dimanche 1 juin 2025

Olivier De Robert La Dernière Danse De l'Ours



En arrivant sur l'estive de l'Oule, Ferrasse avait senti l'odeur écœurante de la pourriture ; au premier coup d'œil  il avait vaguement espérer se tromper, il avait alors plissé  les yeux  encore plus qu'à l'accoutumée pour filtrer la réalité et s'offrir un instant de paix supplémentaire. La brebis vivait encore, immobile, elle laissait échapper un faible bêlement, pas une plainte  juste quelque chose qui ressemblait à de l'incompréhension de rester coincer entre deux rives. Il jura, mais à voix douce, en rage caressante pour maudire la mort et consoler la bête, souleva sa tête  avec un geste tendre et contempla, hagard la tripe nue qui convoitait le soleil. C'était la Rousse, celle qu'il avait élevée au biberon et qui depuis lui collait au train en menant le reste du troupeau. Ferrasse regarda autour de lui, comme pour chercher une aide, un miracle, il n'y vit que les montagnes et l'aridité de sa solitude. Alors, sans cesser de traiter la mort de vieille putain, il tira son couteau, l'ouvrit d'une secousse , le porta à la gorge de la Rousse la plainte cessa; alors il retira la lame ensanglantée et se retourna vivement pour vomir, en s'essuyant la bouche, il vit les autres, toutes les autres éventrées, fracassées, massacrées, l'affaire n'était pas longue à comprendre, affolé par l'attaque d'un prédateur, le troupeau avait foncé sur un pic et les bêtes en panique étaient allées s'abîmer vingt mètres en dessous; puis le tueur avait paisiblement fait le tour par les ressauts herbeux, en avait étripé quelques unes  et s'en était allé en laissant le surplus du festin. Eventrée, la Rousse avait attendu la libération de la mort ou la caresse du berger, les deux étaient arrivées en même temps. Alors peu à peu, un seul mot enchâssé dans les jurons, chassant les chiffres , comme le battant de la cloche sonnant le glas de la détresse: l'ours, l'ours, l'ours , la bouche amère , aux portes de Sarradeil, l'évidence  était venue, claire, limpide, glacée : " Qu'il crève!" Depuis la tuerie du vallon de l'Oule, au Café de la Paix, on ne parlait que de guerre, et Germain  le maire cherchait à calmer la colère, celle qui prend naissance dans la peur; chaque jour à l'heure de l'apéro, en bout de zinc, bien en vue, il brandissait des articles  de journaux ou des courriers de la préfecture en disant:" On ne va pas se laisser faire!" souffles suspendus, on attendait qu'il en dise plus : "La préfecture a pris conscience du problème ...donc ils vont envoyer quelqu'un pour repérer la bête et prendre les dispositions nécessaires pour nous en débarrasser ! Mais quelqu'un qui ? Un flic ! A l'exclamation stupéfaite de l'assistance; il étendit les mains pour l'apaiser puis, prenant un air vaguement conspirateur, précisa : Un fonctionnaire de l'Office français de la biodiversité précisa- t'il pompeusement, un policier donc, un flic des petites fleurs et des blaireaux, mais un flic quand même," que voulez vous de toute façon, il faudra en passé par là pour se débarrasser de cette foutue bête ! "Deux mois à peine après l'attaque du troupeau de Ferrasse , le flic était arrivé à Sarradeil; personne ne l'avait vu approcher, parce que le taxi l'avait laissé avant le dernier virage et qu'il avait fini à pied. A vrai dire, personne ne s'était préparé à ça ni de près ni de loin. Du porteur d'uniforme il pouvait en venir autant que de cèpes en automne, en estafette, en moto ou même à pied . Des bleus  de la gendarmerie, des verts comme ceux des forêts ou des gris comme celui là, même en civil si ça leur chantait; on savait y faire depuis longtemps dans la haute vallée et on connaissait les règles de l'accueil  qui donnaient envie de repartir s'en faire de vagues. Mais ce que Sarradeil n'avait absolument pas prévu, c'était que le flic en question , celui qui viendrait d'au-delà  du pont de l'Artiguas  pour mettre la main sur le vieil ennemi, sur le tueur des estives, que ce flic là serait une femme. C'en était pourtant une, sans ambiguïté, une femme flic, comme le précisait l'écusson tricolore. Le silence disait maintenant la détresse qui ressassaient depuis deux mois la phrase définitive et assassine qu'ils comptaient servir à l'intrus en guise de bonjour. Elle n'en fut pas surprise, c'était même pour çà qu'elle était venue en tenu. La Corse, la Guyane ou les monts d'Arrée l'avait assez bien préparée aux Pyrénées . Quitte à se faire détester autant ne pas tourner autour du pot et jouer cartes sur table. Elle traversa s'en hâte, cette marée d'hommes , s'épargna une salutation à la cantonade et vint tout droit au bar; elle demanda une bière, Emma l'a servit , la policière but paisiblement s'en aucun mot ne s'échappe des cachots de méfiance où ils s'étaient enfermés. Puisqu'elle aimait le silence et que la bière était fraîche, elle en demanda une deuxième; alors seulement Emma la regarda tout entière, elle devait faire son mètre soixante dix, bien campée sur des jambes solides, des cheveux bruns et libres jusqu'aux épaules, un assez beau visage et des yeux verts. Ce ne fut d'abord qu'un brouhaha puis il y eut çà et là quelques mots clairs..." Il était temps quand même! ils n'avaient qu'à le lâcher au bois de Boulogne! "A vrai dire la policière n'écoutait pas, elle buvait lentement sa bière, ce genre d'accueil, c'était de la routine, puis ce n'était pas pour les hommes qu'elle était venue, c'était pour l' ours . Si elle avait pu choisir , elle aurait été un animal sauvage libre, elle avait senti cette évidence dès son premier affût, elle avait treize ans, un renard et elle s'était longuement observé, parfaitement immobiles, elle avait espérer un dialogue avec la bête, mais au premier mot l'animal avait fui. Ce fut une leçon: le monde sauvage était sans paroles, depuis elle était devenue une redoutable coureuse des bois, dormant dans des tanières et buvant au creux des sources. Mais c'est en renonçant aux gestes et aux verbes inutiles qu'elle avait véritablement trouvé sa part de nature. Elle y avait gagné une réputation de taciturne à l'œil sévère, grande connaisseuse des peuples des forêts. Sans l'avoir vraiment cherché, d'une opportunité à l'autre , elle s'était retrouvée à l'Office français de la biodiversité, flic en somme ; mais flic de la nature. Dans son service, on avait vite compris que ses talents pouvaient mieux être utilisés qu'à verbalisés les tireurs de perdreaux , elle était devenue une experte incontournable de la grande faune sauvage, capable de débusquer les plus discrets des loups du Mercantour ou de suivre à la trace un lynx sans que ce dernier n'en sache rien. Voilà pourquoi elle était là, à boire une bière au Café de la Paix de Sarradeil : pour savoir ou se planquait un ours multirécidiviste l'animal rôdait dans la vallée, mais personne n'était fichu de le retrouver. il restait une gorgée de bière au fond du verre quand une phrase dépassa toutes les autres; " Moi si je le vois, je le bute ! " C'est là qu'elle avait posé son verre d'un geste un peu brusque et que, du coup le silence était revenu. Elle avait alors dit, fermement, clairement s'en se retourner Chiche!  Elle à dit Chiche! elle nous a provoqués! C'était Faurassin, l'adjoint à l'assainissement qui avait résumé le problème à sa manière. Putain Germain je suis sûr qu'elle est pour ! çà va aller pour une fois que la préfecture nous à pas roulés dans la farine; la fille est là pour faire capturer l'ours, une fois qu'elle l'aura repéré, des types du gouvernement, l'endormirons et l'embarquerons. Le vieux Vineaux balança, goguenard " T'as qu'à croire !Une bonne femme pour choper l'ours...Et mes brebis , brailla t-il est ce qu'il les a endormies avant de les tuer ? Putain il les a éventrées ,Germain n'aimait pas la tournure que prenaient les choses notamment depuis que Ferrasse avait perdu son troupeau. Avant quand les prédations touchaient une vallée ou l'autre, on y faisait: portés par les manifestations des éleveurs, des élus étaient reçu à la préfecture et en revenaient avec quelques promesses et un dossier d'indemnisation. Mais il y avait eu le carnage sur l'estive de l'Oule  et la presse régionale et nationale s'était jeter sur cet os à ronger. Toutes les caméras s'étaient tournées vers le berger pleurant ses bêtes et maintenant il semblait bien que la tête lui tournait. Le vieux Frayche du Roumegou dit : "Et s'il l'enlève , on n'aura plus d'indemnisations ! Tout le monde regarda ses godasses, au fond d'eux, tous savaient bien que l'ours avait bon dos et qu'avant lui, on avait eu aussi des bêtes mortes : les chiens, les orages et la malchance prenaient leurs parts chaque année. En ce temps là il fallait se débrouiller, tenter le coup sur les assurances et le plus souvent se serrer la ceinture. Puis l'ours était venu et on leur avait annoncer qu'on paierait les dégâts. C'était vrai en cas d'attaque , des techniciens du gouvernement venaient , observaient, faisaient des relevés décidaient si oui ou non l'ours était dans le coup et allongeaient des sous sans trop faire d'histoires . Ca payait plutôt bien la misère. Les premiers jours, la garde était partie avant l'aube et n'était revenue qu'à la nuit toute crottée de montagne glaiseuse . Mais après une semaine de course harassantes , elle avait été obligée d'admettre  