Alexandrine est morte ; elle est morte un jour de grand soleil dans sa maison , à Cominac, deux mois avant mon installation au village; une Alexandrine qui part, une autre qui arrive. Après mon déménagement, ma vie de professeure fonctionnaire dans les Hautes Pyrénées, un nouveau chapitre demande à s'écrire en Ariège. Je souffle à chaque bûche pour témoigner de ma fatigue, mon père ne réagit pas, mais d'où lui vient cette énergie ? A 76 ans, c'est impensable, je n'ai plus le coeur à l'ouvrage; mon père continue à la même cadence, sans présenter la moindre fatigue , il sifflote . C'est ridicule, je ne peux pas avouer que je n'en peux plus au bout d'à peine 1 heure . Le bourdon du tracteur, l'odeur de l'essence, le métal de la fendeuse, l'épaisseur ce ces gants en cuir qui ne sont pas à ma taille, le tas de bois à débiter qui ne semble jamais diminuer tout m'insupporte ! Et mon père qui sifflote et maintient le rythme .... L'hiver s'annonce dans cette grange mal isolée il faudra en mettre du bois dans la cheminée ! Je voudrai lire la fierté dans les yeux de mon père, qui voit que ça aussi elle sait faire, qu'elle n'est pas qu'une intellectuelle, que le fossé entre nous n'est pas profond. Je voudrai être parfaite, pour être sûre qu'il m'aime et qu'il me le dise . Etre parfaite à Cominac , c'est être vaillante . C'est dans les gênes, c'est la montagne . C'est qu'ici on est paysans, même si on n'a pas de vaches, ni de cochons on est paysans . Paysans c'est un état d'être, c'est une mentalité; paysans, parce que on est loin de tout et qu'on a du courage dans les veines, de père en fils et de mère en fille. Paysans parce que la vie c'est le travail et que le travail c'est la vie .Ailleurs ce pourrait être une insulte, ici c'est une qualité . Longtemps "Ariège ! Terre Courage" a été le slogan du département. Le temps est passé, les campagnes de promotion départementale aussi , après " Ariège les Pyrénées avec un grand A " ou encore " l'Ariège ça monte et ça descend mais ça n'est jamais plat " on vit désormais en " Ariège libre comme l'air " mais dans les esprits l'Ariège est restée " Terre Courage" comme une façon de rendre hommage aux habitantes et habitants . Le sang des montagnes ariégeoises qui coule dans mes veines infuse cela en moi, parfois comme une lourde charge, un fardeau qui tasse le dos . Dans mes gênes il y a la nécessité de se lever tôt pour s'occuper des bêtes même si le corps dit non, de déblayer la neige pour dégager les chemins, de faire les foins à la faux en plein soleil des jours durant dans les prés en dévers :l'habitude de faire soi-même une bête de somme et l'idée qu'il ne pourrait être autrement de peur du " qu'en dira t'on " L'injonction de se montrer respectable, et respectable ici ça veut dire vaillant . Ma peau frissonne sous l'air frais de ce petit matin d'automne et la contemplation me prends aux rêveries. Quarante ans que l'on se connaît, que l'on s'observe quarante et bien plus; avec la mémoire de mes ancêtres vibrant dans mes cellules , on peut parler en siècles . Alexie mon arrière arrière arrière grand père montreur d'ours à lui aussi grandi dans ce décor; c'est abyssal ! Me voici , donc ici accrochée à " flanc de montagne", à 850 mètres d'altitude dans le village natal de mon père; Cominac. Sur ce plateau que baigne le soleil de l'aube, jusqu'au crépuscule. Je suis venue à reculons dans ce décor idyllique, je voulais m'inventer une nouvelle existence dans l'Ariège artistique, l'Ariège bohême pas celle du creuset familial .Cette jeune fille de seize ans qui se prénommait Renée elle aussi est partie comme ses frères avant elle , tenter sa chance aux Etats-Unis. Elle travaillait près de Time Square dans le french restaurant de Marie Rose où elle servait les plus grands jazzmans qui lui réservaient toujours un accueil chaleureux, lorsqu'elle venait les écouter au club après son service , notre petite française s'est vite