potes nous avons louer une maison pour une quinzaine de jours et j'ai pris soin d'emporter ma guitare; un matin en me promenant sur le port je vais rencontrer Patrick Dewaere  je lui ai demandé une cigarette et on discute de politique et bien  sûr  d'amour  je l'invite chez nous. De retour à Paris je retrouve Dewaere qui me présente à sa troupe, un certain Coluche, une fille qui se fait appeler Miou-Miou et il me propose de remplacer un certain Gégé  qui veut partir en Amérique. C'est là que je ferai mes premiers pas sur scène en jouant dans une pièce de Théâtre. Puis j'ai quitté la librairie ,je ne joue plus au café de la gare.J'ai vingt ans je traîne ma guitare sur le dos, comme un enfant perdu je traîne mes sanglots; Michel Pons mon pot va chercher son accordéon, et l'on chante sur les trottoirs du Brassens, Léo Ferré , Bob Dylan, Hugues Aufray ; c'est désormais notre quotidien chanter dans les cours d'immeubles , et le soir aux terrasses des cafés de Montparnasse; j'ai quelques chansons personnelles qui me valent des applaudissements , en tête  desquelles Hexagone,Camarade bourgeois. Et voilà qu'un jour prés du parc Montsouris j'entends qu'on me hèle" Hé Renaud " je me retourne Coluche , il joue tout seul sur scène du nouveau Café de la Gare, rue du Temple avec son "Histoire d'un mec" Au moins quatre cent personnes patientent dans la cour du Café de la Gare en attendant qu'on veuille bien les faire rentrer  et ça nous donne une idée avec mon pot Michel on vient chanter tous les soirs et ça marche, le public rigole, applaudit et nous file trois sous, un jour un type nous aborde, il s'appelle Paul Lederman il est le manager de Coluche et ça lui plaît ce que l'on chante, il nous propose d'intervenir en première partie de son nouveau spectacle à la rentrée.A l'automne 1974 , nous voilà au Café concert à deux pas des Champs Elysées , en première partie de Coluche, on s'appelle les P'tits Loulous et j'apparais  sur scène dans ma tenue habituelle de Gavroche; Michel est appelé au service militaire et je pense arrêter, mais Paul Lederman m'encourage à chanter mes propres chansons avec un guitariste qui remplace Michel. Puis un soir on me propose de faire un disque, j'ai vingt trois ans et je pénètre  pour la première fois dans un studio professionnel, j'enregistre Hexagone, Camarade bourgeois, Société tu m'auras pas et Amoureux de Paname. Automne 1975 je chante tous les soir  à la Pizza du Marais, et c'est là que je vais rencontrer ma femme Dominique et son mari Gérard Lanvin ,ils sont tout les deux comédiens, mais ils sont sur le point de se séparer. Dominique est la première femme que je présente à mes parents . Le succès de Laisse Béton est bien là, je paye mon appartement avec mes droits d'auteur , le troisième album  ; Ma Gonzesse se vend à cinq cent cinquante mille exemplaires . Le 9 août 1980  naîtra ma fille Lolita, Salomé, Floriana c'était la St Amour il faisait beau. Rien ne semble pouvoir entraver un succès, ma vie est sous les projecteurs, je donne des interviews , je fais la une des magazines, je passe en boucle à la radio, on  m'invite à venir chanter sur les plateaux de télévisions, en l'espace de cinq années seulement, j'ai gagné plus d'argent, bien plus d'argent que mon père durant toute sa vie et d'ailleurs après la mort de mon père qu'est ce qui m'a pris un dimanche, d'entrer dans son bureau et d'ouvrir son journal intime et une phrase me saute aux yeux; "Je n'en peux plus le succès de mon fils me tue"; il me semble que mon cœur se glace, mon père que je place si haut,se peut-il que je sois en mesure de lui faire si mal. Le 26 juillet 1985, je m'envole pour Moscou et je serai déçu, car un mouvement protestataire en fond d’hémorragie je n'en termine pas moins le concert, mais je me suis senti angoissé de cette réaction du pouvoir, je me suis senti soulager  en rentrant en France.En 1991 je tourne Germinal et interprète le rôle d'Etienne Lantin eu côté de Depardieu, Miou-Miou , Jean Carmet. En 1997 à Cuba je retrouve la même angoisse douze ans après mon séjour à Moscou, ce n'est pas le peuple qui me fait peur , mais les services secrets les KGbistes sont des assassins. Je m'alcoolise pour calmer ses angoisses et Dominique ne supporte plus cette vie et on décide de se séparer. 