mercredi 7 décembre 2022

La chamane aux yeux bleus de Hélène Legrais


 


L'An grâce 1359 , fuyant l'inquisition, Agnès noble demoiselle d'Aguilar quitte le port de Barcelone à bord de la Saint Jordi. Une nef à l'équipage cosmopolite commandé par Renaud de Saint Estève . La Sain Jordi avait quitté le port de Barcelone au coeur de l'été, avec pour mission de découvrir le grand passage, celui qui permettait pensait t'on de contourner le continent africain vers les Indes fabuleuses. Ce n'est qu'en doublant les colonnes d'Hercule, lorsque la Saint Jordi avait planté pour la première fois son entrave dans les eaux vertes de l'Atlantique , qu'une grisante sensation de liberté s'était substituée à l'accablement qui pesait sur elle depuis de longs jours. Le monde était vaste où l'Eglise de Rome n'avait point autorité. Agnès y trouverait un jour sa place quelque part . Dès lors, même si le souvenir du bûcher de Carcassonne revenait lancinant la hanter la nuit ,la vivre aux côtés de Renaud , l'avait rendu plus exaltante encore. Malgré ses vêtements d'homme qui la dissimulait aux yeux de l'équipage ; son rôle de chirurgien du bord lui laissait tout loisir de s'attarder sur la dunette auprès du capitaine. Grâce aux citrons qu'elle avait pris grand soin d'emporter, le scorbut n'avait point fait son apparition tant redoutée et le moral de l'équipage s'en trouvait conforté. On avait fêté  la naissance du Sauveur avec ferveur et une double ration de vin ; il était un peu aigre après quatre mois de voyage  mais encore assez bon pour réjouir le coeur et faire oublier   le mal du pays que le prochain passage de la ligne d'équateur faisait qu'accentuer. Tout avait donc commencé par un grand calme comme si l'océan retenait son souffle dans l'attente de ce qui n'était encore qu'un pressentiment de catastrophe. Puis un inquiétant bandeau de nuages noirs apparut sur l'horizon grossissant de minute en minute. La houle s'accentua et la nef tirée sans ménagement de sa somnolence , se mit a tanguer et rouler comme un homme pris de boisson. Renaud de Saint Estève fit ferler le grand voile carrée et la voile latine qui faisaient de sa nef pansue un lévrier des mers et sa fierté de marin . Arc bouté sur la barre , le Muet prêta main forte à Gabriel Riba , le pilote pour tourner le navire face au vent ...en vain . Avec un rugissement de fauve, l'ouragan s'abattit sur la Saint Jordi lui assénant une monstrueuse gifle liquide de toute la puissance de l'océan debout. Comme un cauchemar , Agnès s'était senti clouée au sol , les membres pesants , impuissante à esquiver le moindre geste de fuite alors qu'un ennemi sans visage s'apprêtait à les précipiter tous dans l'abîme. Le regard halluciné du frêle Janvier , priait à genoux sous l'averse ; des jurons en italien couvrent un bref instant le sifflement aigu de la tempête : les doigts ensanglantés , Casireone  s'acharnait avec un entêtement dérisoire, à renouer les garcettes de ris , que le vent ,par un jeu cruel dénouait aussitôt. Les pleurs d'un enfant terrorisé incongrus en ces lieux, un mousse sanglotait les poings devant les yeux comme pour effacer le spectacle insoutenable... La corde qui entrait dans sa chair , torturait ses bras et son dos : Renaud l'attachait à une vergue pour empêcher les paquets de mer de l'entraîner par-dessus bord. Etais ce Luc ou Guilhem qui avait crier son nom tout à l'heure quand une bourrasque  chargée d'embruns acérés comme des lames l'avait précipitée à genoux ? Le gouvernail avait fini par céder et la Saint Jordi n'était plus qu'une épave à la dérive que le vent et les courants refoulaient vers le nord en une course aveugle , vers son tragique destin. Soudain, dans un ultime spasme , la nef vint se disloquer sur un haut fond, Agnès se senti précipitée en avant dans un gouffre vertigineux. Une éternité suspendue ; le choc de l'eau , la tempête subitement aphone, tandis que l'espace alourdi par ses renforts métalliques l'entraîne vers le fond. L'impression étrange  de se dédoubler : une partie d'elle même se débat frénétiquement pour se dégager, remonter à la surface. Un voile rouge sang vient d'incendier l'écran de ses paupières closes, les poumons au bord de l'explosion qui l'étouffe. Agnès ne repris connaissance qu'à quelques encablures du rivage. Les bras passés autour de ses épaules, Renaud nageait à grandes ondulations de son corps souple et musclé, évitant adroitement  les multiples débris qui flottaient un peu partout... Dans un ultime effort , elle parvint à se relever sur un coude; effondrée à ses côtés , Renaud reprenait haleine   Agnès entrevit le Muet ,son ombre fidèle , son ange gardien au regard farouche et à la langue mutilé , il hissait sur la plage un morceau de planche sur lequel un corps était attaché, l'homme ainsi tiré des flots avait les mèches grisonnantes et le baudrier qui ceignait son torse indiquait en lui le chevalier Guilhem , Agnès se releva en titubant  "Nous avons plusieurs blessés , vous sentez vous la force de les examiner ; le sac de cotonnade défraîchie qui renfermait tous ses trésors de médecin était toujours attaché à sa taille; ses poudres et ses onguents à l'abri dans des tubes de roseau et des sachets de cuir soigneusement cachés n'avaient point trop souffert ; en revanche les morceaux de parchemin où Abou Obëd  avait recopié à la main des passages de l'œuvre des grands maîtres n'étaient plus qu'une masse gluante et informe . Elle serra les dents , qu'importe ... à force de les lire et de les étudier, elle connaissait ces textes parcoeur . Toute la journée ils scrutèrent les eaux turquoises et la plage écrasée de soleil dans l'espoir de voir apparaître d'autres rescapés ... en vain . L'aube n'avait point encore blanchi les montagnes que l'on devinait dans le lointain lorsqu'ils se mirent en route ; le Muet et le Génois portaient le brancard où gisait Guilhem dont le visage,  toujours figé commençait à prendre la couleur et l'aspect d'un vieux parchemin, cependant il vivait encore. Agnès s'en assurait à intervalle réguliers . Agnès se plaça en tête de la petite colonne , au côté de Renaud bien décidée à traverser le marais au plus vite ; Barberi et le mousse fermaient la marche . Assaillis par les moustiques, ils devaient tantôt  le front trempé de sueur , s'ouvrir une route dans les hautes herbes à l'aide de haches sommaires , dont Jordi avait laborieusement  aiguisés le tranchant sur une pierre, tantôt dans l'eau boueuse jusqu'au genoux sonder la vase avec de longs bâtons, craignant tout à fois les reptiles qu'ils sentaient filer entre leurs jambes , et les sables mouvants. Les roseaux cédèrent peu à peu la place aux arbres ceux là plongeaient leurs racines  dans la même eau trouble et stagnante ; pataugeant et pestant ils avançaient de plus en plus difficilement . Lorsqu'ils s'arrêtèrent  pour se reposer et manger quelques biscuits de mer point trop gâtés , accroupis comme des crapauds sur un tronc pourrissant qui émergeait de la vase , Agnès entrepris d'envelopper ses jambes avec un morceau de toile de voile maintenue par des cordelettes entrecroisées . Ces heuses ( guêtres) improvisées seraient d'un piètre secours en cas de morsure , mais au moins ne sentirait elle plus le passage sinueux des reptiles . Le mousse puis les autres l'imitèrent . Un cri étranglé interrompit leurs tâches, pâle comme la mort Casireone désignait d'un doigt tremblant un animal au dos écailleux et les paupières à demi fermées au ras de l'eau , un crocodile balbutia Barberi , Renaud fût le plus prompt à réagir s'emparant du bâton il se mit à frapper violement la surface de l'eau en poussant des cris perçants. Ils choisirent un arbre dont les branches solides aux larges fourches leur offraient un perchoir commode à défaut d'être confortable. De quelques brindilles sèches cueillis dans les hautes branches roussies par le soleil , Jordi avait fait naître des flammes vacillantes et fumeuses dont il espérait qu'elles éloigneraient fauves et serpents , trop fatigués pour parler, ils s'endormirent serrés les uns contre les autres...à l'exception de Saint Estève qui avait décidé , en bon capitaine de navire , de prendre le premier quart de veille. Toute création semblait s'être liguée pour les retenir prisonniers à jamais dans cet endroit de cauchemar dont ils commençaient à douter que quiconque ait pu un jour en sortir vivant. Aveuglée, elle entendit un cri , de surprise plus que de frayeur, celui d'une femme estima t-elle , le bruit d'une fuite puis plus rien ; dépitée, elle se mit à genoux, elle se sentait étrangement faible ; j'ai du rester longtemps inconsciente , ces gens ,ces inconnus dont je n'ai pu voir le visage et ramenée dans leur village m'ont s'en doute trouvée, ils ont pris soin de moi, c'est qu'ils ne me veulent point de mal. Ainsi c'est avec appréhension certes mais néanmoins avec calme qu'Agnès envisagea les deux arrivants, le premier un homme d'âge mûr ,avait du être autrefois une vrai force de la nature; il portait une fourrure tacheté jetée en travers du torse et s'appuyait sur un lourd bâton sculpté , le deuxième personnage qui attira son regard se tenait en retrait quoiqu'un peu voûté il paraissait souple et vigoureux encore , mais ses yeux jaunes qui fixaient Agnès comme pour sonder son âme , semblaient renfermer tous les mystères de la terre. Le chef parlait toujours, dans sa bouche aux dents rougies, les mêmes sons revenaient sans cesse, avec insistance mais sans agressivité. Agnès eut soudain une inspiration, "Seigneur comprenez vous l'Arabe ?" Ce fut l'homme aux yeux jaunes qui répondit , attends on vas chercher quelqu'un ; un instant plus tard , un troisième homme se faufila dans la cabane; il était plutôt petit , il était vêtu d'une gandoura d'un blanc sale qui ne laissait apparaitre que ses bras maigres et osseux ; il salua Agnès ,il la prenait pour un homme , elle vérifie discrètement que le turban qu'elle portait était toujours en place et dissimulait sa chevelure. Elle allait enfin savoir ce qu'il était advenu de ces compagnons, il la rassura, ils avaient repris conscience avant elle et on les avait rassemblés dans la case voisine; et le vieillard sur le brancard ? Le Ngambi l'homme médecine essaie de faire sortir les démons de sa tête ; Agnès voulut protester , expliquer que c'était la tempête et non le démon qui avait fait tomber le mât sur le crâne du chevalier , mais elle y renonça , c'eût été peu diplomate  ; Agnès expliqua prudemment  qu'ils étaient de paisibles marchands égarés dans ces contrées hostiles .L'homme à la gandoura s'appelait Bawa et sa tribu appartenait au peuple Ibo ,lui avait donné pour mission d'apprendre l'Arabe afin de servir d'interprète avec les marchands qui venaient commercer dans les parages , quelque uns osaient s'aventurer le long du grand fleuve le Niger car ils savent que le bois d'ébène et les noix de bolas de la forêt Ibo sont les meilleurs , quand la nourriture se fait rare expliqua t'-il Kola calme les appels d'estomac ...et provoque aussi des visions chez ceux qui n'y sont point accoutumés . Les marchands nous échangent notre cueillette contre du sel . L'homme médecine qui était aussi en charge d'interpréter les rêves , avait consultés les osselets , il en avait conclu que des inconnus aller arriver au village qu'il faudrait les traiter avec tout le respect dû a des grands voyageurs protégés des dieux car leur venue serait bénéfique pour le village , les Ibos attendaient une étoile  Abou Obeïd n'appelait jamais sa protégé autrement que " Sétarach" ( étoile) car disait t'-il. aucun astre ne peut soutenir l'éclat de ton regard bleu comme une étoile venue illuminer le sommeil du chef Mbosbo ! . Guidé par Bawa elle découvrit paresseusement  étendu à l'ombre d'un auvent de branchages; le Muet se leva d'un bond à son approche, la réaction de Renaud fut à peine moins rapide  il s'élança vers elle les mains tendus modérez vos ardeurs mon ami lui souffla t-'elle en lui assénant une grande claque dans le dos , je suis un marchand arabe , Galdric  souffre encore du mal des marais , vous devriez lui administrer une de ces potions dont vous avez le secret ; elle se pencha au chevet du jeune mousse et s'empara de son poignet pout tâter son pouls ; Mario avait raison , Galdric subissait au nouveau assaut de fièvre des marais ;dans sa vieille besace , elle savait trouver les écorces amères (quinquina) contre ce mal , mais où trouver le vin nécessaire à leur macération ? Bawa interpellé parut surpris de sa demande , mais il eût tôt fait de lui apporté une coupe en terre cuite remplie d'un breuvage légèrement ambré, elle le fit chauffer et jeta dedans les écorces amères ; Agnès en lampa une bonne rasade afin de se revigorer un peu , puis dit à Mario de veiller sur le jeune Mousse et de lui faire boire sa médication toutes les trois heures. Elle demanda à Bawa de la conduire chez l'homme médecine  il faut que je vois celui de mes compagnons qui souffre de la tête! La case de l'homme médecine était signalé par un bâton fiché dans le sol auquel pendaient diverses dépouilles animales : griffes, dents, plumes, mues de serpents, crâne de reptiles blanchies par le soleil. Agnès pénétra seule dans la hutte, l'odeur âcre des plantes aromatiques brûlant dans une cassolette la prit à la gorge, la fumée épaississait l'obscurité qui régnait à l'intérieur , elle devina plus qu'elle ne vit le corps de Guilhem étendu sur une natte, la gorge nouée, Agnès avança une main pour caresser son bras et tâter son pouls, du fond de la case ; la voix de l'homme aux yeux jaunes interrompit son geste. Toi aussi tu es Ngambi , elle ne prit pas la peine de répondre, ce n'était point une question. Tu n'approuve pas la façon dont je traite les malades, tes conclusions sont justes mais tu soigne les effets et non les causes; et lui crois tu qu'il puisse guérir? interrogea t' elle en désignant d'une main qui se voulait ferme le corps de Guilhem; ton compagnon est au confins du royaume des morts mais son âme refuse de quitter ce monde....Toi aussi tu es fils de la forêt; les mambas ton épargnés. Agnès apprit ainsi qu'elle et ses compagnons avaient  traverser un territoire infesté de ces serpents verts dont la morsure rapide comme l'éclair donnait instantanément la mort; Agnès fut parcouru d'un long frisson, qu'elle mystérieuse affinité existait t'elle entre elle et ces animaux filiformes et sinueux. L'homme aux yeux jaunes savait t'il que les anciens grecs en avaient fait le symbole de la médecine ?Alors qu'elle s'apprêtait à se lever, il tendit la main et s'empara de son poignet, il noua autour une mince lanière de cuir à laquelle était suspendue quelques perles de bois colorées et une touffe de plumes irisées et murmura " Même les étoile ont besoin de la protection des esprits " les osselets étaient formels et ils ne se trompaient jamais. A la nuit tombée, lorsqu'il avait vu la jeune femme s'éclipser, il avait dû se faire violence pour ne point se précipiter à sa suite , mais après tout ces sauvages la prenait pour un homme et elle ne risquait rien. Depuis allongé sur sa natte, les yeux  grands ouverts dans l'obscurité, l'oreille aux aguets il attendait son retour ; et soudain un frôlement léger, le contact de sa peau brûlante, sa bouche humide sur sa tempe et sa voix à son oreille , enroué par le désir : " Apprends moi mon corps de femme " alors il l'a dévêtit lentement et partit à la découverte , du bout des lèvres baisant son cou gracile, ses seins drus ,il s'émerveillait de sentir le corps d'Agnès s'ouvrir et s'épanouir comme une fleur aux premiers rayons de soleil , les cuisses écartelées tandis qu'au plus profond d'elle même la jouissance refluait doucement pour laisser place à un intense