retrouvée avec une trompette entre les mains et il s'est avérée qu'elle avait d'incroyables dispositions, alors elle vécut quarante ans d'une double vie, un rythme joyeusement effrénée de serveuse trompettiste . Lorsque sonna l'âge de la retraite, son mari décida qu'il était l'heure de cesser ses activités new-yorkaise (qui n'était pas à son goût) pour rentrer au pays ; la mort dans l'âme elle l' a suivi, elle a bien tenté de faire vivre sa passion ici , mais le jazz à Cominac, ça n'a pas pris . Ce n'est pas un détour, c'est une rencontre qui se propose au visiteur, la maîtresse de cette bâtisse est une véritable figure archétypale "une dame au tablier" pour les accoutumés du monde rural, ces quelques mots suffisent à faire naître des images et jaillir quelques prénoms. A lui seul ce tablier raconte un pan d'histoire, un bout de montagne qui s'éteint petit à petit. toujours l'œil pétillant, un brin rieur, traduisait le germe d'enfance à jamais resté intact, et les joues rouges qui racontent toute une vie au grand air, aux quatre vents, dehors tous les jours, par tous les temps que connaisse ces villages de montagnes . Parce que ces femmes là, n'ont pas suivi la vague de l'exode rural et sont restées au pays, comme un coquillage accrocher sur un rocher qui vacille pas sous l'influence changeantes des marées. Bien souvent , elles étaient femmes de paysans et œuvraient vaillamment dans l'ombre de leurs maris. Je sursaute le tintement des cloches me sort de ma rêverie contemplative . Cette église est à l'image de son peuple vaillante , éclairée par la lune ou le soleil, saupoudrée de neige ou battue par les vents imper tuable, elle sonne chaque heure et demi heure des 365 jours que compte une année . Le tintement des cloches relie rythmiquement l'esprit au temps qui passe. Cominac New-York c'est un mariage qui dure et prends racine en 1870, lorsque mon arrière arrière arrière grand père Alexie Auriac ( de Roc) décide de voir plus grand, plus loin et de poursuivre ses activités de saltimbanque Outre Atlantique . Avec deux collègues montreurs d'ours et leurs fidèles plantigrades, ils se rendent à pieds jusqu'à Bordeaux , ils se déplaçaient en longeant les voies de chemins de fer. A l'arrivée au port, c'est l'aventure maritime qui débutait : des semaines de traversées en troisième classe, sur des navires à vapeur. Il y faisait noir même en plein jour, les matelas étaient rembourrés de paille autant que de petits insectes bien vivants. Les oursailhers trouvaient parfois à se soustraire quelques instants à leurs misérables conditions en s'octroyant l'autorisation de promener leurs ours sur le pont, récoltant au passage un peu d'argent que les riches passagers leurs concédaient pour le divertissement. C'est ainsi que cette immigration a commencé, par un ancêtre qui a eu la folie de donner corps à ses rêves d'aventure; une fois que les montreurs d'ours avaient goûté à l'Amérique, c'était difficile de s'en passer: les grands espaces au lieu de l'étroitesse de leur petit village, la liberté au lieu des tracasseries familiales ou des ennuis de bornages avec les voisins, amuser les gens dans les rues plutôt que s'épuiser à faucher. Pour autant il leur fallait aussi bien du courage, car ces voyages comprenaient de nombreux risques . D'ailleurs les oursailhers avaient coutume de rédiger leur testament avant de partir et de s'acheter un révolver, une fois arrivés Outre Atlantique . Lorsque en 1921, une loi américaine interdit ces spectacles animaliers, les éplucheurs de pomme de terre partent en exil et succèdent aux montreurs d'ours. Cent cinquante ans plus tard, il y a deux french restaurants Cominacois sur Broadway et des dizaines de descendants Outre Atlantique qui ne connaissent pas un mot de français et des octogénaires ariégeois qui parlent anglais. Il faut que tu dises " Daniel de Roc" parce que Daniel Loubet, ils ne connaissent pas, moi je suis un Roc, j'y ai