La mère est une ancienne institutrice du nord de la France, jadis marié à un instituteur. Impatients et séduits à la fois par les affiches de propagandes et par la lecture de Pierre Loti tout deux vont tenter l'aventure coloniale. Après des années relativement heureuse, le père meurt, et la mère reste seule avec ses deux enfants Joseph et Suzanne . Elle joue du piano à l'Eden -Cinéma , fait des économies, obtient après d'infinies démarches, une concession à la Direction générale du cadastre, laquelle Direction n'ayant pas reçu de dessous de table lui attribue à dessein une concession incultivable. La mère qui n'a d'autre but que de laisser un bien à ses enfants s'entête. Elle a l'idée de construire contre les grandes marées du Pacifique un barrage qui protégerait ses terres et celles de ses voisins. Son veuvage, son ancienne appartenance au corps enseignant et la charge de ses deux enfants lui donnaient droit prioritaire sur une telle concession. Dès la première année elle mit en culture la moitié de la concession ; elle espérait que cette première récolte suffirait à dédommager en grande partie des frais de construction du bungalow . Mais la marée de juillet monta à l'assaut de la plaine et noya la récolte. Croyant qu'elle n'avait été victime que d'une marée particulièrement forte, et malgré les gens de la plaine qui tentaient de l'en dissuader, l'année d'après la mère recommença , la mer monta encore . Alors elle dû se rendre à la réalité; sa concession était incultivable. Il est vrai que la mer ne montait pas à la même hauteur chaque année ; mais elle montait toujours suffisamment pour brûler tout, directement ou par infiltration. Exception faite des cinq hectares qui donnaient sur la piste, et au milieu desquels elle avait fait bâtir son bungalow, elle avait jeté ses économies de dix ans dans les vagues du Pacifique. Le choix des attributions leur étant laissé, les fonctionnaires du cadastre se réservaient de répartir, au mieux de leurs intérêts, d'immense réserves de lotissements incultivables qui, régulièrement attribués et non moins régulièrement repris, constituaient en quelques sorte leur fonds régulateur. Sur la quinzaine de concessions de la plaine de Kam, ils avaient installé, ruiné chassé, réinstallé, et de nouveau ruiné et de nouveau chassé, peut-être une centaines de familles. Les seuls concessionnaires qui étaient restés dans la plaine y vivaient du trafic du pernod ou de celui de l'opium, et devaient acheter leur complicité en leur versant une quote-part de leurs ressources irrégulières, " illégales" disaient les agents du cadastre. La juste colère de la mère ne lui épargna pas, deux ans après son arrivée, la première inspection cadastrale. Ces inspections toutes formelles se réduisaient à une visite au concessionnaire auquel on venait rafraichir la mémoire , on lui rappelait que le premier délai était passé. Il serait étonnant, rétorquait l'agent, que notre gouvernement général ait mis ,en lotissement un terrain impropre à la culture. La mère, qui commençait à mieux y voir dans les mystères de la concussion , fit valoir l'existence de son bungalow . Celui-ci n'était pas achevé mais représentait quand même, incontestablement, un commencement de mise en valeur qui devait lui valoir un délai plus long? Les agents s'inclinèrent , elle avait un an de plus devant elle. Forte du délai que lui avait valu son bungalow, la mère mit les agents de Kam au courant de ses nouveaux projets . Ceux-ci consistaient à demander aux paysans qui vivaient misérablement sur les terres limitrophes de la concession de construire, en commun avec elle , des barrages contre la mer. Ils seraient profitables à tous. Ils longeraient le Pacifique et remonteraient le rac jusqu'à la limite des marées de juillet. Il fallait étayer les barrages avec des rondins de palétuviers . De ces frais là, naturellement, elle devait