que la partie serait rude. Taillé à la perpendiculaire de la vallée principale et bien en dessous du village qui s'accrochait au versant ensoleillé, le ravin de l'Astériale , un torrent tumultueux avait terminé le travail et y coulait encore, étranglés par deux versants boisés que la pente rendait peu à peu inaccessible ; c'était pourtant là que quelques anciens à l'âme folle avaient taillé un chemin pour aller domestiquer le cours d'eau et y placer un moulin, trois maisons s'y étaient ajoutées au cours des siècles et cela avait donné un vague hameau où vivaient de nombreux fantômes, une colonie de chauve-souris, douze brebis et une vieille femme. La Vieille de l'Astériale était toujours vêtue de noir ; elle et son hameau vieillissaient ensemble à l'abri du monde. Cà et là , entre fougères et ronces, on devinait de puissantes lauzes qu'avaient du faire le pavage aux temps heureux du moulin mais la plupart du temps une boue collante y attendait le pèlerin égaré; on y allait ainsi , un peu à l'aveugle s'attendant à chaque pas à repartir en arrière. Pourtant, tout d'un coup, sans crier gare, il échappait à la forêt et débouchait sur un pré parfaitement entretenu par les brebis de la Vieille . Si les bêtes s'y trouvaient placides et broutantes, nulle barrière pour les contraindre : l'ancêtre était là et son chien veillait, elle ne fit aucun bruit, et une fois à la lisière ne bougea pas d'un cil, mais pourtant le chien la repéra, et gronda . Asha fit un pas de plus pour se mettre dans la lumière et salua de la main, la Vieille ne releva pas la tête et continua la mécanique bien huilée de son tricotage. elle dit simplement : Couche toi ! Et le chien fut renard tapi dans l'herbe , immobile, l'œil fixe et les oreilles dressées. "Je suis désolée de vous déranger, c'était des mots de convenance, clairement posés là pour entrer en contact. Alors seulement la Vieille releva la tête, regarda longuement la nouvelle venue, jaugea l'allure et l'uniforme , puis laissa tomber paisible : Il n'y a pas de dérangement" " Je suis envoyé par le gouvernement pour essayer de localiser l'ours qui à fait une attaque sur l'estive de l'Oule; elle est grande la vallée, elle est belle surtout ici j'aime beaucoup. La Vieille tira sur un brin de laine revêche et troubla à son tour le silence; votre gouvernement il lui veut quoi à l'ours ? Le gouvernement ne veut pas qu'il soit tué . Viens fille assied toi. Alors l'ancêtre parla . Autrefois il y avait des ours ici du temps de mon père , de mes vingt ans, pas beaucoup ces bêtes là, il leur faut de la place et ça n'aime pas vivre en groupe; ça vit seul, ça traîne, ça rôde, ça ne fait rien de bon; avec ses grosses pattes il chaparde les fruits des vergers, le nid des ruches et parfois les brebis. Les hommes n'aiment pas l'ours, ils n'en veulent pas, ils n'en ont jamais voulu , voilà ce qui te faut dire  à ton gouvernement, ma fille et leur dire qu'il à du partir bien loin, ça marche ces bêtes là ! Et vous ?vous l'aimez ?L'ours ne mange pas mes brebis, alors je n'ai rien contre lui .Alors oui autrefois on disait qu'une femme avait aimé un ours , et que de cet ours elle avait eu un fils ,elle lui raconta  le périple de Jean de l'Ours. Mais finalement ce conte sans âge affirmait tranquillement que les hommes de la montagne reconnaissaient l'ours comme un ancêtre, leur vieux père sauvage. C'est un sauvage, eux qui ont mis tant de siècle à être des hommes, ils ne veulent pas de ce père là, ils craignent pour leurs femmes, voilà je te l'ai dit! Cet ours a pris une femme, il peut en prendre d'autres et ils le savent; elle rangea prestement son tricot, se leva épousseta sa robe et saisit son bâton. "S'il est allé à l'Oule, tu le trouvera là haut, où alors il sera parti de l'autre côté des montagnes; mais pas à l'Astériale çà non !" cette fois elle avait crié comme pour insulter le ciel, elle était déjà loin, dos voûté ,pied sûr. Elle eut un coup au coeur, une excitation de prédateur, puis rapidement observa les alentours, pas de trace nette au sol , mais bien assez d'indice pour être certaine que la bête était venue; au-delà, la piste filait tout droit dans la pente, vers l'Astériale nota t'-elle mentalement; comment avait elle louper ces indices à l'aller, où justement elle regardait avec attention, l'ours était passé entre temps , elle eut un frisson délicieux et murmura pour elle " Je te tiens vieux père" le jour s'en allait il allait faire sombre dans ce vallon encaissé, elle retourna au bord du chemin, préleva les poils coincés dans l'arbre puis remonta d'un pas rapide vers Sarradeil. "Je l'ai vu !" Tous avaient lâché leur verre, "Mais enfin Lajacques ! tu ne l'as jamais vu l'ours comment peux tu être sûr que c'est lui ! Je l'ai vu avec mes yeux et puis je l'ai vu avec ma peur ! C''était où petit, c'était où ? Je suis allé à l'Astériale, bon enfin, j'y suis allé pas par le chemin, je suis arrivé dans la ravine au-dessus du moulin, et puis là j'ai vu la Vieille , elle était seule , il n'y avait même pas son chien, appuyée sur son bâton comme si elle attendait quelqu'un. Il est arrivé du côté des rochers, il a flairé l'air et il a regardé la Vieille en roulant des épaules, la Vieille a commencé à lui parler, sans crier tranquillement, puis elle chantait, alors il a commencé à se balancer des épaules, il balançait aussi la tête en avant et à pousser des grognements et comme la Vieille s'approchait, il s'est levé sur ses pattes de derrières et là il a commencé à danser. Silence absolu dans le café, yeux ronds, bouches ouvertes, alors tous le crurent et l'un murmura blême: " Comme les montreurs d'ours ..." Tous à un moment où a un autre par leurs chemins secrets, ils étaient allés consulter la Vieille, tous à un mauvais tournant de leur vie, l'avait suppliée de leur donné une tisane , une formule à répéter, tous y était allés leurs nuits de lune noire et tous au soleil de la bienpensante , la traitaient de sorcière  et de folle , tous, mais voilà qu'elle faisait danser l'ours ! Comment oser le tuer, si elle dansait avec lui . J'irai moi ! Ferrasse était debout, ce fut soudain la course folle éperdue  , tous les guerriers de Sarradeil cavalaient derrière Ferrasse  pour l'empêcher de faire l'irréparable. "Asha vite "dit Emma en quelques mots désordonnés , le souffle court , elle lui fit le récit de Lajacques, "calme toi c'est parfaitement impossible, je connais assez les ours pour te dire que jamais l'un deux, je veux dire à l'état sauvage, n'ira s'approcher d'un humain qui lui pousserait la chansonnette."  "Tu connais les animaux, mais moi je connais mes hommes et là je peux t'assurer que Lajacques n'a pas menti." Asha courut à perdre haleine sur la terre détrempée à l'Astériale "Entre fille il y a du feu, elle lui dit que les hommes montaient pour tuer l'ours ; alors si tout le monde veut qu'il disparaisse, il vaut mieux que ce soit avec moi. tout tournait autour d'Asha, elle était absolument incapable de se lever, sa voix était terriblement faible. "Comment? Mais de quoi parlez vous ?et pourquoi je me sens comme ça ? Que m'avez vous fait ?" La vieille souriait avec douceur, "j'ai pris ta main voilà tout. Je vais l'inviter  à une dernière danse." Avant que  le chemin  ne descende plus franchement Lajacques se figea comme un chien d'arrêt, il viendra de là , on le verra ; c'était un éperon rocheux qui s'avançait dans le vallon comme une proue de navire. Et là , groupés, serrés, blottis les uns contre les autres, ils virent : pas un n'aurait su dire comment elle était vêtu, ses cheveux gris étaient libres et le vent y dessinait des arabesques étranges, elle regarda vers eux et instinctivement ils se tassèrent sur la roche . Ce fut d'abord un frémissement de branches basses, puis une coulée discrète dans les genêts et enfin une masse sombre, il resta là immobile presque imperceptible dans le paysage . Tous deux partagèrent le bruissant silence de la montagne, comme s'il  fallait que chacun se fasse à la présence de l'autre, puis elle se mit à lui parler, les hommes écoutèrent de toutes leurs forces, mais il n'y eu que le vent, le ciel et l'ours qui surent ce qu'elle disait. Et lentement , très lentement, roulant de ses énormes épaules, avançait le museau, flairant, grognant, il vint à elle sans qu'elle ne cesse de lui parler. C'est là qu'elle se mit à chanter, la bête secoua deux ou trois fois la tête et les épaules , puis leva ses pattes arrières ; sans hâte, sans cesser de chanter , elle porta les mains à son corsage et en tira un objet : C'était un large poignard, elle le serra contre sa poitrine pointe en avant, puis en chantant plus fort encore, sa voix allait dans les aigus furieux, elle s'en fut en deux pas vifs se blottir contre lui. Alors le vieux roi resserra ses lourdes pattes sur elle et vint s'empaler  dans la lame au plus profond de leur chant commun . D'un même mouvement, ils s'affaissèrent sur l'herbe et leurs corps n'en firent qu'un . Elle l'a planté, elle a tué l'ours ! on ne pourrait mieux dire .De ses bras maigres la Vieille avait ouvert le coeur de l'ours, lui de ses pattes puissantes, l'avait entraînée dans la mort en la broyant toute entière. Germain observa le visage de la Vieille, ses yeux étaient fermés, elle souriait il lui sembla que l'ours aussi et il en fut profondément troublé.