passé du temps dans cette maison me dit papa, le visage éclairé de fierté et voilé de mélancolie. Ici il y a autant de Loubet que de rats taupiers, alors pour s'identifier on doit passer par le sobriquet. Les gens du village, pour la plupart, je ne peux les nommer que de cette façon : les Blanchards, les Gabatch , le Moussur ....je n'ai jamais entendu leurs prénoms , ni même leurs noms de famille . En fait il s'agit du nom de la maison, souvent le patronyme des premiers occupants. Ainsi , j'ai découvert un jour que le voisin que mon père a toujours appelé Peyot , recevait son courrier au nom de Francis Dejean ; quand on arrive à Cominac, on change donc d'identité, on brouille les pistes ; ce langage codé, ça me plaît. papa un Roc, ça lui va bien et moi aussi par extension , je suis de Roc , d'Ariège Terre Courage. Mon prénom est un hommage a Alexandre, mon grand-père adoré de mon père Alexis Auriac de Roc , encore un fil qui tisse sa toile entre mon ancêtre montreur d'ours , et moi, un lien qui éveille ma curiosité. Je ne connais de lui que sa profession et son exil américain, rien de plus, l'histoire ne s'est pas transmise. Je décide de profiter de cet hiver à Cominac pour mener l'enquête sur mes racines, je veux en savoir plus sur cet homme et peut-être sur moi en filagramme . Que reste t-il de lui dans ce que je suis ? Il est encore un peu là, sa maison n'a pas bougé surplombant Bénazet , cette bâtisse se démarque par sa taille massive, fruit des devises qu'Alexis envoyait à son frère resté au pays, qui s'est chargé d'agrandir la demeure familiale ; c'est la première qui a été couvertes en ardoises, tandis que toutes les autres étaient en chaumes, la première enduite de crépis, quand les autres exhibaient encore leurs pierres et la première dotées de deux fois plus de fenêtres que celles du voisinage, autant de signes de distinction, signe de réussite de l'aventure américaine. Je dévale la pente sans retenue, mes pieds surfent sur l'épais lit de feuilles mortes et ravivent l'odeur de la terre et de serpolet; mon escapade mycologique sur la piste forestière est couronnée de trois coulemelles , le champignon des feignants qui dresse sa tête blanche en plein coeur du vert des prairies, comme un phare indulgent pour les bredouilles des cèpes, les grands perdants de la course à la girolles, et ceux qui n'ont ni patience pour sortir vainqueur de ce jeu de cache cache, ni les jambes assez musclées pour assumer de longues marches, dans les dévers acérés de nos sous-bois montagnards . De toute façon , je pensais à autre chose, absorbée que j'étais dans l'abyssale spirale du passé, les lieux me murmuraient un souvenir d'enfance. J'arrive du sentier en contrebas, mes pieds se fraient un chemin entre pierres et orties, picotements des mollets à travers le fin pantalon, elles m'ont eues. Je les entends, ils ignorent ma présence le généreux buisson d'hortensias me sert de paravent; je m'énivre du son de leurs voix qui chantent cette langue que j'aime tant , Marius et Ginette parlent en occitan, comme ils l'ont toujours fait, comme ils le faisaient à l'école en cachette pour éviter le bonnet d'âne. Lorsque ma tête émerge enfin du monticule fleuri, ils s'arrêtent net, pris en flagrant délit, saisis en plein coeur d'une proximité qui ne partagent pas avec moi, la fille de Daniel, celle qui n'a pas grandi ici, celle qui a pris des cours pour apprendre l'occitan, tandis qu'ils ont été biberonnés au patois. Comment leur dire ? Je garde précieusement le souvenir nostalgique des veillées de ce temps où la vie se vivait en trois dimensions, du temps ou l'écran n'avait pas encore parqués chacun chez soi et grignoté la vie sociale ; réunis en famille, un soir chez l'un, un soir chez l'autre , ça palabrait jusque tard Dans ce que laisse filtrer ma mémoire, j'étais la seule enfant, ces instants me laissent un goût joyeux, celui qui diffusent le partage, la fraternité, la joie