se charger seule. Elle venait alors d'hypothéquer le bungalow qui n'était pas terminé. Elle dépensa tout l'argent de l'hypothèque à l'achat des rondins et le bungalow ne fut jamais terminé. Le docteur n'avait pas tellement tort, on pouvait croire que c'était à partir de là, que les crises de la mère, par l'évènement de cette nuit fatale que ces barrages amoureusement édifiés par des centaines de paysans de la plaine enfin réveillés de leur torpeur millénaire par une espérance soudaine et folle et qui en une nuit, s'étaient écroulés comme un château de cartes sous l'assaut élémentaire et implacable des vagues du Pacifique. " On vient cria-t'-il gueule pas comme ça ." Il se dépêchait d'arriver près d'elle, elle était rouge et larmoyante comme toujours depuis qu'elle était tombée malade , tu ferais mieux de prendre tes pilules dit Suzanne au lieu de gueuler. Il leur avait semblé à tous trois que c'était une bonne idée d'acheter un cheval , puis ils se sentiraient moins seuls, cela dura huit jours , le cheval était trop vieux, il essaya de faire le travail qu'on lui demandait, et qui était bien au-dessus de ces forces, il en creva . Pour essayer de se consoler , ils décidèrent qu'ils iraient tous les trois à Ran pour voir du monde et se changer les idées. Ils allaient faire une rencontre qui allaient changer leur vie , en arrivant à la cantine de Ran ils virent stationnée dans la cour une magnifique limousine à sept places de couleur noire . C'est là que Suzanne rencontre pour la première fois M. Jo, un jeune homme qui paraissait avoir vingt cinq ans habillé d'un costume de tussor grège , quand il but une gorgée de pernod , elle vit à son doigt un magnifique diamant, Suzanne sourit au planteur du nord, il l'invita à danser. Sur sa demande elle le présenta à sa mère. Et c'est ainsi que M. Jo venait régulièrement au bungalow voir Suzanne. Dès les premiers jours la mère lui fit entendre qu'elle attendait sa demande en mariage. Il la tint en haleine par des promesses et surtout par divers cadeaux qu'il fait à Suzanne. Ces tête à tête enchantait la mère et s'il elle exigeait qu'il laisse la porte du bungalow ouverte, c'était pour laisser à M. Jo aucune issue que le mariage à l'envie très forte qu'il avait de coucher avec sa fille . Si M. Jo savait pas mal de choses, il savait qu'il ne pouvait pas épouser Suzanne, on ne se décide pas à épouser quelqu'un en quinze jours .M. Jo se faisait de plus en plus pressant et demandait à Suzanne de se montrer nue juste un instant quand elle se douchait, elle le fit et refermait immédiatement la porte de la salle de bains . La mère changea d'avis , elle décida qu'ils ne devaient plus rester seuls même avec la porte ouverte, elle lui avait parlé et lui donnait huit jours pour faire sa demande, il lui avoua enfin que son père avait d'autres projets pour lui, il lui promit cependant d'employer toutes ses forces pour y arriver à lui faire changer d'avis. Il promit à Suzanne de lui offrir un diamant si elle venait avec lui pendant trois jours à la ville . Et un soir il lui dit : Je l'ai ai apportés , vous pouvez choisir , trois bagues s'étalèrent au creux de sa main, ça vient de ma mère . Combien ça vaut demanda Suzanne ? Je ne sais pas , peut-être vingt milles franc . Je vous la donne, elle prit , ne la passa pas à son doigt, mais l'enferma dans sa main et sans dire aurevoir à M. Jo , elle courut vers le bungalow. Elle brandi la bague et dit à sa mère regarde il me l'a donné, vingt mille franc ça vaut !La mère demande à Suzanne de la lui confier pour qu'elle la voit mieux , puis s'en s'expliquer elle était allée dans sa chambre et lorsqu'elle était sorti de la salle à manger , Joseph et Suzanne avaient compris, elle était allée la cacher , elle cachait tout la quinine, les conserves, le tabac tout ce qui pouvait se vendre ou s'acheter. Maintenant la bague devait être entre