sentiment de plénitude . Agnès se sentait libre, et femme. Sur le seuil de la hutte , l'homme médecine consulta les osselets et hocha la tête : ce n'était plus qu'une question d'heure ; le coeur du vieux chevalier cessa de battre à l'aube ; les yeux rougis ,Agnès ferma ses paupières émaciées et baisa son front ridé , comme elle avait embrasé plusieurs années auparavant ; puis elle s'enfuit dans la forêt pour ne point assister à la mise en terre de celui qui avait été son second père , c'était plus qu'elle n'aurait pu en supporter . De retour au village , elle ne voulut point savoir où Guilhem avait été enseveli . Elle alla trouver l'homme médecine et lui dit "Ngambi , je vais partir " Respectueux de sa douleur , ses compagnons n'osèrent protester ; après tout , n'était ce point ce qui avait été décider sur la plage : Remonter vers le Nord à la recherche d'une caravane qui pût les ramener au pays . Ils furent prêts en un battement d'ailes . Ils marchèrent des jours et des jours , la parfaite connaissance du terrain de leurs guides y était s'en doute pour beaucoup, car ils approchaient d'une grande rivière appelée Bénoué , mais ils furent assaillis , ils avaient été attaqués par des Kwararafas  "peuple du sel" il n'était point facile de cheminer ainsi entravés par le cou deux par deux , ils n'étaient point les seuls prisonniers : une bonne trentaine d'hommes et de femmes tous noirs ; une marche épuisante leur fit remonter le cours de la Bénoué , il leur fallait parfois se plonger dans l'eau jusqu'au cou ; ils redoutaient de voir apparaître les terribles crocodiles . Les jours se succédèrent le paysage devint plus sec ; c'est sous un soleil de plomb , que la longue colonne pitoyable des esclaves fit son entrée dans Kanor . On leur donna à boire , puis on les fit mettre en rang ; au bout d'un instant qui parut un siècle , une silhouette altière se détacha , l'homme était un véritable géant et les cicatrices qui balafraient sa peau noire dénonçaient un guerrier d'une bravoure peu commune , lentement il entreprit de passer les esclaves en revue , il les examinait un à un la mine sévère , jaugeant d'un regard les muscles , la taille . L'homme s'arrêta surpris : on ne l'avait point prévenu qu'il y avait des blancs parmi les captifs . En tout il ne choisit qu'une trentaine d'hommes , Agnès et ses compagnons furent séparés du reste de la colonne et présentés à un marchand , d'après sa vêture il devait venir d'Egypte , il acheta le groupe pour quatre chevaux soit quatre fois le prix habituel. Vendu ! fulminait Casireone  moi un libre citoyen de Gènes vendu comme du vulgaire bétail ! Renaud et le Muet , silencieux serraient les dents et les poings de rage ; seul Barberie prenait les choses avec philosophie . Le marchand donna quelques ordres à voix basse à ses serviteurs , les colliers de bois tombèrent remplacés par une simple corde ligotant leurs mains . Seule Agnès ne fut point attachée , un domestique l'entraîna le long d'un couloir sombre ; il la mena jusqu'à une salle octogonale soutenue par de graciles piliers de marbre sculptés . Ce qu'elle y vit confirma ses pires craintes : des femmes pour la plupart noires comme l'ébène , s'alanguissaient autour d'un bassin carré, tournant autour d'elle avec des petits rires étouffés , elles eurent tôt fait de la dévêtir , on dénoua ses lourdes boucles brunes , ensuite on la mena jusqu'au bassin où elle se plongea avec réticence d'abord , avec délice ensuite . Oubliant un instant la peur qui lui nouait le ventre , elle s'abandonna aux mains expertes qui entreprirent de la masser , oignant son corps et ses cheveux d'huiles odorantes ; brusquement les bavardages se turent , elle ouvrit les yeux alarmés , le marchand se tenait debout devant elle , détaillant avec complaisance sa blanche nudité, les joues brûlantes de honte , elle plaqua ses bras contre elle ; elle se sentait humiliée , salie par ce regard cupide du négociant venant s'assurer du visu de la valeur de sa marchandise , un sentiment de révolte gronda en elle, puisqu'il voulait voir , il verrait. Lentement elle se releva , impudique et rebelle , elle le défiait , ses prunelles bleues étincelantes de colère , il leva la main comme pour protéger ses yeux d'une lumière aveuglante et recula d'un pas , brusquement , il se détourna et sortit . Durant les jours qui suivirent il ne réapparut point au harem . Elle ne vit qu'au début du mois d'avril lorsque la caravane s'ébranla vers le nord emportant à dos de chameau  l'or, l'ivoire , l'ébène, l'ambre, la malaguette ( épices) le poivre noir et les esclaves destinés aux riches alexandrins . Tandis que les murailles ocres de Kano disparaissaient dans le lointain , elle découvrit éblouie les splendeurs du désert ; le moment qu'Agnès préférait , c'était l'aube , pendant qu'ils scellaient leurs méharas , ses gardiens lui permettaient de s'éloigner un peu pour de dégourdir les jambes . Agnès gravissait la falaise et s'installait au sommet , assise jambes croisées sous elle , seule face au désert pour regarder le soleil se lever , spectacle grandiose ,lorsque le disque émergeait , colorant les roches et le sable de rose et d'or , elle éprouvait un intense sentiment de sérénité et de paix , elle oubliait les injures et la fuite , la haine et le bûcher. Elle n'osait prononcer le nom de Dieu , mais elle n'avait plus l'impression que le Ciel lui était hostile .... Un jour  que les préparatifs de départ se prolongeaient , elle profita de son escapade matinale pour longer la caravane à la recherche de ses compagnons. Elle retint un cri qui lui était monté à la gorge en reconnaissant le Muet  dont les yeux noirs brillaient de joie , elle l'étreignit en silence , Jordi la guida vers un groupe à l'écart, et bientôt elle pût serrer les autres dans ses bras .  Seul Renaud , assis à l'écart , ne prit point part au joyeux tumulte .  "Etes vous malade mon ami ? oui da je sui malade, malade de vous voir attifé ainsi qu'une courtisane de bas quartiers qu'on couvre de bijoux de pacotille pour mieux attirer le client: Agnès se raidit pour l'insulte ,pâle comme la mort ,Agnès serrait les dents , elle refusait de se défendre c'eût été donner crédit à ces grotesques accusations ; ulcérée Agnès eut encore la force de toiser son amant d'un regard chargé de mépris avant de tourner les talons , s'efforçant  de ne point trébucher malgré ses yeux voilés de larmes . Plusieurs fois , elle avait surpris le garde de la caravane entrain de rouler sa couverture , après une nouvelle nuit à la belle étoile , dans le repli d'une dune ; c'était un "homme bleu "un de ces nomades altiers pour qui le désert  n'avait point de secret et qui savait y trouver leur chemin les yeux fermés . Juché sur son méhari , il avait l'allure d'un roi ; le roi du désert. Puis un matin elle entendit sa voix étouffée mais parfaitement intelligible . "Qui es tu pour être ainsi protégé des dieux de la forêt?" Qu'est ce qui te fait parler ainsi ? interrogea t-elle interloquée . C'est ce que dise tes tepas  (amulettes en langage touareg ) et il désignait du doigt la fine lanière de cuir ornée de perles et de plumes autour de son poignet , " C'est un présent que m'a fait un Ngambi au pays Ibo ; "Sa magie est puissante jusque dans le désert , je veillerai sur toi comme le talisman me le demande " Le Touareg lui apprenait le désert chaque matin à l'aube après que le disque solaire apparut au dessus de l'horizon embrasant le ciel et l'erg ( région du Sahara couvertes de dunes ) il lui enseigna les signes qui trahissait l'abankor ( point d'eau souterrain ) en surface ces infimes craquelures sur l'argile desséchée qu'on appelait " Œil de l'eau " il lui montra les redjems , ces petits tas de pierres sur les hauteurs qui signalaient la proximité d'un puit .Dans le paysage aride , l'eau invisible , était partout pour qui savait . Il lui apprit aussi comment suivre un fil erratique de la piste qu'un œil non exercé voyait disparaître dans le lit caillouteux d'un oued ou se perde dans un dédale de tassilis (plateaux ) et de dunes , mais qui en fait continuait à se dérider malgré les obstacles . Avec le Ngambi , Agnès avait abordé l'inexplicable , grâce à l'homme bleu , elle découvrait la présence de  l'invisible . Lorsque un matin , Agnès rejoignit le Touareg sur la dune , il lui proposa tout à trac de l'aider à s'évader ; il se refusait à aider plus longtemps l'égyptien qui l'accusait de ralentir la progression du convoi par méconnaissance du terrain, injure suprême pour un " seigneur du désert" il l'avait humilié . Agnès objecta qu'elle ne partirait point sans ses compagnons . Le jour, la chaleur était infernale ,la nuit leur apportait un peu de fraîcheur , mais ils grelottaient sous leurs minces couvertures, le désert paraissait ne point avoir de fin . L'épuisement les prostrait chaque jour davantage, la soif vint s'ajouter à leurs tourments . Leur guide choisit le méhari le plus mal en point et l'égorgea d'un seul coup , l'homme en bleu plongea sa lame dans son flanc : un liquide verdâtre jaillit , en se mourant le méhari leur offrait , ses ultimes réserves d'eau " Aman iman ": l'eau c'est la vie . Au sortir du désert , ils ne s'attendaient pas au spectacle sur les rives de la Mer Rouge , le port grouillait d'une agitation permanente , des marins de tout horizons à la recherche d'un embarquement ou l'ayant trouvé , s'affairaient en se passant sacs et tonneaux , cordages . Fort heureusement , le teint de cuivre rouge que leur avait donné le soleil d' Afrique ne permettaient point de les distinguer des autres candidats Le capitaine d' un vaisseau Omani avec qui Agnès avait pris langue les engagea en bloc à condition de les payer moitié prix, le hurlement de la vigie tira les marins de la torpeur , émergeant de la brume de chaleur dans le lointain une muraille verte  barrait l'horizon. Cela faisait quarante jours qu'ils avaient quitté Aden. Des montagnes verdoyantes tombant dans la mer , il ne s'agissait plus de rêver, mais de se préparer à aborder. Sans doute Caliart  était elle le carrefour du monde, du moins celui du commerce ; tant de marchandises offertes à leur regard leur ouvraient l'appétit, leurs poches étaient lourdes de piécettes que le capitaine Kumish leur avait distribués . Ils avaient quitté Caliart un marchand juif les avait aidé à trouver guides, vivres et montures pour leur expédition vers la terre des épices . Les nausées, les malaises, son irascibilité , cette envie de marcher encore et encore ,elle les avait mis sur le compte de la mousson ... et puis , l'horreur de la situation lui sauta au visage, rien pour l'instant ne trahissait son état mais qu'adviendrait t'il lorsque l'enflure de son ventre déformerait sa robe de docteur : Le pire était que la décoction abortive n'avait point eu l'effet escompté ; l'enfant était toujours là . A dos d'éléphants, ils quittèrent Madakkulati  Maruraï la glorieuse cité des Panpaya , ses temples mutilés et ses sulas macabres pour prendre la piste de kerkaï ; soudain un cobra s'est dressé au milieu du chemin stoppant net le convoi , jaillissant de derrière les arbres ou tombant des branches , des hommes masqués et armés , adossé aux coffres , qui recelaient toute sa fortune  Renaud se défendait comme un beau diable, les assaillants se firent plus pressants , jusqu'à l'éclat bref d'une lame qui s'abaisse et le sang vermeil qui jaillit en saccades , Renaud s'effondra dans la poussière , la gorge tranchée, hébétée elle serrait le corps inerte de celui qu'elle avait tant aimé. Des heures , des jours voir des semaines qui suivirent Agnès vit rien, brûlante de fièvre, en proie à des visions morbides, elle restait sourde et aveugle de ce qui l'entourait . Elle vivrait pour cet enfant , ils étaient arrivés à Cail , un grand port de la côte orientale , ils embarquèrent sur un vaisseau en partance pour Aden , poussé par la mousson du Sud-ouest , chaude et humide , le navire avançait grand large, les voiles gonflées à craquer, l'étrave pointé vers le Nord Est et cette île immense que les marins appelaient " le pays de l'or" . L'île était fameuse pour ses pierres précieuses, ses perles fines, son corail et son bois d'aloès . Agnès se retourna surprise , Damoiselle Agnès , permettez moi de vous présenter messire Wang Qiao l'honorable Wang Kiao était gishi c'est à dire maître médecin dans la grande cité de Mangi (Chine du Sud) Il se présenta pourtant dans un arabe parfait, ils eurent tout loisir de confortés leurs connaissances, les journées sont longues sur un bateau Agnès découvrit ainsi le monde partagé entre le yin et yang  l'énergie qui anime la matière et la théorie des cinq éléments liant la nature à l'homme. Elle marchait de long en large dans son étroite cabine, faisant à haute voix l'inventaire de son vieux sac de cotonnade, lorsque soudain , elle sentit un liquide tiède couler le long de sa cuisse , alarmée elle souleva ces vêtements, mais au lieu de sang vermeil , elle ne découvrit qu'un écoulement transparent comme de l'eau , puis la douleur s'installa, enfla , gagna tout son ventre et ses reins et son dos, arc-boutée , elle hurla, elle tenta de rassembler ses esprits , elle n'était qu'une énorme boule de douleur; la porte de la cabine s'ouvrit à la volée , livrant passage à Wang Kiao , elle le vit sortir de longues aiguilles de métal, elle sentit ses doigts s'insinuer entre deux sangles, courir le long de ses vertèbres, comme à la recherche d'un point précis, il le trouva et soudain la douleur reflua, saisissant ses genoux écartelés à pleines mains , elle prit une grande inspiration et banda tous ses muscles, retrouvant instinctivement les gestes que des millions de femmes avaient fait avant elle depuis la nuit des temps. Elle devina plus qu'elle ne vit Wang Kiao souffler dans la bouche du petit paquet informe qui venait de sortir de son ventre, un cri aigrelet s'éleva, le chinois coupa le cordon d'un coup de dent. Le Lombard sourit à la frimousse chiffonnée du nouveau né qui reposait entre les bras d'Agnès . " Ce petit moussaillon à reçu le baptême de la mer, son père serait fier de lui" les paupières lourdes de fatigue , Agnès corrigea doucement , " C'est une garce Marco mais j'espère que son père serait également fier d'elle; nous l'appellerons Séréna comme ma mère . Elle avait supplié Wang Kiao de lui enseigner cet art délicat , les 657 points d'acupuncture , qui l'avaient si bien soulager sa souffrance durant son accouchement . Elle le retrouvait tout les matins et retrouvait l'enthousiasme et la passion d'apprendre. Mais Agnès du quitter la Chine , car il y avait des protestations du peuple contre l'Empereur Shandi , les soulèvement se multipliait et on faisait la chasse aux étrangers que les Gan ( dynastie mongole ) accueille avec tant d'empressement .Agnès repris la route avec Séréna enroulée dans une couverture couleur miel , elle arriva en Mongolie à Qaraqorum , les Mongols avaient un respect particulier pour les mères veuves qu'ils considéraient comme des "maîtres de maison" à qu'ils y réservaient la place d'honneur sous la tente . De plus elle était femme médecine et à ce titre censée servir d'intermédiaire avec le monde invisible ; elle était doublement honorée. Et voilà pourquoi en cette belle nuit de printemps au centre du cercle , revêtue de tout les attributs du Boo . Les grelots cousus sur le bord de son manteau pour effrayer les mauvais esprits tintaient à chacun de ses mouvements , les chants devenaient assourdissants , le manteau de chamane pesait son poids . La renommée de la chamane aux yeux bleues du lac Pulei avaient rapidement débordé de ces pâturages et on venait de très loin  quitte à faire un long détour pour la consulter.     
    