d'être ensemble et cette saveur de mystère familier que le patois diffusait dans l'air, chaude mélodie à jamais nichée dans le creux de mon oreille. L'enfance de mon père ne s'est pas vécut en français, pour lui le patois, c'est la langue d'une époque, la langue de l'intime, il est chargé de tout l'amour qu'il a reçu de ses grands-parents maternels, Alexandre et Julie, dont la maison trône en haut de Bénazet . Au fur et à mesure que le cimetière grossit, ces sonorités s'endorment doucement ; réprimé, déprécié ce patrimoine ne s'est pas transmis, mon père ne m'a jamais parlé le patois. Quand je lui ai demandé pourquoi ? il m'a dit qu'il n'en voyait pas l'intérêt, j'ai pris des cours pendant deux ans , puis arrêter parce que je n'avais personne avec qui le parler, douloureux constat . J'ai tenté de communiquer avec mon père qui s'est trouvé un peu gêné de cette main tendue, ça ne lui a pas trop plu, il a prétexté que ce n'étais pas le même patois, qu'il ne le comprenait pas. Pour lui j'ai appris une langue d'érudits, des gens de ville, de ceux qui écrivent des livres dans cette langue, j'avais appris l'occitan, mon père parle le patois, dans ces montagnes ariègeoises ce terme n'a rien de dépréciatif , il s'exprime couramment mais ne sait ni le lire, ni l' écrire , le patois, c'est l'archétype de la transmission orale, ce n'est pas quelque chose que l'on apprends à l'université ! J'ai versé quelques larmes, accepter que le lien ne se ferait pas ainsi. Pourtant je continue à maintenir en moi une petite étincelle de cet héritage en profitant du joyeux renouveau des bals trad et continu d'entonner à l'occasion quelques chants occitans, histoire de faire résonner encore un peu la langue de mes ancêtres Assise à écouter le silence dans l'âtre de la cheminée, mes yeux ne peuvent se détourner de cette affiche qui orne ce pan de mur de la maison, du plus loin qu'il m'en souvienne, on y voit un ours, les pattes dans la neige dans un paysage de montagne ; et c'est à travers lui que je pense à nouveau à mon ancêtre oursailhers , et à Marie Joséphine son épouse, cette femme sédentaire qui a épousé un nomade . L'itinérance , Alexis avait cela dans le sang puisque son père exerçait l'antique métier de scieur de long ambulant ;sabots aux pieds et baluchon chargé d'outils sur l'épaule, il parcourait des centaines de kilomètres pour proposer ces services. Couper, abattre, débiter, équarrir placer le tronc sur l'échafaudage et enfin scier dans le sens de la longueur pour réaliser des planches. Longtemps j'ai entendu parler du même discours élogieux sur cette ville d'Outre Atlantique , mon père fou de New-York, il y est allé pas moins de trois fois ! Lui qui s'apparente plus à un ours ariégeois, qu'à un rat des villes, lui qui est tout à son aise à jouer avec son tracteur et sa tronçonneuse, ce même homme des bois me parlait de cette ville avec des yeux d'enfants émerveillés . J'y suis allée, je n'ai pas fait figure d'exception, j'ai succombé au charme de cette ville curieusement, je ne me sentais pas comme une fourmi menacée d'écrasement, j'étais plutôt à l'aise à serpenter les buildings le nez au vent à la recherche de ce parfum Cominacois infusé depuis plus d'un demi siècle et demi dans ces murs de cette ville. Lorsque l'on est enfant des montagnes sauvages d'Ariège cette improbable évidence de se sentir un peu chez soi à New-York vient sans doute du joyeux murmure de nos ancêtres. Depuis plusieurs semaines, le tourbillonnements des blancs flocons à succédé à celui des feuilles mortes ; je réponds à l'appel des racines des ancêtres , j'écoute la sagesse de leurs murmures, je m'observe en kaléidoscope dans ces miroirs de famille le temps d'une saison ici à Cominac : Le temps que la chenille se transforme en papillon, à l'arrivée des premiers bougeons .
vendredi 15 novembre 2024
Le murmure des ancêtres d'Alexandrine Loubet