samedi 3 mai 2025

Sa Majesté Des Chats Bernard Werber


 



Avant de vous narrer en détail les surprenants évènements qui se sont déroulés, je dois vous expliquer qui je suis vraiment. Tout d'abord de mon apparence : de l'extérieur, je ressemble à une chatte de trois ans à long poils; passons à la personnalité, je parlerai d'abord de mes défauts j'en ai quelque uns; je suis trop perfectionniste et probablement parce que je ne supporte pas ce qui est médiocre. je suis aussi maniaque de la propreté, je peux rester des heures à me lécher pour nettoyer le moindre poil de ma fourrure et je méprise tous ceux qui sont sales ou même simplement négligés. je peux également me montrer violente, et il m'est arrivé de balafrer des individus qui me manquaient de respect. je suis parfois cruelle je joue souvent avec des mulots, je les éventre , je les entortille sur ma patte sans pour autant les manger. Bien sûr à côté de ces "légers défauts" j'ai des qualités qui les compensent largement. Ces mêmes mulots que j'ai un peu abîmés je vais les offrir alors qu'ils sont délicieusement tièdes et palpitants et je n'attends rien en retour. Je suis rapide aussi je parviens à attraper des mouches en plein vol, je suis souple, je peux placer ma patte au-dessus de mon oreille pour me lécher le fondement. J'ai une sexualité épanouie, je peux faire l'amour des nuits entières avec un grand nombre de partenaires successifs sans me lasser, alors je hurle de toutes mes cordes vocales, au point que les mâles et femelles vivant alentour sont mis au courant que je suis contente ce qui les rend encore  plus jaloux. Je n'aime pas la pluie, je déteste avoir le poil mouillé, je n'aime pas qu'on me dise ce que j'ai à faire, je suis très indépendante, d'ailleurs inapprivoisable; ni maître, ni conjoint, quand je n'aime pas quelqu'un j'urine sur l'endroit où il dort. Voilà, je suis ainsi, mais la chose dont je suis certaine, c'est que je m'aime moi même. A mon avis s'aimer ce n'est pas de l'égoïsme, c'est la plus élémentaire sagesse. Ah oui, j'ai peut-être oublié de vous le préciser: j'ai un projet très personnel, un projet grandiose, il peut se résumer en une phrase: " Faire Communiquer Entre Elles Toutes les Espèces "Au départ j'étais comme beaucoup d'entre vous , une chatte tranquille qui vivait dans son appartement dans un monde tranquille. Ma servante s'appelle Nathalie, je vous l'ai pas encore précisé ma servante est une humaine. Vous connaissez les humains ? Allons vous savez bien : Ces bipèdes sans fourrure avec une simple touffe au sommet du crâne. Ma servante à les yeux verts comme moi, mais légèrement foncés, une longue crinière noire luisante le plus souvent retenue par un ruban rouge, ses griffes sont peinte en rouge, ses lèvres recouvertes de graisse luisante, les pauvres ils sont si peu gâtés par leur physionomie, ils ne sont pas beaux et avouons le franchement ils dégagent une odeur spéciale. Ils n'ont pas de longue queue pour équilibrer leur marche, ils ne voient pas dans la nuit, ils n'ont même pas d'oreilles orientables ni de vibrisses pour détecter les volumes des espaces, ni de griffes rétractables. Dans l'obscurité presque tous ont peur, et quand ils marchent sur leur pattes arrières, on sent qu'ils manquent de souplesse et de stabilité. Quand à leur sexualité... Ah la sexualité des humains est vraiment ridicule. 
Nathalie a peu de rapport et quand cela arrive, c'est en général d'une manière un peu retenue. Les humains ont forcément des qualités qui nous échappent. Il ne faut pas oublier que ce sont eux qui ont construit ces grandes maisons hautes et solides à la température tiède alimenter en eau potable et ils nous approvisionnent en nourriture rien que pour ça, ils méritent toute notre estime. Je ne sais pas vous , mais moi je n'aime pas les rats, leur agressivité, leur rapidité d'adaptation et leur fécondité leur donnent un avantage sur la plupart des autres espèces, sans parler de leurs longues incisives capable de trancher du bois 
Au début, ces rongeurs se cachaient, mais je percevais  qu'ils grouillaient dans les sous-sols de la ville. Grâce aux égouts et au tunnel du métro, ils pouvaient s'infiltrer dans n'importe quelle zone de cité , progressivement  les rats n'ont plus eu peur de circuler en surface. Depuis le balcon de mon appartement, j'ai repéré un voisin chat, un siamois , poil argenté, yeux bleus, nous nous sommes rapprochés l'un de l'autre, nous avons parlé, il m'a révélé son nom Pythagore et il m'a montré son extraordinaire particularité : un trou dans son front juste au-dessus des yeux ; il appelait cela son Troisième Œil . Il m'a expliqué que c'était en fait une prise électronique USB que les humains lui avaient implanté dans le crâne, qui lui permettait de connecter son cerveau sur un ordinateur  et ainsi aller sur internet, l'endroit où les humains stockaient leurs informations. Il m'a raconté en détail son histoire. Pythagore avait grandi dans un laboratoire, les humains se servaient de lui pour faire des expériences scientifiques afin de comprendre les phénomènes d'addiction. les autres chats soumis à la même  expérience que lui étaient devenus fous; Pythagore avait survécu . Alors sa servante humaine, une vieille scientifique prénommée Sophie avait fini par s'attacher à lui et l'avait installé chez elle. Pythagore était très intelligent mais en plus grâce à son Troisième Œil , il avait accès à toutes les connaissances des humains dans tous les domaines , il m'a enseigné énormément de choses. Pythagore m'a fait prendre conscience de l'énorme menace que constituaient ces rats rongeurs : Ils profitaient de la désagrégation de la civilisation humaine pour se poser en successeurs sociaux omnivores adaptatifs et très rapidement évolutifs. Si on faisait rien les rats règneraient sur le monde des humains mais aussi par celui des chats. L'appartement de Nathalie à été attaqué par une bande d'humains brutaux, durant l'attaque  Angelo mon fils a pu fuir par miracle ; alors Pythagore et moi avons décider de filer pour le chercher vers l'ouest , où un chat nous avait indiqué qu'il s'était dirigé. Ensemble nous avons fini par arrivé au bois de Boulogne, j'ai retrouvé mon chaton Angelo, ainsi qu'une centaine de chats qui eux fuyaient les rats. Parmi la communauté des chats de la forêt, il y avait un chat géant échappé d'un cirque; Pythagore m'a signalé que ce spécimen était un représentant d'une espèce de chat très rare: les "lions" il s'appelait Hannibal et puis nous avons rencontré Wolfgang un chartreux à la fourrure gris bleu. Sur son initiative, nous avons formé avec ses survivants une meute désireuse de résister à la prolifération des rats. Le lion était évidement notre arme la plus redoutable. Nous avons rencontrer une humaine étonnante Patricia, qui avait la particularité de pouvoir communiquer avec moi par l'esprit; elle se disait chamane ( ce qui chez les humains signifie qu'on est capable d'établir une communication d'esprit à esprit avec des animaux ) Avec quelques jeune humains amis de Nathalie, nous avons ensuite chercher un endroit qui puisse nous servir de sanctuaire pour nous protéger efficacement des rats. C'était une minuscule île tout en longueur, une bande de terre placée au centre du fleuve de Paris que les humains appellent la Seine. Cependant l'île aux Cygnes a été attaquée simultanément sur toutes les berges, les rats contrairement à nous savent parfaitement nager, la bataille fut épique. Nous avons répandu une nappe d'essence à la surface du fleuve à laquelle nous avons mis le feu, ils ont flambé avant d'atteindre nos rivages. Ainsi moi , mon fils  Angelo, mon mâle Pythagore, ma servante Nathalie, la chamane Patricia, le lion Hannibal , Esméralda et Wolfgong  ont p être tranquille sur l'île aux Cygnes. Voila six mois ont passé et tout semble maintenant aller pour le mieux . Cependant malgré la victoire Pythagore est le seul à ne pas partager notre enthousiasme . J'ai une bonne et mauvaise nouvelle déclara t-il ; les rats risquent de revenir en plus grand nombre et cette fois ci nous envahir. Alors tu propose quoi ? Je suis le seul chat qui ai eu accès à Internet et qui ai compris notre histoire. Si je venais à mourir dans une nouvelle attaque, j'ai bien peur que ces informations soient oubliées, il faut laisser une trace. J'ai trouvé sur internet une idée venue d'un humain( un certain professeur Edmond Wells) qui consiste à mémoriser un maximum de connaissances . Il nomme cela l' ESRA " Encyclopédie su Savoir Relatif et Absolu"  je pense qu'on pourrait à notre tour élaborer L'ESRAC une Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu des ... Chats. Mais comment vas tu faire pour conserver la trace de tout cela si tu ne sais ni lire ni écrire ? Grâce à mon branchement  à internet je peux accéder au mots et de placer une flèche qui me sert de souris ( non, pas celles auxquelles tu penses Bastet ) sur un clavier virtuel. J'arrive de cette façon à taper des lettres qui forment des mots qui eux mêmes composent des lignes puis des pages. Tu veux faire ça quand, Pythagore ? Tout de suite j'ai trop peur que cela disparaisse. Pythagore demande alors à ma servante Nathalie de lui fournir un ordinateur et un câble USB, il branche le câble USB sur son Troisième Œil et s'attelle à l'opération Tu commence par quoi ? Peut-être devrais je débuter par un rapide récapitulatif de la grande histoire des chats . Et il se met alors à évoquer notre extraordinaire passé. Histoire Des Chats et Des Hommes : Les premiers contacts, entre les hommes et les Chats remontent à 10000 ans au néolithique. A cette époque les humains cultivaient leurs premières récoltes, ce qui attira naturellement des souris et des rats désireux de les consommer. Humains et Chats s'allièrent donc instinctivement par intérêt commun. Pour les Egyptiens, les chats ( qu'ils appelaient " Miou "en référence à leur