vendredi 4 novembre 2022

HF Thiefaine Animal en Quarantaine de Sébastien Bataille


 


C'est le parcours artistique et des morceaux de vie d 'Hubert Félix  Thiéfaine que nous racontent ici  l'auteur de ce livre . Le savoir plus sur la concention des pochettes , l'influence du bain social et culturel de chaque époque sur l'œuvre, le regard du créateur sur le monde qu'il l'entoure , notamment à travers ses voyages, son ressenti sur les grands évènements ayant jalonné sa discographie ( qui a vu passer six présidents de la République ) etc. ... Hubert Félix Thiéfaine ne fait rien comme les autres , c'est à dire comme les assis ralliés par Rimbaud, ces bureaucrates qui savent , disent pour tout le monde , mais se trompent . Hubert lui marche à contre courant . Ce "prénom" Hubert Félix , le prédestinait à la différenciation . Dans une époque où tout doit" faire sens " Thiéfaine livre ainsi des chansons à la poésie cryptée, surréaliste  dont le succès dépasse l'entendement. Son humour et son romantisme noir , ainsi que sa mélancolie , agissent comme un baume dans le coeur des foules , exposées habituellement à la mièvrerie ectoplasmique du show-biz. Enfant du baby boom, Hubert Félix Thiéfaine est un pur produit de l'ancien monde, du terroir de la France, avant dernier rejeton d'une fratrie qui comptera six enfants , quatre garçons et deux filles , le nouveau né Hubert Félix  Gérard pousse ainsi son premier coup de gueule à Dole le 21 juillet 1948 à 3 heures du matin en pleine Franche-Comté entouré de Maurice, son père parisien, ouvrier typographe dans une usine d'étiquetage où il officiera pendant quarante ans et Alice sa mère native de Saint-Amour dans le Jura, mère au foyer . A l'âge de dix ans Hubert Félix se pose beaucoup de questions à quoi servait la vie ? Il n'aimait ni l'école ni l'existence, très tôt il a commencé à être désespéré . Il fait l'école de musique à Dole à la fin des années 50 , c'était une très vielle dame  qui nous faisais solfier pendant une heure; je suis sorti dégouté de ses cours en disant ," je ne veut plus entendre parler de musique" Hubert arrive à la rentrée de septembre 1961 au petit séminaire où il serra les dents et étudie assidûment les humanités, envisage un temps une vocation de prêtre , sur les traces de l'un de ses oncle chanoine , les deux cents élèves sont encadrés par vingt professeurs ; l'idée de les faire parler le latin et le grec ancien couramment  comme s'ils se destinaient tous à devenir pape ou archevêque . En classe de cinquième , l'élève déclament des rengaines dans la cour de récré, pour faire rigoler les copains. L'expérience lui offre son premier public avec déjà des rimes encolérées traduisant sa hargne du système pénitentiaire . "J'ai commencé à écrire quand j'avais douze ans parce qu'on m'interdisait de parler . le souffle de liberté des années 1960 contaminent aussi la campagne Franc-Comtoise  porté la fraîcheur insolente d'une jeunesse revigorée par la culture anglo-saxonne . La départ du petit séminaire marque le retour à Dole chez les jésuites cette fois-ci pour la rentrée des classes de première au lycée Notre Dame de Mont Roland "Contrairement à ce que l'on pense , les jésuites étaient beaucoup plus laxistes  que les curés du petit séminaire, chez les jésuites  j'ai vécu deux trois années superbes, ils avaient vingt ans d'avance sur le laïque à l'époque. La structure même des études était faite pour qu'on puisse évoluer dans ce qu'on aimait , en plus j'étais externe , il y avait les copines qui nous attendaient à la sortie, on commençait à laisser pousser les cheveux longs et on chantait " Satisfaction". " En 1967 sous la pression d'un copain je m'inscrit à un radio crochet ou je finit deuxième ". Enfin externe , Hubert profite pour se perfectionner à la guitare  s'essaye même à l'écriture ( pièce de théâtre, poèmes, romans ) L'artiste en herbe monte son groupe et compose ainsi de nouveaux morceaux aux titres parfois très hippies ( Bain de minuit, Dans le gange à Bénarès . ) L'autre connexion déterminante se produit en la personne d'un jeune du quartier fréquentant le même lycée , Claude Mairet , guitariste doué avec lequel il partage le même goût de l'errance psychédélique , au son du Chicago Blues des années 1950, des Kings  Yardbirds , Them, Animals et surtout du Dylan , dont le double album Blonde ou Blonde fera longtemps office de table des lois blues rock pour le Jurassien. Il y avait ces sonorités anglaise qui m'interpellaient . Je n'étais pas le seul, je pense qu'à l'époque , il y en avaient beaucoup qui écoutaient Bob Dylan sans trop comprendre ce qu'il pouvait dire . Mais je sentais, par-delà l'émotion dans la voix , qu'il avait une profondeur là dedans , il y avait du mystère et j'essayai à mon tour de créer ce rendu. Toute démarche artistique doit être rempli de mystère. Ce qui m'énerve aujourd'hui, c'est qu'on veuille tout démystifier , on veut tout enlever, tout expliquer et je trouve çà assez pénible. Moi j'ai besoin de mystère; je suis intéressé par l'inconnu , par le futur; je cherche même parfois à mettre un voile , non pas pour cacher les choses , mais les rendre plus attirantes par ce côté mystérieux. Seulement , pédalant dans les nuages de l'insouciance , des choses de la vie , et de la traduction et adaptation des standards de ces modèles anglo- saxons dont Woody Guthrie , Hubert écrit une chanson qui marquera son répertoire ( " Je t'en remets au vent" ) rate son bac et doit redoubler sa terminale, Mairet lui obtient le diplôme et part étudier à Dijon. Les deux musiciens se retrouveront plus tard . Enfin bachelier ,  Hubert s'inscrit à la fac de droit de Besançon , sans conviction , un moyen surtout de retarder le service militaire, il a été jugé apte mais en sera exempté comme beaucoup de sursitaires de la classe 68 et d'obtenir une bourse pour vivoter en continuant à écrire des chansons dont il envoie déjà des maquettes guitare voix aux maisons de disques. Spectateur de Mai 68 , l'étudiant âgé de dix neuf ans  assiste aux évènements comme Ferré regarde passer les vaches incrédules . Mais faut pas déconner ! Qu'est ce que c'était  Mai 68 ?  Des fils de bourgeois qui tout à coup , parce que c'était la mode , se sont mis à défiler dans la rue et à se dire anarchistes . Les conséquences des manifestations et des blocages estudiantins renforceront son aversion pour ce trou d'air historique. En effet , touché par les grèves, l'usine de son père finira par mettre les chefs sous la porte. Maurice partira alors en retraite anticipée " J'avais mon père en 68 au chômage, et dans les quartiers ouvriers dans lequel vivaient mes parents , je voyais des gens parler de guerre civile , et en souffrir, et commencer à manger à la tétine de la vache et à ne plus fumer du tout, ce qui rendait les hommes nerveux, parce que l'on ne trouvait plus de tabac. Sauf que bizarrement , les fils de bourgeois qui se prenaient pour de grands révolutionnaires, eux ne pouvaient pas aligner deux phrases sans tirer sur une cigarette. Donc  Mai 68 je l'ai vu comme un truc de bourgeois qui voulaient la télévision en couleur et le départ de De Gaulle. En tout , Hubert s'inscrira deux ans en droit pour la forme , 1968 1969 et 1969 1970 arrêtant cette dernière en milieu d'années , pour basculer en lettres département psychologie , ou il restera jusqu'en 1971. Autant de périodes pendant lesquelles; il ne se rend quasiment jamais en cours , affairés sur ses nouvelles compositions dont les premières montures de " 113 cigarettes sans dormir "et  Le Chant du fou "dans la même journée  Psychanalyse du singe "Surtout , la mésaventure d'un ami incarcéré pour une histoire de marijuana lui inspire une petite chanson pour faire rire les copains écrite en dix minutes" La  Fille du coupeur de joints"  J'ai des souvenirs très fort du mois de juillet 1969 , c'est le 21 de ce mois que j'ai eu vingt et un ans ( qui était alors l'âge de la majorité )cette nuit là , à l'heure de ma naissance , le premier homme marcha sur la Lune ... Un autre évènement , survenu le 3 juillet me marquera la mort de Brian Jones , ange déchu des Rolling Stones , la même année Hubert assiste pour la première fois de sa vie à un récital de Léo Ferré , il rencontre en novembre par l'intermédiaire d'une amie commune Charles Bronssen , qui l'assistera longtemps dans son processus créatif. Le 2 février 1970 , Hubert assiste au concert des Pink Floyd donné au palais des sports de Lyon . Pendant l'été , Hubert enchaîne les petits boulots: terrassier , puis intérimaire dans une usine de vinaigre . Avec sa paye , il rejoint la Grande Bretagne avec des amis pour assister à la troisième édition du festival de l'île de Wight qui se tient du 26 au 31 août . Les Doors , les Who, les Moody Blues , Jimi Hendrix , Miles Davis et bien d'autres figures légendaires, aujourd'hui au panthéon du classic rock  tiennent l'affiche . Pendant l'automne 1971 , il travaille comme ouvrier agricole dans la Drôme  ruminant ces rêves d'exil artistique. Accompagné de Mairet , il assiste à Dole à un concert de Tony Carbonavre et son groupe Iris , à l'issus de la soirée Tony propose à Hubert de venir enregistrer des maquettes chez lui à Sochaux où il travaille pour Peugeot en qualité d'informaticien , car le résultat des démos mise en boîte dont " Je t'en remet au vent " et "Le Chant du fou " se révèle peu probant . Il débarque dans la capitale le 17 novembre 1971, par le train de 17h17, sac à dos et guitare en bandoulière, pour tout repère, le nom d'un contact griffonné sur un bout de papier ; mais lorsque Thiéfaine se présente au point de chute, du côté de Bastille , l'individu en question ne lui inspire aucune confiance. Il décide alors de se rabattre sur son plan B : l'appartement d'un copain logeant au 11  rue des Trois Frères, mais celui-ci est absent : Dépité , le baroudeur passe alors sa première nuit à Barbès d'un Chelsea Hôtel et sa légendaire fauve interlope, il assiste à d'étranges va et vient dans les couloirs notamment des hommes poursuivant des prostitués avec des rasoirs. Finalement, de retour chez lui son pote accepte de l'héberger , pendant plusieurs semaines Hubert dort dans un sac de couchage, il enchaîne alors une myriade de petits boulots pour essayer de s'en sortir : démarchage à domicile pour vendre des encyclopédies , distributions de prospectus et d'échantillons de café. Il n'ose plus passer d'audition après deux tentatives ratées: les mecs se sont foutus de ma gueule , déjà il fallait des K7, il fallait des bandes , moi je me pointais avec ma guitare je leur disais " Ecoutez , comme je chante bien ". Mais un mois seulement après son arrivée à Paris , il doit se rendre d'urgence au chevet de sa mère mourante , hospitalisée à Dijon. " J'ai veillé ma mère la nuit , je ne voulais pas dormir, on l' accompagnée avec mes frères et sœurs jusqu'au bout . Je déteste Noël parce qu'une année le père Noël m'a offert comme cadeau ma mère dans un cercueil .  