Alexandrine est morte ; elle est morte un jour de grand soleil dans sa maison , à Cominac, deux mois avant mon installation au village; une Alexandrine qui part, une autre qui arrive. Après mon déménagement, ma vie de professeure fonctionnaire dans les Hautes Pyrénées, un nouveau chapitre demande à s'écrire en Ariège. Je souffle à chaque bûche pour témoigner de ma fatigue, mon père ne réagit pas, mais d'où lui vient cette énergie ? A 76 ans, c'est impensable, je n'ai plus le coeur à l'ouvrage; mon père continue à la même cadence, sans présenter la moindre fatigue , il sifflote . C'est ridicule, je ne peux pas avouer que je n'en peux plus au bout d'à peine 1 heure . Le bourdon du tracteur, l'odeur de l'essence, le métal de la fendeuse, l'épaisseur ce ces gants en cuir qui ne sont pas à ma taille, le tas de bois à débiter qui ne semble jamais diminuer tout m'insupporte ! Et mon père qui sifflote et maintient le rythme .... L'hiver s'annonce dans cette grange mal isolée il faudra en mettre du bois dans la cheminée ! Je voudrai lire la fierté dans les yeux de mon père, qui voit que ça aussi elle sait faire, qu'elle n'est pas qu'une intellectuelle, que le fossé entre nous n'est pas profond. Je voudrai être parfaite, pour être sûre qu'il m'aime et qu'il me le dise . Etre parfaite à Cominac , c'est être vaillante . C'est dans les gênes, c'est la montagne . C'est qu'ici on est paysans, même si on n'a pas de vaches, ni de cochons on est paysans . Paysans c'est un état d'être, c'est une mentalité; paysans, parce que on est loin de tout et qu'on a du courage dans les veines, de père en fils et de mère en fille. Paysans parce que la vie c'est le travail et que le travail c'est la vie .Ailleurs ce pourrait être une insulte, ici c'est une qualité . Longtemps "Ariège ! Terre Courage" a été le slogan du département. Le temps est passé, les campagnes de promotion départementale aussi , après " Ariège les Pyrénées avec un grand A " ou encore " l'Ariège ça monte et ça descend mais ça n'est jamais plat " on vit désormais en " Ariège libre comme l'air " mais dans les esprits l'Ariège est restée " Terre Courage" comme une façon de rendre hommage aux habitantes et habitants . Le sang des montagnes ariégeoises qui coule dans mes veines infuse cela en moi, parfois comme une lourde charge, un fardeau qui tasse le dos . Dans mes gênes il y a la nécessité de se lever tôt pour s'occuper des bêtes même si le corps dit non, de déblayer la neige pour dégager les chemins, de faire les foins à la faux en plein soleil des jours durant dans les prés en dévers :l'habitude de faire soi-même une bête de somme et l'idée qu'il ne pourrait être autrement de peur du " qu'en dira t'on " L'injonction de se montrer respectable, et respectable ici ça veut dire vaillant . Ma peau frissonne sous l'air frais de ce petit matin d'automne et la contemplation me prends aux rêveries. Quarante ans que l'on se connaît, que l'on s'observe quarante et bien plus; avec la mémoire de mes ancêtres vibrant dans mes cellules , on peut parler en siècles . Alexie mon arrière arrière arrière grand père montreur d'ours à lui aussi grandi dans ce décor; c'est abyssal ! Me voici , donc ici accrochée à " flanc de montagne", à 850 mètres d'altitude dans le village natal de mon père; Cominac. Sur ce plateau que baigne le soleil de l'aube, jusqu'au crépuscule. Je suis venue à reculons dans ce décor idyllique, je voulais m'inventer une nouvelle existence dans l'Ariège artistique, l'Ariège bohême pas celle du creuset familial .Cette jeune fille de seize ans qui se prénommait Renée elle aussi est partie comme ses frères avant elle , tenter sa chance aux Etats-Unis. Elle travaillait près de Time Square dans le french restaurant de Marie Rose où elle servait les plus grands jazzmans qui lui réservaient toujours un accueil chaleureux, lorsqu'elle venait les écouter au club après son service , notre petite française s'est vite retrouvée avec une trompette entre les mains et il