miaulement) étaient considérés comme l'incarnation de Bastet, la déesse au corps de femme et à la tête de chat. A leurs yeux les félins étaient sacrés ! Tuer un chat relevait du crime puni de la peine capitale. Lorsqu'en en - 525 avant J.C le roi perse Cambyse II voulut envahir l'Egypte , il découvrit la vénération de cette civilisation pour les chats et eut une l'idée d'attacher des chats vivants sur les boucliers de ses guerriers . De ce fait, les soldats égyptiens n'osèrent décocher  leurs flèches contre les félins et se laissèrent vaincre à la bataille de Péluse ( actuelle Sidi Bou Saïd ) A la suite de cette catastrophe, les Perses tuèrent les membres de l'Aristocratie égyptienne, détruisirent les temples et massacrèrent les chats. Les chats rescapés furent ensuite disséminés dans le monde par les navires des commerçants phéniciens et hébreux qui recouraient à leur qualité de chasseurs de rats pour protéger les provisions qu'ils avaient à bord ainsi que les cordages. Les chatons nés de ces voyages étaient vendus par les marins aux populations des ports; ils servaient de cadeaux pour séduire les femmes grecques au même titre que les friandises ou des fleurs. Ils étaient estimés par les paysans car ils les protégeaient contre les rongeurs qui sévissaient dans les silos à grains et ils furent aussi utilisés pour se prémunir contre les scorpions et les serpents. Passagers des caravanes de commerce, les chats furent introduit en Inde où ils furent vénérés à travers la déesse Sati femme à tête de chat, puis en Chine avec la déesse Li Shou . L'empereur de Corée en offrit aussi un à son homologue Japonais l'empereur Ichijo  pour ses treize ans ouvrant ce pays aux félidés où ils devinrent rapidement à la mode. Bien avant, les chats étaient arrivés en Gaule, en Germanie et en Angleterre avec les troupes des envahisseurs romains, car ils étaient très appréciés des légionnaires de César .Comme le nombre de chats domestiques  dans chaque contrée était réduit, leur consanguinité inévitable entraîna des mutations génétiques . Les hommes sélectionnèrent les particularités qui les intéressait, la forme ou la couleur du poil ou des yeux, par exemple et inventèrent les espèces locales: Le persan en Perse, l'Angora en Turquie , le siamois en Thaïlande. Ainsi commença , la première vague de dissémination féline sur la planète . Les chats et les humains ne ressentent pas les choses de la même manière. Par exemple pour ce qui est de la nourriture, le chat mange quand il a faim, tandis que l'humain mange quand c'est l'heure du petit déjeuner, du déjeuner ou du dîner ; de ce fait le chat peut faire dix repas par jour ou aucun . L'humain et le chat diffèrent aussi pour ce qui est de leurs horaires d'activités; l'humain est actif le jour et se repose la nuit tandis que le chat est actif quand il en a envie et se repose quand il est fatigué; tout cela conduit l'humain à être souvent malade, car il est mal nourri et fatigué, là ou le chat qui à pris l'habitude d'écouter ses vrais besoins, reste en phase avec son corps. Pour ce qui concerne l'ouïe, les humains ont un spectre sonore beaucoup plus réduit. Si le chat perçoit les ultrasons jusqu'à 50 000 hertz l'oreille humaine est limité à  20 000 hertz ; quant à l'odorat, le chat a une olfaction quarante fois plus développés  que celle de l'homme avec pas moins de 200 millions de terminaux olfactifs contre seulement 5 millions  chez l'homme. Pour ce qui est de la vision, les humains ont un champ  réduit à 180°  contre 280° pour le chat ; les humains n'ont pas, contrairement aux chats de troisième paupière ce que l'on appelle une " membrane nictitante" c'est à dire une fine peau  transparente partant du coin interne de l'œil  qui  permet de filtrer certains rayons du soleil et de ne pas être ébloui. Les chats sont doté de l'organe de Jacobson ,c'est un sens qui permet de goûter les odeurs en retroussant les babines pour permettre aux senteurs de remonter par deux conduits situés derrière  les incisives. les chats perçoivent aussi les infimes vibrations dans l'air, tandis que les humains n'ayant pas de vibrisses ne sont sensibles qu'aux sons et aux images; tout évènement silencieux qui se produit derrière eux est donc imperceptible pour eux contrairement aux félins. Le chat il a une grande capacité d'apprentissage, il sait vivre seul ou en groupe, il est curieux de tout ce qui est nouveau, il est joueur. Il a une activité onirique très riche qu'a inspiré les chercheurs pour comprendre les mécanismes du rêve. C'est un animal qui sait s'adapter  à toutes les situations nouvelles. Le chat sphynx  sont des animaux surprenants; par leur aspect  d'abord puisque leur absence de fourrure en fait des chats "nu" De plus, ils ne sont pas issus de croisements : leur peau dépourvu de poils n'est pas due à une mutation génétique où à une volonté humaine. Les sphynx ont toujours été ainsi , on en trouve même des représentations dans les gravures égyptiennes et aztèques datées d'il y a plus de 3000 ans . Mais la population de sphynx , avec le temps a tendu a se raréfier . Il est officiellement  réapparu à l'issue d'une portée venue du Canada qu'un éleveur français fit venir à Paris en 1983 ; il présenta cette race à l'exposition féline au pavillon Baltard et établi ainsi le standard de la race baptisée " Sphynx" La tête du sphynx est triangulaire, ses pommettes  sont saillantes, son crâne plat, ses oreilles très hautes et très larges, ses yeux ronds, il a un ventre rebondi, une queue fine que l'on compare souvent à une tentacule de pieuvre. Sa peau est beaucoup plus épaisse que celle des autres chats, ce qui donne au sphynx un toucher " peau de pêche" et il n'est pas rare que l'animal présente des plis; le sphynx transpire beaucoup de tout son corps, à la différence des autres chats qui ne transpirent que par les coussinets. Son absence  quasi totale de pilosité le rend sensible aux coups de soleil. Les sphynx n'aiment pas la solitude et sont beaucoup plus sociables que les autres chats. Dans un groupe composés de plusieurs espèces, les sphynx prennent souvent le leadership naturellement. Comme leur intelligence est supérieure; ils n'ont guère de difficultés à s'imposer. Les sphynx sont très affectueux avec les humains, alors que la plupart des chats se contentent de s'assoir sur les genoux des hommes, le sphynx aime venir sur leur épaules pour frotter sa tête ou même les lécher, les sphynx n'ont jamais de comportements agressifs  Et tandis que la plupart des chats se signalent par leur indépendance, les sphynx se révèlent d'une grande fidélité à des personnes précises. Autre particularité des sphynx: leur énorme appétit, en effet en l'absence  de fourrure protectrice, il leur faut beaucoup manger pour se réchauffer et stocker des calories surtout l'hiver. Dès qu'ils tombent d'une hauteur importante, en une fraction de seconde, les chats tendent instinctivement leurs membres avec l'amplitude la plus large possible; ils bénéficient ainsi d'une grande surface de portance qui ralentit leur chute pour que celle-ci ne dépasse pas les 100 kilomètres à l'heure; un peu à la manière des écureuils volants; tous leurs membres contribuent à les aider  dans leur chute. Leur queue leur permet de trouver le positionnement parfait durant la descente, leur oreille interne les informe de l'orientation que prend leur trajectoire, ce qui les fait se placer de manière optimale. Leurs vibrisses leur indiquent en permanence la distance qui les sépare du sol, à la fin la colonne vertébrale se contorsionne pour bien placer le bassin dans l'alignement de la tête, c'est le réflexe dit " d'équilibration" juste avant le contact avec le sol, ils tendent leurs pattes pour répartir la secousse harmonieusement entre les quatre membres; leur queue bascule en sens inverse pour servir de contre poids, pile au moment du choc, les membres fléchissent pour encaisser la secousse. Ainsi , les chats peuvent se tirer indemnes de chutes élevées, là où tous les autres mammifères se briseraient les os . Le mot " ronronthérapie " a été inventé par le vétérinaire toulousain Jean Yves Gauchet en 2002 ; il s'est aperçu que les vibrations des chats sur les basses fréquences de 20 à 50 hertz non seulement avaient un effet apaisant, mais accéléraient aussi la réparations des os brisés (les os se resoudent trois fois plus vite dans ces circonstances) des muscles déchirés et activeraient de manière significatives la cicatrisation . En effet, le ronronnement des chats induit chez l'homme la production de sérotonine, une hormone qui agit sur la qualité du sommeil et sur l'humeur. Jean Yves Gauchet a aussi découvert que le ronronnement des chats réduisaient la fatigue ou permettaient de mieux récupérer après un long voyage en avion . Selon ce chercheur les chats repèrent grâce à nos phéromones ( molécules odorantes diffusées entre autre par notre sueur) quand nous n'allons pas bien et ils ont spontanément envie de nous apporter du réconfort. Le ronronnement absorbe toutes nos énergies négatives et nous permet d'être de meilleure humeur. Le ronronnement entraîne la production d'endorphines cérébrales euphorisantes ( via les récepteurs appelés corpuscules de Pacini" mais agit aussi directement sur nos gènes par une action électromagnétique ( notamment en influant sur les gènes du cortisol, notre antidouleur naturel , et en augmentant la production de cellules souches régénérant les tissus) Actuellement, certains Kinésithérapeutes utilisent la ronronthérapie pour soigner les tendinites, les douleurs vertébrales et accélérer la cicatrisation osseuse. Les maisons de retraite mettent en place de plus en plus souvent des programmes de ronronthérapie. Selon Jean Yves Gauchet cette onde particulière produite par le larynx des chats permet aux personnes âgées qui commencent à avoir des problèmes mentaux de mieux se recentrer et d'organiser leur pensée.