Après son  enterrement , j'ai eu envie de continuer, je voulais juste vivre de la musique . Je suis retourné à Paris pour tenter ma chance en cabaret . "Je t'en remet au vent " est la seule chanson du catalogue officiel de son fils qu'Alice  aura entendu, raison pour laquelle ce morceau revêt depuis une dimension affective particulière pour lui . Dévasté, démuni, le jeune homme de vingt trois ans cherche toujours sa voie et multiplie les itinérances ( garçon de cuisine dans un restaurent Suisse, emploi d'animateur stagiaire à Ecouen ( Val d'Oise ) puis intègre une organisation réunissant des individus libertaires- libertins et très répandu à cette époque ou les baba cool utopistes tiennent le haut du pavé de la société post-soixante-huitarde , le Jurassien entame une nouvelle expérience en compagnie d'une dizaines de personnes, vaguement artistes sur place il ébauche plusieurs compositions dont " L'ascenseur de 22h43" et " L'Agence des amants de Madame Müller". En mai , le groupe migre du côté de Melun dans une bastide, le Rodoron , aménagée depuis 1953 en centre international d'accueil de groupes de personnes et de marginaux en libertés surveillée. A la fin de l'année 1973, Thiéfaine prends une décision capitale et courageuse il décide d'arrêter tous les petits boulots et de ne plus se consacrer qu'à la chanson, il réussit à décrocher des passages le soir dans les cabarets "Je ne sais pas où loger, je n'ai pas vraiment à bouffer alors je m'annihile dans l'écriture" Mes rares passages en cabarets ne me permettaient pas de manger à ma faim et malgré l'aide de certains mécènes qui parfois m'hébergeaient , je me suis retrouvé malade avec des glandions gros comme des œufs à l'aine et aux aisselles. On me diagnostiqua une insuffisance pondérale et des carences en protéines, vitamines, sels minéraux. Hubert qui refuse de pointer au chômage par orgueil prends donc sa débroussailleuse acoustique, sa chère gratte Gordini et trouve finalement refuge au coeur d'une Maison pour Tous , le Pékin pendant l'été 1974 son fondateur Jack Messy. Cette énergie du désespoir bétonne sa survie, suspendue à ces trois passages hebdomadaires de vingt minutes sur scène du Pékin réénumérés chacun 20 francs et une bière : Le cabaret m'a vraiment aidés, je sentais les failles , ce qu'il manquait pour être vraiment à ce que je voulais. Le Pékin organise sa salve de sortie, la mort dans l'âme ! Le 31 mars 1976 , la soirée clôture du cabaret réunie une trentaine d'artistes. Lhomme à la Gordini à franchi un nouveau cap dans ses pérégrinations mentales : s'il continu de tourné de-ci de-là dans les MJC avec son récital " Comme un chien fou dans un cimetière" qu'il trimballe depuis 1973, il a désormais en tête d'enregistrer un disque , étant donné que le codirecteur de l' Olympia, Jean Michel Boris, l'a encouragé dans ce sens lors d'une rencontre informelle. Les maquettes enregistrées avec Carbonare prennent peu à peu des allures de petites bombes artisanales, même si les portes de maisons de disques leurs résistent encore. Ces démos plus abouties bénéficient en effet de l'apport des musiciens du nouveau groupe de Tony , Machin ; l'organisation de la " troupe" se décline ainsi en trois schémas possibles: Thiéfaine guitare voix , Machin seul, le pack Thiéfaine , Machin, doublement attractif dans les salles. Les dates commencent, permettent aux groupes de plus en plus , seront l'électron libre sur scène, en plus d'asseoir sa propre notoriété. Porté par son succès d'estime , le désormais quatuor folkeux publie en 1977 un deuxième album, tout folkant , puis un troisième l'année suivante " Râles folk "dans ce laps de temps , les opportunités s'enchaîne pour Hubert : une Bordelaise particulièrement active dans le milieu associatif girondin Béatrice Faye, l'héberge et lui trouve des concerts à l'aide de ses réseaux . Le premier album d'Hubert Félix Thiéfaine paraît en janvier 1978 chez Festival , label de Musidisc  avec ce premier album il a enfin sa carte de visite, "les morceaux de tout corps vivants " au nombre de onze , sont tous signés du Dolois ( paroles et musiques ) ont été enregistré avec la joyeuse équipe de Machin. En cette année 1979 , l'artiste évolue sur une pente ascendante sans retour . Nouvelle marque de prescience troublante , il avait intitulé l'un des titres de son album " Dernière station  avant l'autoroute "Autorisation de délirer " s'écoule à six milles exemplaires le double des ventes du premier 33 tours. Le 1er Avril 1980 après un mois de mars chargé ou il alterne les concerts; Hubert est sous influence éthylique pendant cette période. Un maudit blues l'accompagne qui s'en balance . Les drogues on en parle même pas " A l'époque , je prenais pas mal de dopes , j'avais des sortes de visions, je travaillais sur " Dernières balise ... qui à une écriture junkie; mais je n'ai jamais été junkie, il y a une courte période çà a duré un mois, si j'avais continué une semaine de plus , je l'aurai été . La mutation psychologique et physique impactera sensiblement son art . Désormais , il sera H.F. Thiéfaine sur les pochettes de ces disques et affiches . Fine lame, le bougre à commencé sa transformation en se rasant la moustache comme pour de débarrasser d'un poids symbolique. Tout d'abord il y a cette pochette, signé Maxime Ruiz à partir des indications graphiques fournie par Thiéfaine ; une gamine de trois ou quatre ans maquillée , cigarette au bec incarnant une michetonneuse dans un cloaque d'arrière cour avec une bouteille d'alcool à ses pieds; le ton est donné , l'album paraît en septembre 1981  " j'étais aux anges , parce que je faisais enfin du rock'n'roll , j'atteignais mon objectif, la musique que je voulais faire "  " Dernières balises " contient quatre titres devenues des classiques du répertoire de d' HFT " 113 cigarettes s'en dormir " Narcisse 81 , Mathématiques souterraines , Exil sur planète fantôme " fort de ce succès Hubert rempli l'Olympia le 3 mars 1981 . Le 13 Avril 1982 , Hubert remplit Bobino théâtre de prédilection de Brassens décédé six mois avant ou Ferré enregistra son mythique récital insurrectionnel  de 1969 . Dans la salle ce soir là , une jeune femme de vingt quatre ans son nom Francine Nicolas cette doctorante en droit social , deviendra la compagne de Thiéfaine, la mère de ses deux fils ( Hugo et Lucas ) et son efficace manager à la fin des années 1990 ; son écriture onirique qu'automatique , tout à été dit quand j'ai titré mon deuxième album " Autorisation de délirer)  "C'était clair , par mes études de psychologie, j'ai pu côtoyer un certain nombre de schizophrènes et j'étais émerveillés par leurs écritures délirantes, qui va puiser au fond de l'inconscient et qui ramène une partie du monstre qu'on a en nous ; et c'est pour çà que je m'intéresse beaucoup à la psychanalyse , au surréalisme, à tous ces courants qui nous aide à mieux nous connaître nous même ! "Le 28 janvier 1983 Hubert récolte au stand de son distributeur  Disc'Az son premier disque d'or pour " Soleil cherche futur " ( cent milles exemplaires vendus en deux mois )En 1984 quand l'album " Alambic sortie sud " sort dans les bacs , je n'ai pas pu faire la promotion pour des raisons de santé , la presse n'a pas compris ; je suis passé pour une diva mégalo bouffie d'orgueil tournant le dos au médias; ils aiment le pouvoir de fabriquer des gens; or moi ils ne peuvent plus me fabriquer , c'est le public qui m'a fait , je suis l'exception . Le 10 juillet 1985  HFT est convié à la Rochelle pour faire l'ouverture de la première édition du festival des Francofolies . A partir de l'automne HFT  écume la France dans le cadre d'une nouvelle tournée destinée  à défendre sur scène ( Alambic sortie sud ) en deux temps : Du 12 octobre au 29 novembre 1985, puis du 27 mars au 31 mai 1986 avec une halte au Printemps de Bourges le 1er Avril. En décembre 1987 , Hubert et Claude  entrent en studio pour donner vie à leurs ultimes créatures célestes , le disque finalisé en janvier  1988 son titre " Eros über ailes " Au début du mois de juillet 1990 , en compagnie de Tony Carbonare , il s'évade pour New-York pour retrouver une virginité  musicale auprès du producteur Barry Reynolds , globalement , cet enregistrement américain apparaît plus homogène , plus linéaire,  cet album à été réaliser en plein coeur de Manhattan, au bout du compte cet album se révèle un des disques les plus attachants  et les plus personnels du Jurassien , qui nous gratifie encore en abondance , de fulgurances dont il a le secret . Une longue tournée de cent deux dates démarre le 12 octobre 1990 pour s'achever en décembre 1991, dans un périple passant par la Suisse , Montréal  etc.... En juin 1992, Yves Bigot , journaliste alors rédacteur , le chef de l'émission musicale " Rapido "sympathise rapidement avec le Dolois, Bigot est un érudit rock , il parle le même langage qu' Hubert pendant l'automne ils décident d'enregistrer la suite : " Chroniques blues mentales " à Los Angeles , mais il y aura des tensions, l'enregistrement de ce dixième opus s'étale de juillet à août 1983 ; le tour 94 95 qui accompagne l'opus sorti en octobre 1993 s'étale du 10 Mai 1994 au 28 octobre 1995 . L'enregistrement de  "La tentation du Bonheur" s'effectue au prestigieux studio ICP de Bruxelles, il est réalisé par Phil Delive et Tony Carbonare pendant le printemps de l'été 1996 jusqu'au 24 juillet , le livret du disque s'ouvre sur cette citation de Léo Ferrer : Le bonheur ça n'est pas grand chose , c'est du chagrin qui se repose " L'enregistrement de l'album, lui se déroulera à proprement parler du 15 novembre  au  février  1998 . Le Bonheur de la tentation  atterrit dans les bacs en avril 1998 . Un autre maître de la chanson française artiste torturé dont l'œuvre  teinté de rythm' blues et de blues à beaucoup versé dans le surréalisme  également , se suicide le 13 août 1998 , Nino Ferrer , peintre mélancolique et créateur des impérissables " Le Sud" et la " Maison près de la fontaine" avait soixante trois ans ; Hubert avait noué , un très bon contact avec lui dix ans plus tôt , à l'occasion de " La Fête à Manu Dibango "aux Francofolies  de la Rochelle de 1988 . Les années  2000  vont être tout aussi remplis  d'albums à venir , le 19 mars 2001 seize jours après l'ouverture de son site internet officiel , paraît le treizième album studio  d'Hubert " Défloration 13 ... " le Dolois reste un amoureux éperdu des femmes, derrière les apparences que revêtent parfois ses textes " Un monde sans  femmes, sans féminité  surtout, c'est un monde qui serait invivable pour moi , la femme est la guerrière de ce qui est terrestre, tandis que les hommes sont un peu des oiseaux qui survolent la terre , ils sont un peu dans le rêve encore infantiles, alors que les femmes sont les maîtresses de la terre; ce sont elles qui dirigent le monde "Monolithe noir du rock  français, Hubert Félix Thiéfaine fascine et dérange depuis la nuit des temps giscardiens. En quarante ans et des poussières d'un parcours hors norme, des centaines de milliers d'admirateurs sont entré dans l'œuvre cabalistique du chanteur comme on entre en religion, dans la lumière vagabonde d'une poésie aussi lunaire que sacrée, d'encens rock aux rutilances de soleil noirs. 