s'est avérée qu'elle avait d'incroyables dispositions, alors elle vécut quarante ans d'une double vie, un rythme joyeusement effrénée de serveuse trompettiste . Lorsque sonna l'âge de la retraite, son mari décida qu'il était l'heure de cesser ses activités new-yorkaise (qui n'était pas à son goût) pour rentrer au pays ; la mort dans l'âme elle l' a suivi, elle a bien tenté de faire vivre sa passion ici , mais le jazz à Cominac, ça n'a pas pris . Ce n'est pas un détour, c'est une rencontre qui se propose au visiteur, la maîtresse de cette bâtisse est une véritable figure archétypale "une dame au tablier" pour les accoutumés du monde rural, ces quelques mots suffisent à faire naître des images et jaillir quelques prénoms. A lui seul ce tablier raconte un pan d'histoire, un bout de montagne qui s'éteint petit à petit. toujours l'œil pétillant, un brin rieur, traduisait le germe d'enfance à jamais resté intact, et les joues rouges qui racontent toute une vie au grand air, aux quatre vents, dehors tous les jours, par tous les temps que connaisse ces villages de montagnes . Parce que ces femmes là, n'ont pas suivi la vague de l'exode rural et sont restées au pays, comme un coquillage accrocher sur un rocher qui vacille pas sous l'influence changeantes des marées. Bien souvent , elles étaient femmes de paysans et œuvraient vaillamment dans l'ombre de leurs maris. Je sursaute le tintement des cloches me sort de ma rêverie contemplative . Cette église est à l'image de son peuple vaillante , éclairée par la lune ou le soleil, saupoudrée de neige ou battue par les vents imper tuable, elle sonne chaque heure et demi heure des 365 jours que compte une année . Le tintement des cloches relie rythmiquement l'esprit au temps qui passe. Cominac New-York c'est un mariage qui dure et prends racine en 1870, lorsque mon arrière arrière arrière grand père Alexie Auriac ( de Roc) décide de voir plus grand, plus loin et de poursuivre ses activités de saltimbanque Outre Atlantique . Avec deux collègues montreurs d'ours et leurs fidèles plantigrades, ils se rendent à pieds jusqu'à Bordeaux , ils se déplaçaient en longeant les voies de chemins de fer. A l'arrivée au port, c'est l'aventure maritime qui débutait : des semaines de traversées en troisième classe, sur des navires à vapeur. Il y faisait noir même en plein jour, les matelas étaient rembourrés de paille autant que de petits insectes bien vivants. Les oursailhers trouvaient parfois à se soustraire quelques instants à leurs misérables conditions en s'octroyant l'autorisation de promener leurs ours sur le pont, récoltant au passage un peu d'argent que les riches passagers leurs concédaient pour le divertissement. C'est ainsi que cette immigration a commencé, par un ancêtre qui a eu la folie de donner corps à ses rêves d'aventure; une fois que les montreurs d'ours avaient goûté à l'Amérique, c'était difficile de s'en passer: les grands espaces au lieu de l'étroitesse de leur petit village, la liberté au lieu des tracasseries familiales ou des ennuis de bornages avec les voisins, amuser les gens dans les rues plutôt que s'épuiser à faucher. Pour autant il leur fallait aussi bien du courage, car ces voyages comprenaient de nombreux risques . D'ailleurs les oursailhers avaient coutume de rédiger leur testament avant de partir et de s'acheter un révolver, une fois arrivés Outre Atlantique . Lorsque en 1921, une loi américaine interdit ces spectacles animaliers, les éplucheurs de pomme de terre partent en exil et succèdent aux montreurs d'ours. Cent cinquante ans plus tard, il y a deux french restaurants Cominacois sur Broadway et des dizaines de descendants Outre Atlantique qui ne connaissent pas un mot de français et des octogénaires ariégeois qui parlent anglais. Il faut que tu dises " Daniel de Roc" parce que Daniel Loubet, ils ne connaissent pas, moi je suis un Roc, j'y ai passé du temps dans cette maison me dit papa, le