samedi 15 février 2025

Ashrams Grands Maitres de l'Inde de Arnaud Desjardins





Qui de nous ne s'est pas au moins une fois , posé cette question,  en entendant parler de ces grands Sages de l'Inde ,dont un seul regard peut changer une vie et dont la présence surnaturelle serait le témoin vivant d'un autre monde que celui dans lequel nous vivons toute la journée?  Et si c'était vrai ? Devant le chaos qui règnent partout dans la société comme au-dedans de chacun de nous, devant l'échec de nos espérances que les journaux nous redisent chaque matin et que notre lassitude nous répète chaque soir , tous les jours de nouvelles voix s'élèvent pour crier l'absurde . Pourtant nous savons bien qu'à travers tous les siècles et toutes les civilisations dans toutes les religions et hors religion, des voix se sont élevées, prétendant montrer le chemin de la réponse à la question  de l'homme " Qui suis je"
Et aujourd'hui plusieurs affirment que l'Inde, au-delà de ce qui nous irrite ou nous fascine en elle , reste un des dépositaires d'une antique Sagesse. Des êtres, parfaits y vivent, qui connaissent " Cela dont la connaissance fait que nous connaissons tout le reste" et ils peuvent nous enseigner à partager cette connaissance et leurs expériences. Ainsi existe en nous un sentiment de l'infini, un Royaume qui nous attend. Et au-dehors de nous, de temps à autre; il nous semble reconnaître des signes, des messages de ce Royaume: un paysage, le sourire d'une statue, l'architecture d'un temple, la vibration d'une musique, une attitude dans une danse sacrée, la poésie d'une légende, la beauté d'un rite, une phrase de la Bible ou d'un Saint Hindou, tout à coup, nous sommes sûr qu'il existe réellement un monde du surnaturel et du miraculeux. L'Inde fabuleuse, mystérieuse et miséreuse pourquoi nous dit-on que tu détiens encore les clés de ce monde ? Pour le savoir , chaque année , de toutes les parties du globe, de nouveaux pèlerins prennent la route de l'Inde. Certains se retrouvent dans l'air conditionné du somptueux Ashoka hôtel de New Delhi ou du luxueux Taj à Bombay après quelques heures de jet; d'autres mettent plusieurs mois, à bicyclette, à travers les déserts de Turquie, D'Iran, d'Afghanistan et de la Khyber Pass pour atteindre Attari Border et Amritsar Certains repartent ou plutôt s'enfuient au bout de quelques jours meurtris, déçu et horrifiés. D'autres se retrouvent bientôt pieds nus, vêtus d'un dhotî ou d'un sari et ne reviennent jamais, enracinés pour toujours à Tiruvanamalaï ou à Almora . Outre les ashrams de la mission Ramakrishna et celui de de Pondichéry où enseigna Sri Aurobindo, les ashrams les plus célèbres et les plus visités sont aujourd'hui au nombre de quatre : celui ou vécut le plus vénéré de tous les Sages contemporains Bhagavan Sri Ramana Maharshi à Tiruvanamalaï ,dans le Sud, celui du Swami Sivananda Sarasvati à Rishikesh dans les Himalayas de Mangalore sur la côte Ouest  et celui ou plus exactement  ceux de la grande Sage et Sainte bengalie Sri Ma Ananadamayi . Pour nous étranger venus en Inde, la vie religieuse s'y présente en fait sous deux aspects extérieur celui que le touriste ne peut pas voir et un autre plus intérieur, cette vie profonde et véritable des Ashrams qui ne se livre qu'à celui prêt à y mettre le prix. Un prix qui peut prendre bien des formes, depuis les crampes dans les jambes croisées pendant trop d'heures d'affilées ou une nourriture trop épicée , jusqu'à une terrible déchirante chirurgie physique pour laquelle par définition même , il n'est pas question d'être endormi, puisque toute évolution spirituelle est avant tout une question d'éveil ....Car beaucoup d'Européens, non seulement informés par les films et les photos, mais ayant voyagé et même vécu en Inde , voient la vie religieuse comme un spectacle repoussant et merveilleux mais qui ne saurait nous toucher ou nous concerner : ascètes squelettiques aux tignasses pareilles à des toisons de laine, sadhous peinturlurés ou couvert de cendre, plus rébarbatifs qu'inspirants et foules grouillantes des lieux de pèlerinages: Bénarès , Maduraï plus rarement Brindavan, religion spectaculaire, folklorique excellente pour le Kodachrome loin , loin pensons nous très loin de nous et de nos problèmes . Mais il existe aussi les " Ashrams" et les grands " Gourous" ou Maître spirituels et c'est un aspect plus intérieur. Cette relation du Maître au disciple est un des trait les plus marquant de la vie spirituelle en Inde celui qui connaît le chemin de l'éveil et de la vie guide ceux qui veulent s'y engager à sa suite et travailler sous sa direction car l'enseignement du Maître n'est rien si le disciple n'accomplit pas sa part d'effort personnel pour se rendre disponible à l'énergie divine. Au terme de son ascèse , le disciple sera peut-être à son tour choisi comme Maître et, à son tour il guidera un autre disciple dans le chemin de l'éveil. C'est d'abord une personne qui viendra lui demander son engagement, puis dix, puis quinze, puis vingt, et c'est ainsi que naissent les ashrams. Les caractéristiques des ashrams hindous sont groupés autour des maîtres toujours vivants; il y règne une liberté qu'on ne trouverait pas dans nos monastères actuels et on y rencontre pèle mêle des hommes qui prient, des femmes qui bavardent, des enfants qui jouent, des vaches qui ruminent, des curieux qui visitent, des vieillards qui se préparent à la mort et des jeunes gens ou jeunes filles  admirables , dont le regard étincelant nous fait envie, cette coexistence permanente d'hommes et de femmes donne d'ailleurs, la règle de chasteté (brahmacharia) une exigence beaucoup plus grande que pour des religieux isolés du monde par la clôture. Le Christianisme  a aussi connu autrefois ce genre de collectivité et j'ai souvent pensé notamment auprès de Ma Ananadamayi parce qu'elle se déplace sans cesse, à l'atmosphère qui devait régner autour du Christ, un petit nombre d'intimes, les disciples les plus proches comme le furent les apôtres; et la multitudes, la foule qui se presse, qui se bouscule, surtout lors des grandes fêtes religieuses et que l'ashram réunit  d'immenses repas. Aucune monotonie , dans ces ashrams mais au contraire une vie infiniment variée: en dehors même des fêtes et festivals innombrables .Avant d'entreprendre son tour du monde en 1954 Ramdas écrivit à tous les grands saints de l'Inde et tous lui envoyèrent leur bénédiction . Une des plus actives disciples de Maharshi qui, à défaut d'être la mère de l'Ashram est une mère pour les visiteurs , et aussi une grande disciple de Ma Anandamayi  et à organisé non seulement le séjour de celle-ci à l'Ashram mais tout son voyage en Inde. Par rapport à la vie européenne , c'est vraiment un autre monde , un monde beaucoup plus différent du nôtre, un monde où tout ce fait nos intérêts, nos ambitions profanes n'a pas de place, un monde sans concurrence , sans publicité, sans asservissement à la mode et à l'opinion, un monde qui repose sur des fondements opposés à ceux de notre civilisation. Pour que nous puissions devenir la Vie et devenir la Joie, les Sages et les Ashrams nous appellent à l'éveil et à la connaissance de nous même. Qui suis je? Qu'est ce qui m'anime ? Ou vais je ?Aie je un but ?Quel sens à ma vie ? Le désir de vivre, l'aspiration au bonheur et la grande question sont les seules références qui ne nous seront jamais demandées pour pénétrer dans ces ashrams et les seuls bagages pour y séjourner . Tout le reste nous sera donné y compris l'esprit de sacrifice, la foi, l'espérance et l'amour. Les Himalayas comme disent les Indiens , quelques stations, d'ailleurs généralement construites par les Anglais, en sont célèbres pour l'asile de fraîcheur qu'elles offrent pendant les chaleurs de l'été et ont pris place parmi les paradis touristiques de la planète . A Moossoorie par exemple, où se refugia le Dalaï Lama , les cultures en terrasses, les fleurs, les rochers peints et décorés de grandes figures de jeunes femmes ou d'animaux , l'habillement aussi, plus adapté au froid que celui des plaines, tout nous montre que nous sommes loin de Bénarès , Nasik , Mathura  ou Madurai , mais les Himalayas sont surtout vénérés comme les plus anciens foyer de la vie mystique; et c'est dans les immenses forêts dans les jungles dont seuls les torrents percent l'épaisseur au coeur secret de l'Inde, le domaine que la tradition a depuis des millénaires attribués aux ermites , aux yogis et aux sages. Les Himalayas sont considérés comme sacrés . Les Hindous aiment à avoir ce qu'ils appellent Sri Himalaya darshan , la vision du seigneur Himalaya, la chaîne toujours blanche barrant l'horizon symbole de la Vérité immuable? En fait pour peu d'Hindous peuvent se rendre dans les Himalayas, ils se contentent de rêver et d'innombrables gravures populaires ont reproduit un paysage de légende avec ce petit temple blanc immaculé parmi les fleurs, détachant sur le bleu du ciel le signe mystique de la syllabe sacrée Aum qui résume tout l'univers dans sa vibration, et un yogi immobile méditant sur l'Eternité.. La haute vallée du Gange est le véritable centre de la vie spirituelle depuis Hardwar , Rishikesh , Lashman Jola et Vashishta , Goha jusqu'au lieux de pélerinage fameux de Gangotri, Badrinath , Kedarnath , toute cette vallée est parsemée de temples enfouis dans la jungle et les lianes dont certains sont infiniment anciens et dont presque tous ont été bâtis sur des emplacements qui sont des lieux de prières depuis des millénaires. Mais de milliers d'années en milliers d'années la tradition s'est transmise et ils vivent toujours sur le flanc des montagnes et les rives du Gange en robe blanche, en robe orange ou bien à moitié nus ou complètement nus , ces êtres à la fois célèbres et mystérieux, les yogis jeunes hommes qui ont renoncés à tout pour répondre au grand appel intérieur et choisi le dépouillement absolu du sannyasin, femmes sans âge au regard brillant et au cheveux ras, vieillard à la démarche toujours juvénile sur les pentes les plus raides, les plus périlleux sentiers. Ici au pied d'un arbre imposant accroupi sur sa peau de daim, entièrement couvert de cendre ( la cendre symbole de destruction de la multiplicité et du retour à l'unité) ses longs cheveux tressés descendant de chaque côtés de son cou jusqu'au genoux, immobile, regard fixe. Là près de la grotte où ils demeurent assis au pied de leur maître peut-être centenaire mais dont les yeux reflètent l'éternelle jeunesse de la conscience, quelques sadhous s'ouvrent silencieusement à l'influence qui émane du sage à demi nu. Je m'aplatis sur le sol respectueusement selon l'usage. Parmi tous ces milliers de sadhous qui vivent en amont de Rishikesh l'ivraie est mêlée au bon grain et le chercheur spirituel doit savoir les distinguer. En Inde non plus, l'habit ou plutôt l'absence d'habit ne fait pas le moine. c'est dans un de ces petits ermitages qu'ayant renoncé au monde et à une carrière médicale qui s'annonçait brillante, celui qui avait été le Docteur Kupuswamy pratiqua pendant dix ans jour et nuit, les disciplines yoguiques qui ont fait de lui le Swami Sivananda aujourd'hui célèbre dans le monde entier. La plupart des ashrams sont ouvert à tous, mais la première fois qu'on y pénètre il est déroutant