1997 à 2002 je fais des cures de désintoxications qui me permettent  de reprendre mon métier de saltimbanque; en 2001 j'enregistre avec la merveilleuse Axelle Red Manhattan Kaboul sur une musique de Jean Pierre Bucolo; j'écris aussi une chanson pour Ingrid Bettancourt qui se trouve aux mains des FARC Colombiens. L'Album Docteur Renaud Mister Renard j' y évoque l'ambiance dont je suis la proie, gentil poète aux merveilleuses chansons d'un côté comme disent mes fans, mais de l'autre grand mélancolique, angoissé et colérique, soignant son mal par l'alcool. Quand sort ce treizième album, j'ai déjà   rencontrer Romane Serda à la deuxième rencontre , nous devenons amants, et je me réconcilie avec l'amour, le bonheur, le désir de reprendre soin de moi et de tourner le dos à l'alcool, je suis amoureux d'elle , j'ai écouté ses chansons, je suis tombé sous le charme de sa voix et j'ai donc décider de produire son premier album; le 5 Août 2005 nous nous sommes mariés à Châteauneuf de Bordette dans la Drôme provençale , notre fils MALONE vient au monde le 14 juillet 2006; nous habitons une belle villa à Meudon avec un grand jardin et une piscine; Romane est enthousiasmée et notre vie se présente sous les meilleurs auspices , si je n'étais pas rattrapé  par ce sentiment  de culpabilité qui m'a fait imaginé que l'on veut m'a peau et me précipite dans une angoisse affreuse et j'ai besoin d'alcool pour ne pas sombrer. Au tournant des années 2010, Romane commence en avoir assez de m'entendre rentrer beurré un soir sur deux; mon couple avec Romane se fracasse sur les mêmes écueils que celui que nous formions avec Dominique;(ma paranoïa, ma peur des Cubains,mon angoisse, que je noie sous des flots d'alcool pour supporter le quotidien". Un après -midi du mois d'Avril 2015 Grand corps malade aparait  soudain, il remonte lentement l'allée en direction de ma maison, sourit, me tend la main chaleureuse comme si rien d'anormal ne se lisait sur mon visage, sur mon corps devenu aussi chenu que celui d'un vieillard, il me demande si je suis d'accord pour faire un slam avec lui; Grand corps malade m'a remis au travail, puis je décide de me faire soigner à force d'entendre mes fans, ma fille Lolita , Dominique d'arrêter de boire, d'arrêter de me détruire; le docteur Hariga me fait admettre à la clinique St Elisabeth de Brouilles .Quand je quitte ces infirmiers et ces médecins extraordinaires , après trois semaines entre leurs murs , je ne bois plus et je suis remis sur pied Toujours Debout comme je l'écrirai quelques jours plus tard dans une chanson. Octobre est là,  nous rejoignons le studio et cette fois je peux commencer à enregistrer j'ai retrouvé un peu d'appétit et j"ai récupérer ma voix.L'assassinat de mes amis de Charlie-Hebdo le 7 janvier 2015, puis deux jours plus tard le massacre d'innocents dans l'épicerie Hyper Cacher m'avait profondément atteint.Dans ce monde en feu et a sang ma petite fille Héloise fille de Lolita et Renan Luce marche dans les rues  sereinement en serrant bien fort la main de son grand père.Eh bien dans les mois qui viennent , je vais m'efforcer de vous rendre le sourire. Eh qui sait? Peut-être même allons-nous pleurer ensemble du bonheur de nous retrouver vivants, et sous le même ciel ? Toujours debout.