visage éclairé de fierté et voilé de mélancolie. Ici il y a autant de Loubet que de rats taupiers, alors pour s'identifier on doit passer par le sobriquet. Les gens du village, pour la plupart, je ne peux les nommer que de cette façon : les Blanchards, les Gabatch , le Moussur ....je n'ai jamais entendu leurs prénoms , ni même leurs noms de famille . En fait il s'agit du nom de la maison, souvent le patronyme des premiers occupants. Ainsi , j'ai découvert un jour que le voisin que mon père a toujours appelé Peyot , recevait son courrier au nom de Francis Dejean ; quand on arrive à Cominac, on change donc d'identité, on brouille les pistes ; ce langage codé, ça me plaît. papa un Roc, ça lui va bien et moi aussi par extension , je suis de Roc , d'Ariège Terre Courage. Mon prénom est un hommage a Alexandre, mon grand-père adoré de mon père Alexis Auriac de Roc , encore un fil qui tisse sa toile entre mon ancêtre montreur d'ours , et moi, un lien qui éveille ma curiosité. Je ne connais de lui que sa profession et son exil américain, rien de plus, l'histoire ne s'est pas transmise. Je décide de profiter de cet hiver à Cominac pour mener l'enquête sur mes racines, je veux en savoir plus sur cet homme et peut-être sur moi en filagramme . Que reste t-il de lui dans ce que je suis ? Il est encore un peu là, sa maison n'a pas bougé surplombant Bénazet , cette bâtisse se démarque par sa taille massive, fruit des devises qu'Alexis envoyait à son frère resté au pays, qui s'est chargé d'agrandir la demeure familiale ; c'est la première qui a été couvertes en ardoises, tandis que toutes les autres étaient en chaumes, la première enduite de crépis, quand les autres exhibaient encore leurs pierres et la première dotées de deux fois plus de fenêtres que celles du voisinage, autant de signes de distinction, signe de réussite de l'aventure américaine. Je dévale la pente sans retenue, mes pieds surfent sur l'épais lit de feuilles mortes et ravivent l'odeur de la terre et de serpolet; mon escapade mycologique sur la piste forestière est couronnée de trois coulemelles , le champignon des feignants qui dresse sa tête blanche en plein coeur du vert des prairies, comme un phare indulgent pour les bredouilles des cèpes, les grands perdants de la course à la girolles, et ceux qui n'ont ni patience pour sortir vainqueur de ce jeu de cache cache, ni les jambes assez musclées pour assumer de longues marches, dans les dévers acérés de nos sous-bois montagnards . De toute façon , je pensais à autre chose, absorbée que j'étais dans l'abyssale spirale du passé, les lieux me murmuraient un souvenir d'enfance. J'arrive du sentier en contrebas, mes pieds se fraient un chemin entre pierres et orties, picotements des mollets à travers le fin pantalon, elles m'ont eues. Je les entends, ils ignorent ma présence le généreux buisson d'hortensias me sert de paravent; je m'énivre du son de leurs voix qui chantent cette langue que j'aime tant , Marius et Ginette parlent en occitan, comme ils l'ont toujours fait, comme ils le faisaient à l'école en cachette pour éviter le bonnet d'âne. Lorsque ma tête émerge enfin du monticule fleuri, ils s'arrêtent net, pris en flagrant délit, saisis en plein coeur d'une proximité qui ne partagent pas avec moi, la fille de Daniel, celle qui n'a pas grandi ici, celle qui a pris des cours pour apprendre l'occitan, tandis qu'ils ont été biberonnés au patois. Comment leur dire ? Je garde précieusement le souvenir nostalgique des veillées de ce temps où la vie se vivait en trois dimensions, du temps ou l'écran n'avait pas encore parqués chacun chez soi et grignoté la vie sociale ; réunis en famille, un soir chez l'un, un soir chez l'autre , ça palabrait jusque tard Dans ce que laisse filtrer ma mémoire, j'étais la seule enfant, ces instants me laissent un goût joyeux, celui qui diffusent le partage, la fraternité, la joie d'être ensemble et cette saveur de mystère