samedi 10 septembre 2022

Les herbes de la Saint-Jean de Hélène Legrais




 De génération en génération sur les hauteurs du Mont Canigou on est mineur comme le père de Félicie ou forgeron ou muletier , les pieds dans la neige d'avril à novembre . Félicie grandit dans ce monde rude où tout tourne autour de la richesse locale de fer ; solitaire , rebelle, intelligente la jeune fille n'aime que sa montagne , où elle vas cueillir les plantes médicinales. Félicie faisait le trajet à pieds pour aller à l'école de Valmanya , les autres enfants de la Pinouse restaient en pension à l'hôtel Mayneris ou dans une famille de Valmanya pour Félicie cela faisait trois ans que la mère était partie , le père n'avait pas les moyens de la laisser chez des gens du village , le peu qu'il gagnait alors suffisait à peine à étancher sa soif . Mademoiselle Marguerite était l'institutrice , Félicie l'aimait beaucoup elle lui apportait des champignons cueillis dans sa montagne des coriolettes , elle l'aidait à enfiler avec une aiguille les champignons sur un fil , ensuite il fallait les accrocher en guirlandes sous le toit de l'appentis , puis au bout d'une semaine elle n'avait plus qu'à les décrocher , les coriolettes avaient suffisamment  ratatinées et durcies pour agrémenter un civet ou une omelette , préalablement jeter dans un bol rempli d'eau chaude  ou les champignons retrouvaient en un instant leurs moelleux et leurs onctuosité . Elle sursauta en entendant la voix rauque de son père s'élever de la paillasse sur laquelle il s'était effondré la veille au soir, ivre une fois de plus , il lui avait décocher un coup de poing dans les côtes quand elle lui avait pris sa bouteille et s'était débattu violement quand elle l'avait obligé à remonter l'escalier jusqu'au dortoir, mais ses coups étaient moins précis lorsqu'il avait bu  et elle savait s'y faire avec lui ;  c'était un miracle renouvelé tous les matins qu'importait la quantité de vin qu'il avait bu la veille; il repartait toujours au travail le lendemain frais comme un gardon, d'aplomb sur ses deux jambes et la main aussi sûre . Les galeries qu'il étayaient étaient réputées les plus sûres de la mine et aussi ses quarante ans qui lui permettaient de ne pas être mobilisé tandis que les plus jeunes partaient depuis août par trains entiers pour le front . L'institutrice pour la remercier lui offrit quatre rousquilles enveloppées dans un mouchoir immaculé ,elle les avait ramené d'Arles sur Tech ou elle avait passé les vacances chez ses parents , ces délicieux gâteaux à l'enrobage meringué parfumés à l'anis et au citron Marguerite en raffolait, mais Félicie les trouvait trop sucrés elle n'en remercia pas moins l'institutrice avec effusion, puis elle lui offrit un livre , les lettres dorés du titre sur la couverture rouge dansaient devant ses yeux " La Légende des siècles " Victor Hugo ; Félicie était heureuse de ce présent. Comme elle quittait la place pressée de retrouver la solitude de sa montagne , elle entendit Hep la fille ! elle n'avait pas besoin de se retourner pour reconnaître la Séraphine de Los Masos , celle là c'était la pire ,"t'as ce que tu m'a promis , t'as mes herbes ? elle se dandinait d'un pied sur l'autre , sa nervosité faisait ressortir les vilaines plaques d'un rouge vineux qui boursouflait son cou et ses joues flaques ; la Séraphine souffrait d'une maladie de la peau , c'est le jeune berger Arquez qui croisait souvent Félicie dans les sentiers et les coins de cèpes et de coscolls qui lui avait commander de préparer pour la vieille bigote une teinture à base d'herbes del  fetge qu'en français on appelait " hépatique" moyennant cinq sous ." Tu les as mes cinq sous, répondit Félicie sur le même ton." La Séraphine déposa à contre cœur une belle pièce blanche sur une pierre plate au bord du chemin  et s'éloigna Félicie empocha la pièce avec gravité et déposa à sa place, un petit flacon renfermant la teinture souveraine contre les maladies de peau .  "Apetit  ( attention ) tu dois t'en badigeonner le visage et le cou surtout pas le boire !"  "C'est du poison que tu me donne diablesse ! "en fixant le flacon d'un regard horrifié , c'est ma mort que tu veux, dis ? La vieille tremblait comme si la grande faucheuse elle même lui faisait face ; " Pas cette fois , la Fine Vella ! ( La vieille Fine ) Mais tu sais que si je veux ...La Séraphine s'empara du flacon et s'enfuit , l'index et l'annuaire tendus pour neutraliser les sortilèges de la sorcière. Alors Balthazar  tu rêve ? dit Félicie en voyant son ami; depuis le jour où il l'avait trouvé endormie derrière un rocher entouré de genêts où elle s était mise à l'abri de l'orage , son apparition de vagabond en guenilles à la barbe hirsute ne l'avait pas effrayée, elle l'avait accompagné jusqu'à Saint-Anne en nommant tout au long du chemin les plantes qu'elle connaissait , il l'avait corrigé deux ou trois fois , lui en avait appris d'autres , elle était comme lui , elle paraissait ne pas avoir d'attache , elle était revenue lui rendre visite, elle n'avait que sept ans, depuis la barbe de Balthazar avait blanchit  et Félicie avait appris sous sa direction , les secrets des herbes qui soignent ." Et où comptais tu aller après avoir effrayé cette pauvre folle !"  " Je monte au col, ils prirent ensemble le chemin en lacets qui conduisait à la Bastide par le col de la Palomera . "Je t'assure Balthazar ; il y  a des fois ou j'aimerai vivre en ermite , comme toi ! "On ne décide pas de devenir ermite à treize ans  fillette! on le deviens peu à peu, au fil du temps ." Puis ils se quittèrent , Félicie grimpait droit devant elle avec détermination, agrippant une racine , une touffe de bruyère ou une branche basse pour se hisser plus vite, elle savait exactement où elle allait; elle insinua sa main dans une crevasse profonde  creusé dans l'écorce d'un arbre , pour en retirer un petit sac de jute  grossièrement cousu , elle vida le contenu  sur une pierre plate et un flot de pièces s'en échappa, tous les sous et les centimes gagnés en effectuant de menu travaux , comme ramasser du bois pour le boulanger et en vendant aux uns et aux autres les herbes cueillis dans la montagne , et au milieu scintillait la belle et grosse pièce de cinq franc que Monsieur Legrand lui avait donné en échange de cèpes et des framboises qu'elle lui apportait dans des petits paniers en genêts tressés, elle y ajouta les cinq sous de la Séraphine. Le couteau s'abaissa et le couinement aigu du porc se termina en un gargouillement écœurant ; le sang gicla dans la bassine en zinc posée par terre , Louisette Martin , accroupie , les manches roulées au-dessus des coudes , plongea ses avant bras dans le liquide épais et fumant dans l'air glacé, qu'elle remuait pour l'empêcher de coagulé ; Lucien Marie tenait ferment la bête par les oreilles , l'animal se débattait de toute ses forces de ses cent vingt kilos . Avant la guerre , on faisait appel au mataïre qui montait de Joch avec tout son attirail à la lune vieille parce que la viande se conserverait mieux , il restait à Valmanya toute une semaine dans une maison différente, mais depuis la mobilisation le mataïre était partis au front . Chaque fin novembre Félicie venait chez les Payé pour la montaça , on la tolérait ; Louisette avait l'air contente de la voir , d'ordinaire on avait plutôt tendance à l'ignorer ; " Ne reste pas dans ton coin , viens t'assoir à table elle posa devant Félicie une assiette en faïence un peu ébréchée , elle versa dans l'assiette la soupe à l'orge perlée dans laquelle avait cuit une épaule de porc bien grasse , Félicie n'attendit pas que la soupe refroidisse , elle entreprit de la manger rapidement sous l'œil béat des trois femmes , sait t'on jamais si elles changeaient d'avis ? Mais ses hôtesses avaient maintenant  hâte  de la voir quitter les lieux , on lui glissa deux de ses bynols  afin de bien lui montrer que son repas était terminé , Félicie se leva , la bouche pleine , elle ne quitta pas la pièce , tout en mordant à belles dents dans un beignet, elle alla se planter ostensiblement  devant le plus grand plat posé sur la table où s'étageaient bien rangés en arc de cercle les premiers boudins sortis de la marmite ; la mère Payé comprit le message , avec un soupir excédé, elle en saisit trois quelle lui mis de force dans les mains , Félicie n'en demandait pas plus  elle les mis dans son sac , remercia d'un signe de tête et s'en fut , digne et satisfaite. Trois c'était plus qu'elle espérait , il y en aurait un pour elle, un pour son père et il en resterait un pour Balthazar . Enfin , la voilà partie, ce n'est pas trop tôt ! Parole elle fait froid dans le dos , cette Félicie , ce n'est pas que je crois à toutes ces balivernes que racontent la Séraphine et ses pareilles, mais il faut reconnaître que cette gamine est étrange, particulière, toujours là , silencieuse dans son coin, à guetter chacun de vos mouvements sans avoir l'air, cela dit , pour une fois elle tombait à pic dans la cuisine : la mère Maynègre  avec ses beignets, la pauvre, je ne sais pas ce qu'on en aurait fait , la padrina  Payé et moi Comme quoi , même une enfant de la lune comme Félicie peut avoir son utilité, ma foi , une assiette de soupe et trois boudins ce n'est pas cher payé le service quelle nous à rendu ! Il faut bien que chacun vive et cette petite ne mange pas toujours à sa faim, si on en croit le cousin Marc, il faut dire que ce n'est pas son soiffard de père qui peut s'occuper d'elle! La gamine ne lui ressemble pas du tout , peut-être tient elle de sa mère ? Pas dans son goût , pour se faufiler partout en tout cas , je crois que le peu qu'elle à vécu à la Pinouse , je n'ai jamais vu la femme de Polyte au village ; je serai même incapable de dire à quoi elle ressemblait ? Finalement , la Félicie pourrait aussi bien ne pas avoir de parents du tout , cela ne changerait pas grand chose !Mais qu'est ce que je suis en train de radoter , moi ? Louisette ma fille , arrête de rêvasser ! Les hommes en ont fini avec la carcasse et ils sont affamés . si je ne veux pas me faire attraper par la sogra ( Belle Mère ) je ferais bien de mettre la table pour servir le repas de la matança.  