d'y être , si parfaitement laissé librement ignoré, on ne vous demande rien, on ne s'occupe pas de vous, comme si vous aviez toujours fait partie de la maison. Dès les premiers instants on est saisi par l'impression que chacun même s'il paraît inoccupé, poursuit une intense activité mais purement intérieure et silencieuse qu'il a une certaine vie à laquelle tous ont part : vieilles femmes, jeunes moines, religieux, laïques et que tous on autre chose à faire qu'a se laisser distraire par un nouveau venu. Les bâtiments sont propres, mais sans styles; tout ashrams comporte un ou plusieurs temples souvent construit sur la tombe ou samadhi  du saint qui les a fondés. Devant les temples, un obélisque sur lequel est inscrit en anglais avec le message de Sivananda : sers, aime médite, réalise" la doctrine centrale des principales religions du monde. Une des certitudes qui ont inspiré le plus profondément l'action du Swami  est qu'il a plus de religions mais un seul Dieu et qu'aucune religion, pas même la sienne n'est plus grande que la Vérité et n'a le droit de nous arrêter sur notre chemin vers cette vérité. J'ai fait deux séjours chez le Swami entre lesquels j'avais passé plusieurs semaines près de Ma Anandamayi, j'ai appris à connaître que derrière la façade parfois déroutante de son ashram cachait une admirable vie d'ascète et de service qui emportaient facilement la conviction. Quand à la production littéraire du Swami elle comprend quelques livres absolument remarquables . Autant que sur le temple, c'est sur le Gange que se concentre la vie de l'ashram ; sur les marches qui descendent dans le fleuve, à quelques mètres de distance, les uns se baignent ou lavent leur linge, les autres prient, lisent ou disent leur chapelet, tandis que les vaches se livrent tranquillement à la délicate escalade des ghâts. A l'aurore certains yogis viennent ici pour commencer leur journée avec un rite symbolique du salut au soleil levant ( surganamaskar) ou un exercice consistant à fixer celui-ci a travers un petit rectangle délimité avec les doigts; puis se succèdent ceux qui viennent se plonger dans le fleuve sacré à trois reprises ils élèvent un peu d'eau au creux de leurs mains réunis et l'offrent au feu solaire. Assis l'un près de l'autre deux hommes égrènent leur mala (chapelet)  mais il n'est que de les regarder pour voir qu'ils suivent des voies différentes , l'un qui ne peut guère mieux croiser les jambes qu'un Européen, porte  avec une immense barbe noire de longs cheveux noués au-dessus de sa tête car il est dit que Shiva reçue le Gange sur son chignon lorsque le fleuve descendit du ciel , les signes peints en blanc sur son front et ses bras traduisent sa dévotion à Shiva, son visage , ses yeux clos, aux lèvres entrouvertes est irradié de ferveur et d'amour, c'est l'image même de de l'adorateur  de Khakta . L'autre, dans la plus impeccable des postures de méditation, le dos presque inhumainement droit, les yeux grands ouverts fixés devant lui est un typique Raya yogi et  , après un moment de prière yeux clos et mains jointes, il ferme une narine avec son pouce et commence l'exercice  de respiration rythmé du Pranayama . D'autres se plongent à moitié habillé dans l'eau tourbillonnante  qui les recouvre entièrement, des jeunes femmes se baignent avec leur sari ; si ne sont pas situés au bord du Gange, les ashrams sont presque toujours bâtis près d'un autre fleuve ou d'un étang, car l'eau joue un rôle primordial dans les rites hindous . La toilette, les ablations et les immersions ont une grande importance et la propreté extérieure est l'image de la pureté intérieure. L'hindou religieux prend un ou deux bains complet tous les jours et entre temps se lave chaque fois qu'il juge avoir été souillé. Ainsi en Inde, chaque aspirant à la croissance spirituelle peut choisir sa voie ou se la faire indiquer par un Maître . Mais tous les yogis se rejoignent dans la pratique, ils s'enrichissent en empruntant les uns aux autres et tous ont en commun qu'ils nous demandent d'être là. Ils vont à l'encontre de cette distraction et de cette dispersion fondamentale qui sont les nôtres et dans lesquelles nous vivons perpétuellement, car toute les conditions de notre vie moderne contribuent à nous attirer hors de nous mêmes, à nous happer. Réfléchissons à ce que signifient vraiment des expressions comme se reprendre, se ressaisir ,se recueillir, se retrouver. L'ashram de Swami Sivananda est particulièrement réputé pour l'étude et la pratique du  Hatha yoga , des disciples avancés y enseignent les postures et les exercices respiratoires, mais les classes d'ensemble ne se conçoivent que pour les moines novices ou de visiteurs  venus passer seulement quelques jours à l'ashram . Le véritable yogi exécute absolument seul, dans le silence de sa chambre ou de la forêt, les postures qui lui conviennent et selon son rythme  qui lui est proposé .  La notion du Gourou dépasse infiniment celle de l'individu qui l'incarne "Le Gourou et Dieu sont  un " tous les Gourous sont un, le Gourou dissipe l'obscurité ," Celui qui donne la lumière  Le Gourou est le Sauveur, le Gourou est celui qui éveille" Le Gourou se trouve au-dedans de nous mêmes (inner Gura)  Comment ne pas penser au Christ disant : Le Père et Moi nous sommes un, Je suis la lumière du Monde, je demeure en vous. En approfondissant l'idée du Christ et celle du Gourou selon les deux traditions ont est saisi par les rapprochements qui s'imposent . A l'intérieur de sa chambre, où tout le monde s'entassent en application de la loi indienne de la compressibilité  illimitée des foules, le Swami reçoit disciples et visiteurs pour le darshan . Ce mot signifie vision, voir simplement le Gourou , rester silencieusement quelques instants en sa présence , c'est le coeur de la vie dans tous les ashrams ; et la première question que pose celui qui arrive est toujours la même: A quelle heure Swamiji ou Mataji ( la Mère) donne t-il son darshan ? " Plus j'ai observé Ma Anandamayi plus l'extrême différence de ces expressions m'a frappé. Tout ceux qu'il l'ont approchée ont remarqué cette diversité . je l'ai vue à quelques secondes de distance paraître  trente ans ou soixante dix, être l'image de la douceur ou l'incarnation de la sévérité, j'ai vu en elle la petite file rieuse et l'homme terrifiant, la sainte radieuse et l'animatrice d'une lourde communauté. La plupart des êtres qui ont approché Ma Anandamayi  et qui n'étais pas complètement fermé à son influence ont ressenti le phénomène Ma Anandamayi  en eux et connu ce qu'était la vie illimitée à côté de quoi notre vie n'est pas la vie et comment les aveugles peuvent découvrir la lumière et les sourds entendre . C'est certainement l'expérience la plus importante que l'on puisse être amené à faire : enfin je vis et jusqu'à aujourd'hui j'étais mort. Aussi forte, certaine et convaincante soit-elle , cette expérience fondamentale de vie et d'éveil, qui fait la réalité spirituelle une certitude, s'avère difficile à décrire et à transmettre. Car l'Inde affirme que la perfection est de cette vie, tout en n'étant pas " de ce monde "Et il suffit d'apprendre de ces sages pour être immédiatement convaincu que leur être est en effet aussi supérieur au nôtre que le nôtre l'est à celui d'un mouton. Comme tous les maîtres Ramdas enseigne : " Surtout , mon Dieu n'exaucez pas mes prières" Ainsi priait le disciple , nous dit Ramdas car nous ne savons pas où est notre bien et où est notre mal. et je me souviens avoir lu la même idée dans la Phicolie  chez Evagre le Pontique" Ne priez pas pour que tes volontés s'accomplissent car elles ne concordent pas nécessairement avec la volonté de Dieu. Prie plutôt suivant l'enseignement reçu en disant : Que ta volonté s'accomplissent en moi et en toutes choses demande  Lui, sa volonté se fasse: car lui veut le bien et l'avantage de ton âme , alors que toi tu ne cherche pas nécessairement cela. Au lieu de vivre à la surface de nous même nous devons plonger au plus profond de nous même, comme le plongeur va chercher la perle au plus profond de la mer. Nous devons nous rappeler Dieu sans cesse. dans le Bhakti yoga comme dans le Raja Yoga explique Ramdas, l'esprit agité ainsi qu'une mer parcourue par les vagues doit devenir calme comme un miroir , car l'esprit, le mental absolument tranquille et silencieux est l'Esprit Universel. Et c'est à ce calme que conduit la concentration sur l'un des différents symboles de Dieu : son ,nom, image ou lumière. L'idée de Dieu doit prendre la première place dans l'esprit: il faut penser à  Lui vingt quatre heures sur vingt quatre. Le moyen le plus efficace est le Japa, la répétition du nom. Bien sûr la répétition mécanique ne servirait à rien, toute notre force d'attention et tout notre sentiment doivent être mis dans cette répétition. Le point de départ du pélerinage  vers l'immortalité, notre situation  d'hommes exilés est très nettement exprimé par le Maharshi . D'innombrables relations de conversation qui ont eu lieu avec lui pendant les cinquante années où il à enseigné à Tiruvanamalaï affirment et réaffirment " Ce qui doit arriver, arrivera, quels que soient les efforts que vous fassiez pour l'éviter. ce qui ne doit pas arriver n'arrivera pas, quels que soit les efforts que vous fassiez pour que cela se produise. L'homme peut se trouver dans toutes sortes de circonstances, cependant il ne doit pas se permettre d'être tiré sans résistance ça et là par les influences . C'est son devoir dans toutes les circonstances de maintenir intactes son individualité et sa force de caractère" Soyez ancré dans l 'absence de crainte. Qu'est ce que la vie dans le monde sinon la peur ? "Maintenez votre pensée sur un très haut niveau" La louange et le blâme, les immondices et l'encens le plus pur doit devenir pareils. aucune chose au monde ne devrait vous être répugnante. regardez dans votre coeur et soyez repoussé par la répulsion. " Si quelqu'un n'arrive pas à un état de tranquillité, l'agitation de tout son organisme se manifestera à travers chaque nerf et chaque fibre de son corps, et le rendre inefficace. Si notre énergie n'est pas maintenue, le fonctionnement de cet énergie dans une parfaite tranquillité n'est pas possible, la préservation de l'énergie est essentielle. Appliquez vous à la méditation et autres exercices spirituels d'une manière tout à fait tranquille et discrète. Et je pense  à Paris, à la France , à tout notre monde du dehors, ou il y a des pleurs et des grincements de dents , des guerres et des bruits de guerres ,où l'on voit s'élever nation contre nation et royaume contre royaume, ou il y a de grands tremblements de terre, des famines, des fléaux et des phénomènes effrayants, où tout cela n'est qu'un commencement des douleurs et dont est proche l'abomination et la désolation. " Et je pense à Celui qui a dit aussi : Quand vous verrez toutes ces choses, sachez que le royaume de Dieu arrive, qu'il est à la porte . Le Ciel et la Terre passeront mais mes paroles ne passerons pas . Veillez donc, car vous ne savez pas quand le Maître de la maison viendra, si c'est le soir, où à minuit ou au chant du coq ou le matin. Craignez qu'arrivant tout à coup , il ne vous trouve endormis, or ce que je vous dis je le dis à tous : Veillez !"