deux lattes de la cloison ou dans un sac de riz ou dans le matelas ou bien attachée par une ficelle autour de son cou ; çà avait éclaté lorsque Suzanne était sorti de table, la mère s'est jetée sur elle et elle l'avait frappée avec ses poings de toute ce qui lui restait de force, Joseph n'avait pas protesté et l'avait laissée battre; dis le moi et je te laisserai : je n'ai pas coucher avec lui , Suzanne ne faisait plus que se protéger dis le moi répétait t'elle , Suzanne ne répondit plus . A l'heure habituelle , M. Jo déboucha du pont, assis à l'arrière de sa magnifique limousine, Suzanne se tenait debout devant lui, il lui prit la main et l'embrassa elle retira sa main de celle de M. Jo . Je suis venue vous dire de ne plus venir me voir , faut plus venir du tout, il paraissait mal entendre , qui à décidé çà , c'est elle ? votre mère ? C'est elle et Joseph est d'accord, vous ne leur plaisez pas et aussi à cause de la bague. Puisque je je vous l'ai donné, comme ça pour rien . C'est difficile à expliquer , faut que vous partiez. Vous êtes profondément immoraux dit M. Jo, on est comme çà . L'hôtel central où descendirent la mère , Suzanne et Joseph se trouvait au premier étage d'un immeuble en demi cercle qui donnait d'une part sur le fleuve et d'autre part sur la ligne de tramway de ceinture et dont le rez de chaussée était occupé par des restaurants, des fumeries d'opium et des épiceries chinoises. Cet hôtel était tenu par Carmen une fille de trente cinq ans , une brave fille pleine de respect . La mère demanda de l'aider à vendre le diamant de M. Jo . Dès le lendemain elle en avait parler à quelques uns , de plus elle mit dans le bureau de l'hôtel bien en vue, accroché par une pancarte suivante : A vendre magnifique diamant, occasion exceptionnelle s'adresser au bureau de l'hôtel . Elle conseilla à la mère d'essayer de son côté de le vendre soit à une bijouterie, soit à un diamantaire. Au bout de trois jours , toute cette stratégie n'avait donné aucun résultat . Le premier diamantaire auquel elle le proposa en offrit dix milles francs, et lui annonça que le diamant avait un grave défaut, " un crapaud" qui en diminuait considérablement la valeur. Joseph rentra encore chaque soir chez Carmen et chaque matin, la mère l'apercevait encore . Mais bientôt , Joseph ne rentra plus du tout, il disparut complètement, il avait réussi à vendre quelques peaux fraîchement tannées à quelques clients de passages à l'hôtel . Carmen s'est occupée de Suzanne, elle la coiffa, l'habilla, lui donna de l'argent, elle lui conseilla de se promener dans la ville en lui recommandant toutefois de ne pas se laisser faire par le premier venu. Suzanne s'appliquait à marcher avec naturel, on la regardait , on se retournait, on souriait , aucune jeune fille blanche de son âge ne marchait seule dans les rues de haut quartier, elles marchaient en groupe, elles étaient toutes environnés du parfum des cigarettes américaines, des odeurs fraîches , de l'argent . Elle trouvait toutes ces femmes belles, surtout elles marchaient comme des reines, parlaient, riaient. Elle ne trouva pas Joseph, mais tout à coup une entrée de cinéma, un cinéma pour s'y cacher. Un après-midi, comme elle sortait de l'hôtel Central, elle trouva la limousine arrêté , M. Jo alla vers elle , lui dit bonjour d'un ton triomphant je vous ai trouvée. on est venu vendre votre bague dit Suzanne ça sert à rien . je m'en fou dit M. Jo ou allez vous comme çà, je vais au cinéma. Si vous voulez je vous accompagne, ils y allèrent , de temps en temps il lui prenait la main, la serrait , se penchait pour l'embrasser, je t'aime lui dit il tout bas , une fois dehors seulement elle lui dit : Je ne peux pas, c'est pas la peine avec vous je ne pourrais jamais. Il ne répondit pas, c'est ainsi qu'il disparut de sa vie. Mais personne n'en sut rien, même pas Carmen, sauf la mère, mais beaucoup