familier que le patois diffusait dans l'air, chaude mélodie à jamais nichée dans le creux de mon oreille. L'enfance de mon père ne s'est pas vécut en français, pour lui le patois, c'est la langue d'une époque, la langue de l'intime, il est chargé de tout l'amour qu'il a reçu de ses grands-parents maternels, Alexandre et Julie, dont la maison trône en haut de Bénazet . Au fur et à mesure que le cimetière grossit, ces sonorités s'endorment doucement ; réprimé, déprécié ce patrimoine ne s'est pas transmis, mon père ne m'a jamais parlé le patois. Quand je lui ai demandé pourquoi ? il m'a dit qu'il n'en voyait pas l'intérêt, j'ai pris des cours pendant deux ans , puis arrêter parce que je n'avais personne avec qui le parler, douloureux constat . J'ai tenté de communiquer avec mon père qui s'est trouvé un peu gêné de cette main tendue, ça ne lui a pas trop plu, il a prétexté que ce n'étais pas le même patois, qu'il ne le comprenait pas. Pour lui j'ai appris une langue d'érudits, des gens de ville, de ceux qui écrivent des livres dans cette langue, j'avais appris l'occitan, mon père parle le patois, dans ces montagnes ariègeoises ce terme n'a rien de dépréciatif , il s'exprime couramment mais ne sait ni le lire, ni l' écrire , le patois, c'est l'archétype de la transmission orale, ce n'est pas quelque chose que l'on apprends à l'université ! J'ai versé quelques larmes, accepter que le lien ne se ferait pas ainsi. Pourtant je continue à maintenir en moi une petite étincelle de cet héritage en profitant du joyeux renouveau des bals trad et continu d'entonner à l'occasion quelques chants occitans, histoire de faire résonner encore un peu la langue de mes ancêtres Assise à écouter le silence dans l'âtre de la cheminée, mes yeux ne peuvent se détourner de cette affiche qui orne ce pan de mur de la maison, du plus loin qu'il m'en souvienne, on y voit un ours, les pattes dans la neige dans un paysage de montagne ; et c'est à travers lui que je pense à nouveau à mon ancêtre oursailhers , et à Marie Joséphine son épouse, cette femme sédentaire qui a épousé un nomade . L'itinérance , Alexis avait cela dans le sang puisque son père exerçait l'antique métier de scieur de long ambulant ;sabots aux pieds et baluchon chargé d'outils sur l'épaule, il parcourait des centaines de kilomètres pour proposer ces services. Couper, abattre, débiter, équarrir placer le tronc sur l'échafaudage et enfin scier dans le sens de la longueur pour réaliser des planches. Longtemps j'ai entendu parler du même discours élogieux sur cette ville d'Outre Atlantique , mon père fou de New-York, il y est allé pas moins de trois fois ! Lui qui s'apparente plus à un ours ariégeois, qu'à un rat des villes, lui qui est tout à son aise à jouer avec son tracteur et sa tronçonneuse, ce même homme des bois me parlait de cette ville avec des yeux d'enfants émerveillés . J'y suis allée, je n'ai pas fait figure d'exception, j'ai succombé au charme de cette ville curieusement, je ne me sentais pas comme une fourmi menacée d'écrasement, j'étais plutôt à l'aise à serpenter les buildings le nez au vent à la recherche de ce parfum Cominacois infusé depuis plus d'un demi siècle et demi dans ces murs de cette ville. Lorsque l'on est enfant des montagnes sauvages d'Ariège cette improbable évidence de se sentir un peu chez soi à New-York vient sans doute du joyeux murmure de nos ancêtres. Depuis plusieurs semaines, le tourbillonnements des blancs flocons à succédé à celui des feuilles mortes ; je réponds à l'appel des racines des ancêtres , j'écoute la sagesse de leurs murmures, je m'observe en kaléidoscope dans ces miroirs de famille le temps d'une saison ici à Cominac : Le temps que la chenille se transforme en papillon, à l'arrivée des premiers bougeons .
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Super c'est l'Amérique qui a tant fait rêver ces Ariegeois
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