Par chance , Monsieur Legrand faisait de plus en plus appel à Félicie pour l'aider dans ses calculs ou ses mesures, il lui confiait aussi de temps à autre la distribution  du carbure pour les lampes à l'entrées des équipes dans les galeries , quand il n'avait pas besoin d'elle , elle se joignait aux autres femmes pour trier et récupérer le minerai mélangé au rocher et à la terre qu'on extrayait sur les bords du filon . Abe se risquait à venir traîner autour de leurs jupes , il était aussitôt assailli de tant d'œillades et de roucoulades qu'il ne songeait plus à l'importuner , du moins pour le moment. La Saint Jean avait toujours été la fête préférée de Félicie , elle aimait la danse des flammes dévorant le bûcher auquel on mettait le feu pour célébrer la lumière en cette nuit de solstice d'été la plus courte de l'année . Une fois l'an , en cette nuit des feux , le ciel et les hommes étaient en harmonie ; du moins , ils auraient dû l'être , mais l'ombre de la guerre qui grondait au loin s'interposait entre eux, à coup de larmes, de prières et de voiles de deuil . Demain ils seraient sans doute plus nombreux que d'habitude à prendre tôt le matin , le chemin de Baillestavy ou le vieux Louis Paret , le curé de Rigarda célèbrerait l'office de la Saint-Jean . La tradition voulait qu'on profite de cette nuit magique pour aller cueillir certaines plantes porte-bonheur , réunies en un bouquet , le ramellet , confectionné suivant un rituel immuable ,ces herbes étaient ensuite accrochées au-dessus de la porte de chaque maison afin d'assurer santé et bonheur pour toute l'année ; à la Saint-Jean suivante on décrochait le ramellet séché pour le lancer dans les flammes du feu de joie . Félicie s'en fut derrière la grange des Pacall chercher la vieille couverture dont elle avait envelopper les branchettes de noyer , celui-ci déposé en croix servait seulement de support aux plantes magiques . Il suffisait que les feuilles soient bien brillantes et vertes, c'était plus joli , le jaune millepertuis, l'orpin l'herbe de vie et de mort , la camomille blanche et l'immortelle qu'on appelait aussi herbe de la Saint-Pierre , les plantes qui constituaient le coeur du ramellet .Elle aurait dû l'entendre , dans la neige , les pas crissaient , il avait dû sortir plus tôt pour que les flocons recouvrent la trace de ses pas ; elle était furieuse après elle même, n'avait elle pas été présomptueuse de croire qu'elle pourrait le tenir à distance , comme les autres !Grâce à son père , elle savait tenir à distance les ivrognes et , naïvement , elle pensait contrôler la situation , elle n'avait rien vu venir ; la neige brûlait ses jambes nues sous sa jupe , il respirait fort, haletant ,elle étouffait , le rocher meurtrissait ses épaules à travers son chandail, il n'avait toujours pas dis un mot, la jupe se déchira avec un bruit sec et il glissa un genou entre ses jambes pour la forcer à les ouvrir, l'homme appuie son avant-bras sur sa gorge pour l'immobiliser en gardant une main libre , elle suffoque , des tâches rouges dansent devant ses yeux, l'homme s'agite au-dessus d'elle, il agrippe ses fesses , laboure son ventre, l'homme s'agite toujours par soubresauts tel un sanglier, elle manque d'air ,elle est ailleurs , elle l'entend , mais ne sent plus rien, elle n'est pas là, sa vue se brouille, une douleur acide, aigue , comme une coupure de rasoir, la ramène à la réalité, le membre dur de l'homme l'a transpercé comme un épieu, il recule pour prendre son élan, s'enfoncer plus profond et relâche la pression de son avant-bras, elle se laisse glisser sur le côté, ses doigts tâtonnent , rencontrent l'arête  d'une pierre , sa main se ferme , elle frappe de toutes ses forces, les yeux fermés , le sang jaillit éclabousse son visage, elle peut à nouveau respirer , écroulé dans la neige , il pressait ses mains ensanglantées sur son crâne . Elle entortille comme elle peut les morceaux de sa jupe autour de ses hanches et s'enfuit en serrant toujours la pierre tâché de sang  dans ses poings fermés  trébuchant à chaque pas elle se traîne jusqu'au torrent . Chaque fibre de son corps lui faisait mal , elle était épuisée comme si elle avait couru des heures dans la montagne, pendant de longues minutes , elle frotta ,frotta encore jusqu'à que sa peau rougisse à vif ; le sang et la semence mêlés étaient partis au fil de l'eau, elle frottait toujours. Au prix d'un énorme effort , elle s'obligea à se mettre debout , elle avait besoin de ses herbes pour calmer la brûlure qui dévorait son ventre et éviter toute conséquence funeste elles soignaient aussi bien les coliques que les vertiges , les palpitations, les rhumatismes ou les maladie de peau suivant qu'on les utilisaient en infusion ou en décoction ou qu'on en extrayait l'huile ; mais cette fois c'était à leurs propriétés abortives que Félicie entendait faire appel . En avait -elle vu pleurer, des imprudentes qui la suppliaient de les débarrasser du souvenir encombrant d'une nuit de fièvre et d'abandon ! Mais jamais elle n'aurait cru être un jour obligée d'utiliser ses talents sur elle même. Elle avait fait infuser les feuilles de rue ,et elle avait tout bu , la fièvre était venue , puis le sang,  tantôt elle brûlait ,dégoulinait de sueur, tantôt elle grelotait , puis le quatrième jour, la fièvre était tombée, elle mourait de faim, enfin elle sortit de sa cachette . Puis un soir ,elle les vit apparaître , chancelant à la lisière du bosquet des pins , comme à l'accoutumée , Abe soutenait le père qui parvenait difficilement à mettre un pied devant l'autre ; Félicie ne s'était jamais sentie aussi calme, elle dégrafa un bouton de sa chemise afin de dévoilé la naissance de ses seins, puis elle entreprit de défaire sa natte, puis elle attendit, un léger grincement familier de la porte, un pas lourd , un peu traînant qui remonte vers elle, Abe en tient une bonne ce soir , tant mieux! Elle attends qu'il arrive à sa hauteur pour lancer dans ses jambes un caillou ,il atteint son genou et le fait trébucher ce faisant il pivote , aperçoit Félicie , elle le laisse s'approcher , puis s'enfuit , il part à sa poursuite, "Tu y as pris goût , hein , petite allumeuse, tu en redemandes ; de volte face en reculade, elle l'entraîne mètre par mètre vers le terminal du câble aérien , sobre , il se méfierait , mais l' alcool , le désir brouillent son esprit, il suit , encore un effort mon bonhomme on y est presque, il arrive près du trou maçonné profond d'une quinzaine de mètres, il est passé devant elle sans la voir, elle bondit, pousse de toutes ses forces , les paumes bien à plat, au niveau des reins ; Abe lance un cri inarticulé comme étonné, puis un choc sourd dont l'écho se prolonge le long des parois cimentées, et plus rien ....Félicie attends , elle retiens son souffle, elle fouille dans la ceinture de son pantalon à la recherche du ramellet qu'elle à confectionné en prévision de ce moment, elle le jette dans le trou , "Bonheur et longue vie à toi , sale punaise !"Ils mirent trois jours à retrouver le corps  lorsque la civière remonta  Marty intrigué par quelques feuilles séchées dans l'ouverture de sa chemise , tira délicatement dessus ;" un ramellet s'exclama t-il , il n'est même pas complet il manque l'immortelle et l'orpin , l'herbe de vie ".Laissant pour une fois ses compatriotes s'éloigner sans lui, un des chinois s'attardait près du ponton, c'était un des jeunes immobile dans ses vêtements de travail de courtil bleu, le visage impassible , il fixa Félicie un moment en silence avant de se détourné et de rejoindre les 
autres Il sait ....Il s'appelait Luc , un prénom inattendu pour quelqu'un qui venait de si loin, les premiers jours, elle était persuadée qu'il attendait l'occasion de la dénoncer, peut-être avait-il du mal avec la langue française . A force d'observer ainsi le jeune chinois ,  à la dérobée , la crainte qu'il avait pu inspirée à Félicie s'était peu à peu transformer en curiosité. Il aimait lui aussi marcher seul dans la montagne, mais qu'allait il  y  faire ? Il portait sur son épaule un sac de toile . Il avait parlé sans se retourner " Votre position ne doit pas être très confortable , vous devriez venir vous assoir ici , la vue est magnifique" comment l'avait-il repérée ? c'était la première fois qu'elle entendait sa voix et la surprise la cloua un instant sur place : il s'exprimait dans un français très correct . Il dessinait pas avec des crayons , mais avec un pinceau mouillé qu'il frottait contre une pierre sombre , d'une dernière caresse de son pinceau , le chinois ombra délicatement un versant de la montagne , souffla dessus pour sécher l'eau  puis tendit le dessin à Félicie , émue de ce cadeau inattendu . "Vous vous appelez vraiment Luc ? ce n'est pas un nom très oriental ; " " Mon vrai nom est Liu , mes parents étaient pauvres , et ils m'ont confié à la Mission pour que j'ai une éducation; lorsqu'ils m'ont baptisé , ils ont changé une lettre et je suis devenu Luc . Les jours suivant le plafond d'une galerie s'était écroulé sur la tête des ouvriers de la mine , il fallait faire vite, ils sont peut-être évanouis, mais si on ne dégage pas vite, ils vont mourir de leurs blessures, ou par asphyxie ,les éboulis ne recouvrent pas entièrement l'ouverture , il reste sur le côté un petit espace vide , le problème est qu'il est vraiment très étroit . "Moi , je veux bien essayer, Luc se porta volontaire , mais un , cela ne suffira pas , intervint Marti le chef mineur , Luc désigna du doigt Félicie , elle peut venir avec moi, tous deux descendirent au fond et réussirent à faire remonter un blessé , l'autre était décédé . Félicie se réveilla en sursaut , elle n'aurait su dire exactement ce qui l'avait tiré brutalement de son sommeil , un bruit , un grondement lointain , se penchant à la fenêtre , elle vit l'ingénieur et Marti en grande discussion "Il n'y a pas de quoi s'inquiéter : la ligne téléphonique  doit être coupée voilà tout , avec ce qui est tombé ces derniers jours...et de la neige mouillée lourde en plus .Puis on su ce que Félicie avait entendu une avalanche , il fallut plus de deux heures pour percer l'amas de neige , par endroits la glace mêlée de branchages et de pierres était dure comme du béton . La paysage était méconnaissable , plus d'arbres plus de rochers, plus de torrent bondissant de sa ravine . Le bâtiment de pierre à trois étages , abritant les ateliers au rez-de-chaussée et au premier et les familles sous les toits, il n'était plus là ; il était cinq heures , l'avalanche venait de rendre sa première victime . Luc avait il entendu la mort arriver , quel Dieu cruel l'avait-il fait venir d'aussi loin pour çà ? Malgré la couverture elle se sentait glacée de l'intérieur , elle y passerait des jours, des semaines s'il le fallait , mais elle le trouverait et le ramènerait au jour .Traînant sa couverture après elle , elle s'approcha de la fenêtre , Monsieur Legrand rentrait à son tour , seul , accablé il leva la tête et l'aperçut ,il lui fit signe d'ouvrir la fenêtre :"Monsieur Voisin va demander de l'aide à l'armée , puisque la Pinouse est sous administration militaire nous devrions avoir un renfort d'une centaine d'hommes pour continuer les recherches et dégagée la voix ferrée . Comme elle se détournait pour aller se coucher , elle vit une petite lumière tourné le coin de la cantine , ils étaient deux , un mince et l'autre plus râblé; elle n'eût pas conscience de pousser un cri , mais l'instant d'après , elle dévalait l'escalier comme une folle , elle courait dans la neige vers la lumière qui grandissait au bout du sentier, elle se jeta au cou de Luc et dans le même élan plaqua ses lèvres sur les siennes glacées mais délicieusement vivantes. Luc avait passé la nuit bien au chaud à Rapaloum , en l'envoyant malgré le mauvais temps apporter un repas chaud au gardien de la gare de l'arrivée du câble aérien, le chef d'atelier lui avait sauvé la vie . Ce fut le mariage  le plus étonnant , le plus étrange qu'on ai vu de mémoire d'homme dans la vallée de la Lentilla et même peut-être dans tout le massif du Canigou. Pensez " la fille" la sauvageonne , la sorcière épousait un ouvrier Chinois une "face de citron" c'était un évènement à ne pas manquer !Elle avait elle même confectionner son bouquet de mariée avec du noyer , de l'orpin , du millepertuis , de la camomille et des immortelles ; un énorme ramellet de la Saint-Jean pour connaître le bonheur toute une vie durant.    