plus tard .Joseph se manifesta car il avait trouvé la personne qui devait acheté le diamant. Suzanne trouva la mère devant sa chambre , elle avait dans sa main une liasse de billets de mille francs; c'est Joseph annonça t'elle triomphalement Vingt milles francs ce que j'en voulais . Lorsqu'elle furent seules , Carmen apprit à Suzanne que c'était la femme qu'il avait rencontrée que Joseph avait vendu le diamant. Le lendemain la mère courut à la banque payer une partie de ces dettes , au bout de quelques jours ils ne restaient que très peu d'argent .Joseph revint un matin vers six heures et ils partirent à la plaine . Après leur retour le caporal qu'avait engagé la mère il y a déjà six ans n'avait plus rien à faire . La mère abandonna ses bananiers et elle ne planta plus rien, ils étaient devenu tous paresseux et parfois dormaient jusqu'à midi . Pendant les huit jours qui avaient suivi leur retour Joseph était fatigué et triste; il ne se levait que pour les repas, il ne se lavait guère. Un des projets les plus constants de la mère avait été de pouvoir un jour faire remplacer la toiture de chaume du bungalow par une toiture en tuiles, une de ses craintes que les vers se mettent au chaume avant qu'elle ait assez d'argent pour le faire remplacer et ses craintes se réalisèrent, lentement , régulièrement, ils commencèrent à tomber du toit, ils crissaient sous les pieds nus, tombaient dans les jarres, sur les meubles, dans les plats, dans les cheveux . Cependant ni Joseph , ni Suzanne, ni même la mère n'y firent la moindre allusion ; il n'y a que le caporal qui s'en émut, il se mit à balayer toute la journée durant, les planchers du bungalow. Il était huit heure du soir un long coup de klaxon se fit entendre sur la piste du côté du pont. Joseph fit un bond comme s'il venait de recevoir une décharge . Joseph partit un long moment, puis il revint s'arrêta devant la mère et la regarda, je m'en vais pour quelques jours je ne peux pas faire autrement, merde dit Joseph je te jure , je reviendrai, je laisse tout, même mes fusils, elles étaient sûres qu'il partait pour toujours ; seul lui en doutait encore. Il se passa ainsi trois semaines, pendant lesquelles rien n'arriva, ni une lettre de Joseph , ni une lettre de la banque, ni même un avertissement du cadastre. Suzanne attendait sur le pont , un matin elle vit arriver le fils d'Agosti , ta mère m'a envoyer un mot par le caporal elle a un service à me demander, elle voulait qu'il vende le diamant à M. Bart. Il revint quelques jours plus tard, il avait vendu le diamant à M. Bart Onze mille, j'ai l'argent dans ma poche. Qu'est ce que vous allez faire maintenant ? Je ne sais pas peut-être partir . Alors qu'il l'embrassait, elle fut dès lors entre ses mains, à flot avec le monde, et le laissa faire comme il voulait, comme il fallait. La mère eut sa dernière crise un après-midi en l'absence de Suzanne, Agosti était revenu le lendemain, la mère le savait, elle lui avait dit qu'elle pouvait se passer d'elle, qu'elle prendrait ses pilules toute seule. Suzanne pénétra dans la chambre le cercueil était posé sur quatre chaises ; Joseph portait un pantalon long, de beaux souliers en cuir roux et ses cheveux étaient coupés très courts, il était soigné et élégant .On va partir, dit Joseph; ça n'a pas d'importance qu'elle soit avec moi ou un autre, pour le moment, dit brusquement Agosti. Je crois que ça n'a pas tellement d'importance, dit Joseph, elle n'a qu'à décider. Je pars, lui dit Suzanne, je ne peux pas faire autrement. Joseph se leva et les autres firent de même. La femme mit la voiture en marche et Agosti et Joseph chargèrent le cercueil. La nuit était tout à fait venue. Les paysans étaient toujours là attendant qu'ils s'en aille pour s'en aller à leur tour. Mais les enfants étaient partis en même temps que le soleil.
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