mardi 17 décembre 2024

Un Barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras





La mère est une ancienne institutrice du nord de la France, jadis marié à un instituteur. Impatients et séduits à la fois par les affiches de propagandes et par la lecture de Pierre Loti tout deux vont tenter l'aventure coloniale. Après des années relativement heureuse, le père meurt, et la mère reste seule avec ses deux enfants Joseph et Suzanne . Elle joue du piano à l'Eden -Cinéma , fait des économies, obtient après d'infinies démarches, une concession à la Direction  générale du cadastre, laquelle Direction n'ayant pas reçu de dessous de table lui attribue à dessein une concession incultivable. La mère qui n'a d'autre but que de laisser un bien à ses enfants s'entête. Elle a l'idée de construire contre les grandes marées du Pacifique un barrage qui protégerait ses terres et celles de ses voisins. Son veuvage, son ancienne appartenance au corps enseignant et la charge de ses deux enfants lui donnaient droit prioritaire sur une telle concession. Dès la première année elle mit en culture la moitié de la concession ; elle espérait que cette première récolte suffirait à dédommager en grande partie des frais de construction du bungalow . Mais la marée de juillet monta à l'assaut de la plaine et noya la récolte. Croyant qu'elle n'avait été victime que d'une marée particulièrement forte, et malgré les gens de la plaine qui tentaient de l'en dissuader, l'année d'après la mère recommença , la mer monta encore . Alors elle dû se rendre à la réalité; sa concession était incultivable. Il est vrai que la mer ne montait pas à la même hauteur chaque année ; mais elle montait toujours suffisamment pour brûler tout, directement ou par infiltration. Exception faite des cinq hectares qui donnaient sur la piste, et au milieu desquels elle avait fait bâtir son bungalow, elle avait jeté ses économies de dix ans dans les vagues du Pacifique. Le choix des attributions leur étant laissé, les fonctionnaires du cadastre se réservaient de répartir, au mieux de leurs intérêts, d'immense réserves de lotissements incultivables qui, régulièrement attribués et non moins régulièrement repris, constituaient en quelques sorte leur fonds régulateur. Sur la quinzaine de concessions de la plaine de Kam, ils avaient installé, ruiné chassé, réinstallé, et de nouveau ruiné et de nouveau chassé, peut-être une centaines de familles. Les seuls concessionnaires qui étaient restés dans la plaine y vivaient du trafic du pernod ou de celui de l'opium, et devaient acheter leur complicité en leur versant une quote-part de leurs ressources irrégulières, " illégales" disaient les agents du cadastre. La juste colère de la mère ne lui épargna pas, deux ans après son arrivée, la première inspection cadastrale. Ces inspections toutes formelles se réduisaient à une visite au concessionnaire auquel on venait rafraichir la mémoire , on lui rappelait que le premier délai était passé. Il serait étonnant, rétorquait l'agent, que notre gouvernement général ait mis ,en lotissement un terrain impropre à la culture. La mère, qui commençait à mieux y  voir dans les mystères de la concussion , fit valoir l'existence de son bungalow . Celui-ci n'était pas achevé mais représentait quand même, incontestablement, un commencement de mise en valeur qui devait lui valoir un délai plus long? Les agents s'inclinèrent , elle avait un an de plus devant elle. Forte du délai que lui avait valu son bungalow, la mère mit les agents de Kam au courant de ses nouveaux projets . Ceux-ci consistaient à demander aux paysans qui vivaient misérablement sur les terres limitrophes de la concession de construire, en commun avec elle , des barrages contre la mer. Ils seraient profitables à tous. Ils longeraient le Pacifique et remonteraient le rac jusqu'à la limite des marées de juillet. Il fallait étayer les barrages avec des rondins de palétuviers . De ces frais là, naturellement, elle devait se charger seule. Elle venait alors d'hypothéquer le bungalow qui n'était pas terminé. Elle dépensa tout l'argent de l'hypothèque à l'achat des rondins et le bungalow ne fut jamais terminé. Le docteur n'avait pas tellement tort, on pouvait croire  que c'était à partir de là, que les crises de la mère, par  l'évènement de cette nuit fatale que ces barrages amoureusement édifiés par des centaines de paysans de la plaine enfin réveillés de leur torpeur millénaire par une espérance soudaine et folle et qui en une nuit, s'étaient écroulés comme un château de cartes sous l'assaut élémentaire et implacable des vagues du Pacifique. " On vient cria-t'-il gueule pas comme ça ." Il se dépêchait d'arriver près d'elle, elle était rouge et larmoyante comme toujours depuis qu'elle était tombée malade , tu ferais mieux de prendre tes pilules dit Suzanne au lieu de gueuler. Il leur avait semblé à tous trois que c'était une bonne idée d'acheter un cheval , puis ils se sentiraient moins seuls, cela dura huit jours , le cheval était trop vieux, il essaya de faire le travail qu'on lui demandait, et qui était bien au-dessus de ces forces, il en creva . Pour essayer de se consoler , ils décidèrent qu'ils iraient tous les trois à Ran pour voir du monde et se changer les idées. Ils allaient faire une rencontre qui allaient changer leur vie , en arrivant à la cantine de Ran ils virent stationnée dans la cour une magnifique limousine à sept places de couleur noire . C'est là que Suzanne rencontre pour la première fois M. Jo, un jeune homme qui paraissait avoir vingt cinq ans habillé d'un costume de tussor grège , quand il but une gorgée de pernod , elle vit à son doigt un magnifique diamant, Suzanne sourit au planteur du nord, il l'invita à danser. Sur sa demande elle le présenta à sa mère. Et c'est ainsi que M. Jo venait régulièrement au bungalow voir Suzanne. Dès les premiers jours la mère lui fit entendre qu'elle attendait sa demande en mariage. Il la tint en haleine par des promesses et surtout par divers cadeaux qu'il fait à Suzanne. Ces tête à tête enchantait la mère et s'il elle exigeait qu'il laisse la porte du bungalow ouverte, c'était pour laisser à M. Jo  aucune issue que le mariage à l'envie très forte qu'il avait de coucher avec sa fille . Si M. Jo savait pas mal de choses, il savait qu'il ne pouvait pas épouser Suzanne, on ne se décide pas à épouser quelqu'un en quinze jours .M. Jo se faisait de plus en plus pressant et demandait à Suzanne de se montrer nue juste un instant quand elle se douchait, elle le fit et refermait immédiatement la porte de la salle de bains . La mère changea d'avis , elle décida qu'ils ne devaient plus rester seuls même avec la porte ouverte, elle lui avait parlé et lui donnait huit jours pour faire sa demande, il lui avoua enfin que son père avait d'autres projets pour lui, il lui promit cependant d'employer toutes ses forces pour y arriver à lui faire changer d'avis. Il promit à Suzanne de lui offrir un diamant si elle venait avec lui pendant trois jours à la ville . Et un soir il lui dit : Je l'ai ai apportés , vous pouvez choisir , trois bagues s'étalèrent au creux de sa main, ça vient de ma mère . Combien ça vaut demanda Suzanne ? Je ne sais pas , peut-être vingt milles franc . Je vous la donne, elle prit , ne la passa pas à son doigt, mais l'enferma  dans sa main et sans dire aurevoir  à M. Jo , elle courut vers le bungalow. Elle brandi la bague et dit à sa mère regarde il me l'a donné, vingt mille franc ça vaut !La mère demande à Suzanne de la lui confier pour qu'elle la voit mieux , puis s'en s'expliquer elle était allée dans sa chambre et lorsqu'elle était sorti de la salle à manger , Joseph et Suzanne avaient compris, elle était allée la cacher , elle cachait tout la quinine, les conserves, le tabac tout ce qui pouvait se vendre ou s'acheter. Maintenant la bague devait être entre deux lattes de la cloison ou dans un sac de riz ou dans le matelas ou bien attachée par une ficelle autour de son cou ; çà  avait éclaté lorsque Suzanne était sorti de table, la mère s'est jetée sur elle et elle l'avait frappée avec ses poings de toute ce qui lui restait de force, Joseph n'avait pas protesté et l'avait laissée battre; dis le moi et je te laisserai : je n'ai pas coucher avec lui , Suzanne ne faisait plus que se protéger dis le moi répétait t'elle , Suzanne ne répondit plus . A l'heure habituelle , M. Jo déboucha du pont, assis à l'arrière de sa magnifique limousine, Suzanne se tenait debout devant lui, il lui prit la main  et l'embrassa elle retira sa main de celle de M. Jo . Je suis venue vous dire de ne plus venir me voir , faut plus venir du tout, il paraissait mal entendre , qui à décidé çà , c'est elle ? votre  mère ? C'est elle et Joseph est d'accord, vous ne leur plaisez pas et aussi à cause de la bague. Puisque je je vous l'ai donné, comme ça pour rien . C'est difficile à expliquer , faut que vous partiez. Vous êtes profondément immoraux dit M. Jo, on est comme çà . L'hôtel central où descendirent la mère , Suzanne et Joseph se trouvait au premier étage d'un immeuble en demi cercle qui donnait d'une part sur le fleuve et d'autre part sur la ligne de tramway de ceinture et dont le rez de chaussée était occupé par des restaurants, des fumeries d'opium et des épiceries chinoises. Cet  hôtel était tenu par Carmen une fille de trente cinq ans , une brave fille pleine de respect . La mère demanda de l'aider à vendre le diamant de M. Jo . Dès le lendemain elle en avait parler à quelques uns , de plus elle mit dans le bureau de l'hôtel bien en vue, accroché par une pancarte suivante : A vendre magnifique diamant, occasion exceptionnelle s'adresser au bureau de l'hôtel . Elle conseilla à la mère d'essayer de son côté de le vendre soit à une bijouterie, soit à un diamantaire. Au bout de trois jours , toute cette stratégie n'avait donné aucun résultat . Le premier diamantaire auquel elle le proposa en offrit dix milles francs, et lui annonça  que le diamant avait un grave défaut, " un crapaud" qui en diminuait considérablement la valeur. Joseph rentra encore chaque soir chez Carmen et chaque matin, la mère l'apercevait encore . Mais bientôt , Joseph  ne rentra plus du tout, il disparut complètement, il avait réussi à vendre quelques peaux fraîchement tannées à quelques clients de passages à l'hôtel . Carmen s'est occupée de Suzanne, elle la coiffa, l'habilla, lui donna de l'argent, elle lui conseilla de se promener dans la ville en lui recommandant toutefois de ne pas se laisser faire par le premier venu. Suzanne s'appliquait à marcher avec naturel, on la regardait , on se retournait, on souriait , aucune jeune fille blanche de son âge ne marchait seule dans les rues de haut quartier, elles marchaient en groupe, elles étaient toutes environnés du parfum des cigarettes américaines, des odeurs fraîches , de l'argent . Elle trouvait toutes ces femmes belles, surtout elles marchaient comme des reines, parlaient, riaient. Elle ne trouva pas Joseph, mais tout à coup une entrée de cinéma, un cinéma pour s'y cacher. Un après-midi, comme elle sortait de l'hôtel Central, elle trouva la limousine arrêté , M. Jo alla vers elle , lui dit bonjour d'un ton triomphant je vous ai trouvée. on est venu vendre votre  bague dit Suzanne ça sert à rien . je m'en fou  dit M. Jo ou allez vous comme çà, je vais au cinéma. Si vous voulez je vous accompagne, ils y allèrent , de temps en temps il lui prenait la main, la serrait , se penchait pour l'embrasser, je t'aime lui dit il tout bas , une fois dehors seulement elle lui dit : Je ne peux pas, c'est pas la peine avec vous je ne pourrais jamais. Il ne répondit pas, c'est ainsi qu'il disparut de sa vie. Mais personne n'en sut rien, même pas Carmen, sauf la mère, mais beaucoup plus tard .Joseph se manifesta car il avait trouvé la personne qui devait acheté le diamant. Suzanne trouva la mère devant sa chambre , elle avait dans sa main une liasse de billets de mille francs; c'est Joseph annonça t'elle triomphalement Vingt milles francs ce que j'en voulais . Lorsqu'elle furent seules , Carmen apprit à Suzanne que c'était la femme qu'il avait rencontrée que Joseph avait vendu le diamant. Le lendemain la mère courut à la banque payer une partie de ces dettes , au bout de quelques jours ils ne restaient que très peu d'argent .Joseph revint un matin vers six heures et ils partirent à la plaine . Après leur retour le caporal qu'avait engagé la mère il y a déjà six ans n'avait plus rien à faire . La mère abandonna ses bananiers et elle ne planta plus rien, ils étaient devenu tous paresseux et parfois dormaient jusqu'à midi . Pendant les huit jours qui avaient suivi leur retour Joseph était fatigué et triste; il ne se levait que pour les repas, il ne se lavait guère. Un des projets les plus constants de la mère avait été de pouvoir un jour faire remplacer la toiture de chaume du bungalow par une toiture en tuiles, une de ses craintes que les vers se mettent au chaume avant qu'elle ait assez d'argent pour le faire remplacer et ses craintes se réalisèrent, lentement , régulièrement, ils commencèrent à tomber du toit, ils crissaient sous les pieds nus, tombaient dans les jarres, sur les meubles, dans les plats, dans les cheveux . Cependant ni Joseph , ni Suzanne, ni même la mère n'y firent la moindre allusion ; il n'y a que le caporal qui s'en émut, il se mit à balayer toute la journée durant, les planchers du bungalow. Il était huit heure du soir un long coup de klaxon se fit entendre sur la piste du côté du pont. Joseph fit un bond comme s'il venait de recevoir une décharge . Joseph partit un long moment, puis il revint s'arrêta devant la mère et la regarda, je m'en vais pour quelques jours je ne peux pas faire autrement, merde dit Joseph je te jure , je reviendrai, je laisse tout, même mes fusils, elles étaient sûres qu'il partait pour toujours ; seul lui en doutait encore. Il se passa ainsi trois semaines, pendant lesquelles rien n'arriva, ni une lettre de Joseph , ni une lettre de la banque, ni même un avertissement du cadastre. Suzanne attendait sur le pont , un matin elle vit arriver le fils d'Agosti , ta mère m'a envoyer un mot par le caporal elle a un service à me demander, elle voulait qu'il vende le diamant à M. Bart. Il revint quelques jours plus tard, il avait vendu le diamant à M. Bart Onze mille, j'ai l'argent dans ma poche. Qu'est ce que vous allez faire maintenant ? Je ne sais pas peut-être partir . Alors qu'il l'embrassait, elle fut dès lors entre ses mains, à flot avec le monde, et le laissa faire comme il voulait, comme il fallait. La mère eut sa dernière crise un après-midi en l'absence de Suzanne, Agosti était revenu le lendemain, la mère le savait, elle lui avait dit qu'elle pouvait se passer d'elle, qu'elle prendrait ses pilules toute seule. Suzanne pénétra dans la chambre le cercueil était posé sur quatre chaises ; Joseph portait un pantalon long, de beaux souliers en cuir roux et ses cheveux étaient coupés très courts, il était soigné et élégant .On va partir, dit  Joseph; ça n'a pas d'importance qu'elle soit avec moi ou un autre, pour le moment, dit brusquement Agosti. Je crois que ça n'a pas tellement d'importance, dit Joseph, elle n'a qu'à décider. Je pars, lui dit Suzanne, je ne peux pas faire autrement. Joseph se leva et les autres firent de même. La femme mit la voiture en marche et Agosti et Joseph chargèrent le cercueil. La nuit était tout à fait venue. Les paysans étaient toujours là attendant qu'ils s'en aille pour s'en aller à leur tour. Mais les enfants étaient partis en même temps que le soleil.