Les mines de la Pinouse fermèrent définitivement leurs portes dans les années trente, victimes du retour dans l'industrie française du minerai de fer lorrain , de moins bonne qualité mais plus rentable. Durant la Seconde Guerre Mondiale , les bâtiments abandonnés servirent de refuge au maquis Henri-Barbusse. Dans les tout premiers jours d'août 1944, lors d'une grande opération concertée entre l'armée allemande et la milice pour en finir avec les maquisards, Julien Panchot, leur chef , qui couvrait leur fuite , fut capturé et fusillé contre le mur de la cantine où les impacts de balles sont encore visibles . Valmanya , qui ravitaillait la Résistance fut brûlé et détruit. Quatre de ses habitants qui n'avaient pas pris la fuite , furent exécutés. Le village martyr, qui dut être entièrement reconstruit , fut décoré de la croix de guerre avec étoile de vermeil en 1948.   


 


lundi 23 mai 2022

Les fossoyeurs de Victor Castanet





Journaliste et citoyen , je n'ai aucune difficulté avec le fait que de grands groupes privés gagne de l'argent dans un secteur comme celui de la prise en charge de la dépendance . Ce livre vise à mettre en lumière les pratiques douteuses d'une entreprise devenue trente ans après sa création le numéro un mondial du secteur des Ehpad (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes ) et des cliniques . Un groupe qui gère aujourd'hui plus de 110 000 lits répartis dans plus de 110 établissements , sur 23 pays et trois continents. Une société qui ambitionne à court terme , de faire son entrée dans le CAC 40 : ORPEA . Il s'agit également de pointer les responsabilités du système de santé français et tout particulièrement des autorités de contrôle, en premier lieu des agences régionales de santé (ARS) qui à bien des égards , ont failli à leurs missions premières : s'assurer de la bonne utilisation de l'argent public et surtout protéger nos aînées . Cette enquête s'appuie sur ces entretiens , dont plus de 200 ont été enregistrés, et surtout un grand nombre de documents qui m'ont été transmis : les mails, des photos, des vidéos, des enregistrements, des documents médicaux, des documents comptables interne au groupe, des comptes d'emplois, des conventions tripartites, des décisions de justices, des rapports de l'inspection du travail ou des comptes rendus du contrôle de conseil départementaux . Si ce récit prend appui sur un établissement Les Bords de Seine situé à Neuilly sur Seine (Haut de Seine) mon enquête m'a conduit à couvrir une part non négligeable du territoire français. Je me suis rendu à Paris , dans les Hauts- de- Seine , le Finistère, la Vienne, L'Yonne, L'Hérault ; la Sarthe, La Loire-Atlantique, le Lot et Garonne , L'Aisne , la Marne , la Gironde, les Bouches du Rhône , le Vaucluse, le Tarn et Garonne , les Vosges en Corse et également au Luxembourg . Cette enquête , que j'ai mené pendant de long mois par temps calme, a été percutée au printemps 2020 par la crise du Covid-19 . Sûrement y a -t-elle alors trouvé un sens supplémentaire. Durant cette pandémie, qui a causé plusieurs dizaines de milliers de morts en Ehpad , les faiblesses du système de santé français et l'opacité de certains grands groupes privés ont éclaté au grand jour. Malheureusement, ces failles étaient présentes depuis bien trop longtemps et laissaient entrevoir un tel drame. Saida Boulahyane presse le pas, il est 7H15 et, dans quelques minutes, elle commencera sa première journée de travail pour le groupe ORPEA . Depuis près de dix ans elle est auxiliaire de vie et elle a tout connu: Les Ehpad vétustes et souffreteux de banlieue parisienne à 1.800 euros par mois , les milieux de gamme à 2.500 euros , de bien meilleure tenue les premium à 4.000 euros , ou l'on prends soin des apparences. Mais lorsqu'elle se retrouve face à cet imposant bâtiment de sept étages aux larges balcons, colonnades et palmiers d'accueil , elle a le sentiment de passer dans une autre catégorie. Au delà de l'image les Bords de Seine  comme tous les établissements au groupe doivent rapporter de l'argent. Les tarifs des chambres comptent parmi les plus élevés de l'hexagone . Au Bords de Seine , la chambre d'entrée de gamme , d'une vingtaine de mètre carrés coûte près de 6.500 euros par mois et les tarifs grimpent jusqu'à 12.000 euros pour la grande suite avec salle de bains et dressing 380 euros par jour et par personne, soit six fois le tarif moyen d'un Ehpad . Pourtant à ce prix là tout n'est pas compris , il faut encore payer l'accès Internet ( 25 euros par mois) les appels téléphoniques (0,15 centimes l'unité, l'entretien de votre linge, le coiffeur ou encore la pédicure. Seule les grandes fortunes françaises et internationales foulent ces moquettes épaisses .Les plus célèbres Mme Cartier , une excentrique  princesse ,Françoise Dorin , femme de lettres et d'esprit, amoureuse éperdue de Jean Piat ,on y retrouve aussi d'anciens journalistes, d'ex haut fonctionnaires ou des proches de membres éminents de la politique française . Mais en ce milieu de juin 2016, lorsque Saida Boulahyane foule pour la première fois ce tapis rouge , aucune personnalité ne se profilent à l'horizon , lorsqu'elle arrive au quatrième étage , ou l'aide soignante de nuit l'attends pour la relève ; au niveau  quatre les portes s'ouvrent  sur un autre monde ; en un instant le paradis s'est transformé en enfer; " je n'avais  rien vu de tel; j'ai 54 ans , de l'expérience dans de nombreux groupes Laurent Garcia , cadre infirmier confirme aussi les mois terribles qu'il à passés aux Bords de Seine , il m'alerte sur de nombreux cas de maltraitance , une gestion du personnel alarmante , des protocoles médicaux non respectés, des économies de bout de ficelle à tous les étages, le tout piloté par une direction cynique , en sa qualité de cadre infirmier , c'est lui qui évaluait les besoins en protections (couches) , en pansements , petit matériel médical, compléments alimentaires, gants de toilettes ...Mais ce n'était pas lui qui décidait : Bien sûr que je me battais pour mes soignants et les résidents, le combat était perdu d'avance, glisse t-'il désolé ; je n'avais droit qu'à une commande par mois et la plupart du temps elle était validée par le directeur d'exploitation puis revue à la baisse par la directrice coordinatrice qui écoutait sûrement les consignes du directeur de la division Iles de France rien ne passait s'en sa validation ; on n'avait aucun stock ; et on ne pouvais commander que le 25 du mois ,alors presque chaque mois , la dernière ou la première du mois suivant on se retrouvais en pénurie de couches .Il y avait alors toutes les aides soignantes qui accouraient dans mon bureau pour se plaindre, je comprenais leur colère , que pouvais je leur dire ? Je me rendais au septième étage du  bâtiment pour s'expliquer avec la directrice coordinatrice qui était dans sa tour d'argent et je poussais une gueulante , c'est d'ailleurs pour ça que l'on ma remercié à la fin ; elle me demandais de me calmer et ne faisait rien .Saida Boulahyane  me détaille les conséquences de ce rationnement ; une toilette était prévue le matin et une autre à 14 heures , puis il fallait attendre le soir , si l'un de ses protégés faisaient sur lui l'après-midi, elle était contrainte de le laisser dans ses excréments pendant plusieurs heures  peu importe l'odeur, les conséquences sur sa santé et son bien être, elle évoque ainsi un pensionnaire atteint du trouble de comportement  et d'excès de violence en train de tapisser les murs de sa couche pleine ivre de rage et de désespoir, elle raconte s'être retrouvée une fois à nouer des serviettes de bains à plusieurs pensionnaires, en guise de couches faute de mieux, la pénurie était si fréquente que des familles avaient décider d'acheter elle même les protections de leurs parents alors qu'elles versaient plus de 10 000 euros par mois, comment expliquer qu'un groupe international comme ORPEA rogne sur ce qui est pourtant la base du bien être d'une personne âgée les protections urinaires ! Si je disais quelques chose , j'avais l'impression d'être l'emmerdeuse du service; même l'alimentation était rationnée, au petit déjeuner deux biscottes s'ils en voulaient une troisième, ce n'était pas possible , c'est arrivé souvent qu'on n'avait pas de lait le matin ou pas de confiture. J'ai interrogé par la suite trois aides soignantes , dont une déléguée du personnel, un infirmier  qui ont travaillés aux  Bords de Seine à différentes périodes et à différents étages tous ont décrit la même situation. En parallèle des pénuries de matériels , l'autre difficulté majeure à laquelle étaient confrontés ces auxiliaires de vie et ces soignants, c'est le manque de personnels. Lorsque je demande à Saida Boulahyane combien de personnes travaillaient avec elle dans l'unité protégée du quatrième étage , habitée par quatorze résidents aux pathologies complexes et aux comportements instables , sa réponse est édifiante: je n'ose même pas en parler me dit-elle après un long silence, elle confie " nous étions deux en général , mais il m'est arrivée souvent de me retrouver toute seule du matin au soir 7h30 à 19h30 pour les gérer, les changer , les faire manger et ça plus d'une fois . Laurent Garcia  prends le relais  " c'est qu'on me demandait de ne pas remplacer les absences, ça les arrangeait bien qu'il y ait des absents, çà leur permettait d'économiser . Il faut savoir qu'un tiers de ces postes d'auxiliaires de vie et la totalité des postes d'aides soignants ne sont pas payés par les établissements, mais par les dotations publiques. Plusieurs familles dans les années 2016 et 2017 se plaignaient des repas rationnés , parle d'un personnel stressé , de pertes de vêtements, de disparition d'objets, souligne le temps anormalement long aux appels des malades, de soins d'hygiène, des difficultés dans l'administrations des médicaments, des bijoux volés. Madame Rousselle qui a mis sa mère à ORPEA grâce à ses visites répétées, commence à se rendre compte que quelques chose déraille plusieurs fois elle se retrouve face à des pensionnaires abandonnés dans un salon , un couloir , qui appellent à l'aide , au deuxième étage , celui de sa maman il n'y a la plupart du temps qu'une seule  personne pour aider une bonne vingtaine de résidents à manger , cela entraineraient de graves problèmes de dénutrition à la résidence Neuilly sur Seine . Combien de fois les soignantes découvrirent à l'heure de prendre leur service les plateaux-repas du soir pas même entamés , abandonnés çà et là dans le réfectoire par une auxiliaire de vie dépassée. Je vais être informé pour mon enquête de dysfonctionnements plus préoccupants encore qui a lieu à la résidence des Bords de Seine , des affaires qui dépassent le cadre de la maltraitance et ou il est question de vie et de mort , de fin de vie , de souffrances et de silence. Hélène a été immédiatement saisie par la désorganisation de la résidence haut de gamme: le premier jour ou je suis arrivée, on était en 2014, il y avait une grand-mère qui avait été oubliée pendant 48 heures dans sa chambre, ils l'avaient complètement zappée ,elle n'avait ni bouffée ni rien , et le jour suivant il y avait une dame qui avait chuté qui se retrouvait avec plein d'ecchymoses et personne n'avait été informé, ni le médecin coordinateur, ni la famille c'était inacceptable . Mme Bourgat  avait perdu en autonomie et semblait atteinte surtout moralement , pour autant sa situation était comparable à bien d'autres pensionnaires se retrouvant de manière inéluctable à vivre cet état de dégradation ; sa carte vitale avait été confié ainsi qu'une ordonnance à l'agent d'entretien de l'établissement à qui on avait donné pour mission d'aller chercher les traitements; branle bas de combat, Hélène informe immédiatement le directeur de l'établissement; la réponse ne se fait pas attendre , mais ce n'est pas celle à laquelle l'équipe soignante s'attendait ,ce n'est pas le responsable impliquée qui est mis sur la touche mais Hélène , la cadre infirmier serait privée d'une partie de ses accès soins médical  Net Soins ; plusieurs infirmières auraient refusées d'administrer les différents traitements mais elles auraient subi une telle pression qu'elles avaient été contraintes de se soumettre et de procéder aux injections, une chose est certaine , 48 heures plus tard Mme Bougat est déclarée morte . Son fils , encore traumatisé par le départ de sa mère m'affirmera qu'il n'avait jamais été mis au courant de la mise en place de cette procédure extrême et n'avoir jamais formulé le moindre accord . M. Azzoui, Laurent Garcia , et M.Bouchara  ne resteront pas longtemps  en poste aux Bords de Seine ces directeurs cadre infirmier donnerons leur démission ou serons licencié en moins d'un an de prise de service ainsi va la vie aux Bords de Seine . Lorsque l'on me parle pour la première fois de l'affaire Françoise Dorin il me faut avouer que je ne connaissais pas le parcours de cette femme, son histoire d'amour avec Jean Piat débuta quarante cinq ans avant son entrée aux Bords de Seine il venait de quitter la comédie française et elle lui offrit son premier rôle de boulevard  dans une pièce au nom prédestiné "le Tournant" ils ne se quittent plus ; l'animatrice Catherine Ceylac, lors d'un hommage à Jean Piat ,en septembre 2018 eut ces jolis mots " Le théâtre était l'affaire de leur vie ; elle écrivait , il jouait " . " Si vous voulez vous débarrasser des gens que vous aimez à moindre frais , il y a une place de libre désormais au 2èime étage à gauche en sortant de l'ascenseur " ( Avis laissé en avril 2018 sur Google par Thomas Hitsinkidès  l'un de ses petit fils ) Une aide soignante qui passe chaque jour faire la toilette de Françoise Dorin remarque deux semaines après son admission, l'apparition de rougeurs  et le signale à Amandine qui préconise l'installation d'un matelas anti-escarre , l'information sera transmisse à la cadre infirmière , malheureusement la résidence des Bords de Seine ne possède pas de matelas de ce type en stock, quarante huit plus tard , Françoise Dorin peut enfin allonger, son corps meurtri sur un matelas adapté , elle vas hélas être victime d'une double défaillance , le lendemain de la mise en place , l'infirmier se rends compte que le matelas livré est défectueux "ça bipait dans tout les sens !" le matelas n'avait pas gonflé pourtant un matelas anti-escarre ça met vingt minutes à gonfler , on a couru dans la chambre voisine qui était vide où on a pris un matelas classique. Les jours passent et Mme Dorin ne se sent pas bien à partir de là  elle n'a plus voulu s'alimenter , en parallèle , l'état de son escarre , qui se situe au niveau du sacrum se détériore d'heure en heure la plaie devient de plus en plus profonde , pourtant durant plus de dix jours personne ne prendra la peine d'informer la famille ; malheureusement l'escarre ne se résorbe pas et face à cette situation qui empire ,une réunion d'organisation finit par être organisé , le 24 novembre en présence du directeur adjoint et de la psychologue afin que sa fille soit mise au courant ; la cadre infirmier à minimiser les choses et s'est montrée rassurante envers sa fille à cet instant le médecin coordinateur de l'établissement n'avait toujours pas été prévenu , pas plus que le médecin traitant . Les jours passent et le mal devient de plus en plus profond , le 27 décembre Mme Dorin est envoyé à l'Hôpital Beaujon pour valider la pause d'un pansement VAC un dispositif qui aspire les impuretés d'une plaie pendant plus d'une heure sa fille assiste au rendez-vous , ce qu'elle découvre ce matin là , la marquera à vie ; l'infirmière de l'Hôpital soulève le drap , et là je vois un trou béant , au niveau du sacrum plus gros que mon poing , même l'infirmière  aura un moment de recul se dit choquée de l'état de la patiente et invite sa fille à prendre une photo pour conserver une preuve . Sylvie demande en urgence à parler au médecin coordinateur ORPEA , ce dernier ce serait excuser d'emblée  reconnaissant qu'il y a eu des erreurs commises , qu'il n'avait été prévenu que le 12 décembre un mois après l'apparition de l'escarre. Il ne reste que deux semaines à vivre à Françoise Dorin , ce seront quinze jours de souffrances terribles , Mme Dorin ne criait pas, elle m'agrippait le bras à chaque soins au point presque de m'arracher la peau, je voyais dans ces yeux affolés à quel point elle souffrait , elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Le 12 janvier , elle décède après des semaines de souffrances indicibles , à l'âge de 84 ans , sans  un bruit . Malheureusement deux autres résidentes des Bords de Seine ont vécu les mêmes souffrances , le développement d'une escarre jusqu'au stade 4. Les dirigeants de l'histoire d' ORPEA sont peu connu du grand public, son fondateur docteur Jean-Claude Marian, un neuropsychiatre de formation est un homme peu avenant , austère , toujours impeccable dans son costume gris ,il est économe en mots et a le sourire rare . Les témoins du premier cercle évoquent surtout une pingrerie légendaire et un intérêt limité et tardif pour les questions de qualités . Marian adorait raconter sa légende , il avait récupéré une maison de retraite totalement vide , le gros œuvre avait été payés par la mairie, mais lorsqu'il reçu les premières demande de prises en charges , il n'y avait aucun meubles , rien qui ne pouvait assurer la vie quotidienne normale d'un Ehpad , il est allé chez Ikea et je dirai presque que c'était de la cavalerie, mais il n'a pas acheter 100 lits et le mobilier adéquat pour équiper sa maison de retraite ; il a n' acheter seulement 2lits pour accueillir ses deux premiers pensionnaires er avec les revenus issus il a acheter 2 autres lits ainsi de suite jusqu'à arriver aujourd'hui à des dizaines de millions de lits ; c'est du Marian tout craché, il se vantait d'avoir fait un investissement minimum, et l'élément chef, l'ADN,  ORPEA il est vraiment là : réussir à organiser la prise en charge de personnes âgées dépendantes dans le contexte budgétaire le plus restreint possible , lorsque vous avez compris çà , vous avez compris ORPEA ! Cette éthique de l'efficacité au détriment de l'humain s'affine au milieu des années 1990 ; Jean-Claude  Marian s'était associé à un certain Pierre Maillard ils se sont rencontrés dans le courant des années 80 , Jean-Claude Marian avait alors une société spécialisée dans la conception d'établissements de santé , et Pierre Maillard  découvrit le travail de gestionnaire d' Ehpad , ils décidèrent de mettre en commun leurs compétences , et se répartirent les rôles à Maillard le Lyonnais rigoureusement respecté , la gestion opérationnelle des établissements ; à Marian le Parisien visionnaire, la direction stratégique , le travail de développement et la conception des futurs projets immobiliers. durant une petite dizaine d'années le duo Marian , Maillard vas fonctionner à merveille , le nombre d'établissements augmentent mois après mois , et Maillard parvient à imposer une discipline budgétaire tout en laissant de la liberté à ses directrices (à l'époque , ce ne sont que des femmes) Petit à petit les visions des deux hommes divergent, Marian poussé par les banques, cherche toujours plus de rentabilité. Il entends reprendre en main le management de ces établissements et mandate un temps une société de consultants, Euro force , pour optimiser les profits ;les directrices commencent à perdre en autonomie; on leur impose des coupes dans le personnel et de nouvelles techniques de remplissage . Pierre Maillard de moins en moins en accord avec les consignes du siège quitte le navire. Ce nouvel ORPEA , deux hommes vont en être les grands artisans ; il y a d'abord Yves le Masne , bras droit de Marian, il ne prévoit jamais que sa marge puisse reculer ; Yves le Masne  sait donner aux investisseurs ce qu'ils attendent : de la stabilité, de la rigueur et de la croissance . Yves le Masne devenu directeur administratif et financier, passe à l'action, en bon contrôleur de gestion , il veut avoir sous la main , en permanence quasi instantané tous les chiffres chefs de ses établissements , des masses de données se mettent à affluer au siège. Mais il manque pour compléter le trio gagnant , Jean-Claude Brdent , il a le sourire carnassier des personnalités dominatrices , Jean-Claude Marian le nomme directeur d'exploitation d' ORPEA  et il ne laissera rien passer , quand la réforme des 35 heures est passée dans les années 90 Martine Aubry ministre des affaires sociales dans le gouvernement Jospin , les entreprises pour profiter des aides de l'Etat qui accompagnaient la réforme ne devais pas avoir licencié Brdent  donna la consigne de "pousser à la sortie " en moyenne deux employés par résidence sans passer par une procédure de licenciement pour obtenir des aides sans augmenter sa masse salariale ( cette réforme était de lutter contre le chômage) Le système ORPEA va alors prendre de l'ampleur les nombreuses techniques employées par le groupe visant à profiter de l'argent public via quatre biais différents : 1 En dépassant le nombres de lits dans des conditions obscures 2 En réduisant le nombres de postes de soignants et de médecins , pourtant règlementaires; 3 En maximisant le coût de chaque patient pour l'Assurance  Maladie et les Mutuelles : 4 En instaurant des remises de fin d'année ( RFA) sur l'ensemble des produits médicaux payé par l'argent public . Pour un  Ehpad de 100 résidents , le forfait " Soins" est d'environs 70 0000 euros; si votre établissement ne dépense que 60 0000 euros les 15% de RFA s'appliqueront sur cette somme ; et votre siège  ne recevra que 9000 euros de RFA au lieu des 10 500 envisagés . L'autre effet pervers  des RFA c'est donc d'inciter les gestionnaires d' Ehpad  à dépenser le maximum d'argent public , à utiliser toute leurs dotations "Soins" indépendamment des besoins de l'établissement . Le groupe Bastide offre donc la possibilité à des clients de mettre en place des RFA pour qu'ils puissent aussi profiter indirectement de l'argent public , et il leur promet de vider leur forfait "Soins" en acceptant toutes les commandes possibles et (in) imaginable en fin d'année . Ce système ORPEA le mettra aussi en place pour les intervenants  comme les coiffeurs dont le système s'est retrouvé à demandé d'une coupe classique  à 30 euros est passé à 50 euros ; pour les kinésithérapeutes le groupe à exiger qu'ils paient eux aussi une redevance de 10% minimum estimant qu'ils leurs faisaient bénéficier d'une clientèle et que cela avait un prix et le troisième intervenant extérieur dans les  Ehpad est le plus important , il s'agit du laboratoire  de biologie médicale au fil des années ORPEA s'est mis en tête que ses pensionnaires lui appartenaient et qu'il n'étaient pas normal que d'autres en profitent gratuitement . Si des laboratoires voulaient prélever des pensionnaires il faudrait désormais payer , ainsi en 2014 le service achat du groupe à décider de lancer des appels d'offres partout en France pour mettre en place des partenariats avec des laboratoires prêts à payer . Autres méthodes pour remplir les établissements pour toucher le maximum d'argent prendre 20% de personnes handicapées mentales ou physiques dans ces dérives inappropriées à la prise en charge dans un Ehpad ,il y a eu notamment des drames , tels que des agressions envers des résidents atteints d' Alzheimer ayant entraîner des décès suite à des violences physiques sur des personnes vulnérables.  L'autre point essentiel qui rend ce secteur si profitable pour les groupes privé, c'est que cet agrément est totalement gratuit ; l'Etat ne leur demande rien en échange alors même que cette autorisation leur rapporte beaucoup d'argent . Toujours est-il que ni ORPEA , ni KORIAN , ni DOMAST  ni aucun groupes privés n' a jamais payer le moindre centimes à l' Etat en contre partie de centaines d'autorisations d'exploitations qui leur ont été accordées , et ce malgré les milliards qu'ils engrangent chaque année. Aucun des ministres de la Santé qui se sont succédé depuis ls années 90 n'a jamais pensé à remettre en cause ce système ; soit en décidant de le libéraliser totalement , soit en mettent en place une redevance en échange de l'octroi de ces agréments ; c'est le cas de Jean-François Vitoux aujourd'hui à la tête du groupe associatif Arpavie après avoir taclé ses principaux concurrents toujours prompts à se plaindre du montants des subventions qui leurs sont accordées  " il est trop facile , certains qui en font profession depuis plus de vingt ans , de réclamer plus d'argent public " aucune réaction de la part du ministre de la santé à l'époque Agnès Buzyn . Depuis trente ans des jeux d'influences , des affaires de délits initiés à la corruption , des pots de vin , ou encore une  main mise du milieu politique . Durant les années Sarkozy, Mme Bachelot a été nommée ministre de la Santé et des Sports ,mais ce que l'on ne sait pas forcément , c'est qu'elle ne s'occupait pas des questions liées aux grand âge, à la dépendance , aux maisons de retraite , tout un pan de santé lui avait été refusée , ce qui l'avait mise à l'époque hors d'elle . " On m'avait dit : Vous n'avez pas le médicaux social , ça reste chez Xavier Bertrand qui alors était ministre du travail " Je trouvais çà stupide parce que l'on me demandait dans le même temps une réforme la loi " Hôpital " (patient , santé et territoire de 2009 qui à pour but de décloisonner le système santé , et on ne me donnait pas toutes les clefs pour le faire" elle décida d'en parler au premier ministre François Fillon qui ne voulut rien entendre . Si le groupe ORPEA à officiellement sa première maison de retraite en Charente-Maritime en 1989 son premier gros coup , qui va véritablement le faire changer de catégorie s'est déroulé dans l' Aisne au début des années 90 le groupe ne possèdent qu'une dizaines d'établissements dans toute la France ; va obtenir en quelques mois , la gestion de sept Ehpad dans le département d'élection de Xavier Bertrand : à Saint-Quentin, Soissons, Fère-en Tardenois, Château-Thierry, Beaurevoir, Hirson et Tergnier ; sept Ehpad coup sur coup , dont une bonne partie à été financer par un office HLM , pour le groupe s'était une affaire en or.  Au  début de la crise au Covid 19 qui allait être particulièrement meurtrière pour les pensionnaires d' Ehpad ( plus de 30 000 morts ) selon les données publiques de Santé France , le groupe à  beau répéter qu'il avait tout mis en œuvre pour lutter contre la pandémie , les délégués syndicaux se sont plaints , d'un manque important de masques FFP2, de tabliers jetables et de surblouses dans plusieurs  Ehpad ORPEA, notamment aux Terrasses de Mozart à Paris à la résidence Klarène située en Seine et Marne ou encore aux Bords de Seine la luxueuse résidence de Neuilly sur Seine . En pleine tempête du Covid 19 deux des trois principaux dirigeant ont choisit brutalement de quitter le navire ORPEA . Le premier à avoir franchit le cap est le fondateur du groupe Jean-Claude Marian à vendu le 21 janvier 2021 la totalité du solde de ses actions soit 6,3% du groupe et empoché par la même occasion de quoi mettre sa famille à l'abri pendant plusieurs siècles : 456 millions d'euros ! Quelques mois plus tard c'est le numéro deux du groupe l'incontournable Jean-Claude Brdent qui décide d'emboîter le pas au fondateur après avoir travailler plus de vingt trois ans dans le groupe ; M.Brdenk s'est fait élire en mai 2020 vice-président du Synerpa , le premier syndicat des maisons de retraites privées; il pourra donc continuer à influer sur le secteur de la dépendance et à collaborer avec le groupe ORPEA. Le Défenseur des droits privés présidés à l'époque par Jacques Toubon , à quelques mois plus tard remis un rapport accablant sur la gestion des Bords de Seine soulignant un grand nombre de manquements ; il conduit notamment que plusieurs résidents " Ont fait l'objet d'atteintes à leurs droits fondamentaux en raison de leur perte d'autonomie et ont subi des agissements ayant pour effet de porter atteinte à leur dignité et de créer un environnement hostile, dégradant et humiliant ce qui caractérise l'existence d'une discrimination ... Peu importe la dureté de la condamnation , chaque fois que je pense à ces hommes et à ces femmes dont la fin de vie à été  si inutilement douloureuse, de ces économies réalisées sur le dos des pensionnaires, notamment via le système des RFA, auraient permis à ORPEA d'organiser chaque années des séminaires hors de prix où le champagne coulait à flots et où l'on s'assurait de la docilité de centaines de directeurs d'ORPEA en leur offrant les plus grandes stars du moment . Comment a-t-on pu laisser faire cela ? Qui est responsable ? Nous tous d'une certaine manière pour avoir trop longtemps détourné le regard , mais au-delà de cette responsabilité collective , c'est l'appareil étatique , le Système Santé Français qui doit être questionné et remis en cause . Les agences régionales de santé , censées être les garantes de l'uniformatisation de la qualité des soins sur tout le territoire ont failli ; elles ont échouer à s'assurer que l'argent public dont elles étaient responsables étaient utilisés à bon escient. Elles ont échoué à garantir le bien être de nos aînés placé en maison de retraite . L'Etat à tout simplement pas fait le poids face à un grand groupe privé comme ORPEA ; ses agents  ses inspecteurs n'ont eu ni les moyens suffisants , ni les compétences nécessaires pour réaliser des contrôles efficaces des grands gestionnaires d' Ehpad ; ils ont été aveuglés pendant des décennies par des groupes tout à fait conscients de leurs supériorité. Alors que je mets un terme à cette enquête qui m'a tenu en haleine pendant près de trois ans j'ai été le porte voix de centaines de personnes qui ne supportaient plus de voir ce modèle destructeur prospérer. Des auxiliaires de vie , des aides soignants, des infirmiers, des cadres de santé, des directeurs d' Ehpad , des familles de pensionnaires, des apporteurs d'affaires, des salariés du siège, des élus du personnel, des dirigeants de grands groupes privés, des fonctionnaires de l'Etat et d'anciens ministre de la Santé.