vendredi 15 novembre 2024

Le murmure des ancêtres d'Alexandrine Loubet





 Alexandrine est morte ; elle est morte un jour de grand soleil dans sa maison , à Cominac, deux mois avant mon installation au village; une Alexandrine qui part, une autre qui arrive. Après mon déménagement, ma vie de professeure fonctionnaire dans les Hautes Pyrénées, un nouveau chapitre demande à s'écrire en Ariège. Je souffle à chaque bûche pour témoigner de ma fatigue, mon père ne réagit pas, mais d'où lui vient cette énergie ? A 76 ans, c'est impensable, je n'ai plus le coeur à l'ouvrage; mon père continue à la même cadence, sans présenter la moindre fatigue , il sifflote . C'est ridicule, je ne peux pas avouer que je n'en peux plus au bout d'à peine 1 heure . Le bourdon du tracteur, l'odeur de l'essence, le métal de la fendeuse, l'épaisseur ce ces gants en cuir qui ne sont pas à ma taille, le tas de bois à débiter qui ne semble jamais diminuer tout m'insupporte ! Et mon père qui sifflote et maintient le rythme .... L'hiver s'annonce dans cette grange mal isolée il faudra en mettre du bois dans la cheminée ! Je voudrai lire la fierté dans les yeux de mon père, qui voit que ça aussi elle sait faire, qu'elle n'est pas qu'une intellectuelle, que le fossé entre nous n'est pas profond. Je voudrai être parfaite, pour être sûre qu'il m'aime et qu'il me le dise . Etre parfaite à Cominac , c'est être vaillante . C'est dans les gênes, c'est la montagne . C'est qu'ici on est paysans, même si on n'a pas de vaches, ni de cochons on est paysans . Paysans c'est un état d'être, c'est une mentalité; paysans, parce que on est loin de tout et qu'on a du courage dans les veines, de père en fils et de mère en fille. Paysans parce que la vie c'est le travail et que le travail c'est la vie .Ailleurs ce pourrait être une insulte, ici c'est une qualité . Longtemps "Ariège ! Terre Courage" a été le slogan du département. Le temps est passé, les campagnes de promotion départementale aussi , après " Ariège les Pyrénées avec un grand A " ou encore " l'Ariège ça monte et ça descend mais ça n'est jamais plat " on vit désormais en " Ariège libre comme l'air " mais dans les esprits l'Ariège est restée " Terre Courage" comme une façon de rendre hommage aux habitantes et habitants . Le sang des montagnes ariégeoises  qui coule dans mes veines infuse cela en moi, parfois comme une lourde charge, un fardeau qui tasse le dos . Dans mes gênes il y a la nécessité de se lever tôt pour s'occuper des bêtes même si le corps dit non, de déblayer la neige pour dégager les chemins, de faire les foins à la faux en plein soleil des jours durant dans les prés en dévers :l'habitude de faire soi-même une bête de somme et l'idée qu'il ne pourrait être autrement de peur du " qu'en dira t'on " L'injonction de se montrer respectable, et respectable ici ça veut dire vaillant . Ma peau frissonne sous l'air frais de ce petit matin d'automne et la contemplation me prends aux rêveries. Quarante ans que l'on se connaît, que l'on s'observe quarante et bien plus; avec la mémoire de mes ancêtres vibrant dans mes cellules , on peut parler en siècles . Alexie mon arrière arrière arrière grand père montreur d'ours à lui aussi grandi dans ce décor; c'est abyssal ! Me voici , donc ici accrochée à " flanc de montagne", à 850  mètres d'altitude dans le village natal de mon père; Cominac. Sur ce plateau que baigne le soleil de l'aube, jusqu'au crépuscule. Je suis venue à reculons dans ce décor idyllique, je voulais m'inventer une nouvelle existence dans l'Ariège artistique, l'Ariège bohême pas celle du creuset familial .Cette jeune fille de seize ans qui se prénommait Renée elle aussi est partie comme ses frères avant elle , tenter sa chance aux Etats-Unis. Elle travaillait près de Time Square dans le french restaurant de Marie Rose où elle servait les plus grands jazzmans qui lui réservaient toujours un accueil chaleureux, lorsqu'elle venait les écouter au club après son service , notre petite française s'est vite retrouvée avec une trompette entre les mains et il s'est avérée qu'elle avait d'incroyables dispositions, alors elle vécut quarante ans d'une double vie, un rythme joyeusement effrénée de serveuse trompettiste . Lorsque sonna l'âge de la retraite, son mari décida qu'il était l'heure de cesser ses activités new-yorkaise (qui n'était pas à son goût) pour rentrer au pays ; la mort dans l'âme elle l' a suivi, elle a bien tenté de faire vivre sa passion ici , mais le jazz à Cominac, ça n'a pas pris . Ce n'est pas un détour, c'est une rencontre qui se propose au visiteur, la maîtresse de cette bâtisse est une véritable figure archétypale  "une dame au tablier" pour les accoutumés du monde rural, ces quelques mots suffisent à faire naître des images et jaillir quelques prénoms. A lui seul ce tablier raconte un pan d'histoire, un bout de montagne qui s'éteint petit à petit. toujours l'œil pétillant, un brin rieur, traduisait le germe d'enfance à jamais resté intact, et les joues rouges qui racontent toute une vie au grand air, aux quatre vents, dehors tous les jours, par tous les temps que connaisse ces villages de montagnes . Parce que ces femmes là, n'ont pas suivi la vague de l'exode rural et sont restées au pays, comme un coquillage accrocher sur un rocher qui vacille pas sous l'influence changeantes des marées. Bien souvent , elles étaient femmes de paysans et œuvraient vaillamment dans l'ombre de leurs maris. Je sursaute le tintement des cloches me sort de ma rêverie contemplative . Cette église est à l'image  de son peuple vaillante , éclairée par la lune ou le soleil, saupoudrée de neige ou battue par les vents imper tuable, elle sonne chaque heure et demi heure des 365 jours que compte une année . Le tintement des cloches relie rythmiquement l'esprit au temps qui passe. Cominac New-York c'est un mariage qui dure et prends racine en 1870, lorsque mon arrière arrière arrière grand père Alexie Auriac ( de Roc) décide de voir plus grand, plus loin et de poursuivre ses activités de saltimbanque Outre Atlantique . Avec deux collègues montreurs d'ours et leurs fidèles plantigrades, ils se rendent à pieds jusqu'à Bordeaux , ils se déplaçaient en longeant les voies de chemins de fer. A l'arrivée au port, c'est l'aventure maritime qui débutait : des semaines de traversées en troisième classe, sur des navires à vapeur. Il y faisait noir même en plein jour, les matelas étaient rembourrés de paille autant que de petits insectes bien vivants. Les oursailhers trouvaient parfois à se soustraire quelques instants à leurs misérables conditions en s'octroyant l'autorisation de promener leurs ours sur le pont, récoltant au passage un peu d'argent que les riches passagers leurs concédaient pour le divertissement. C'est ainsi que cette immigration a commencé, par un ancêtre qui a eu la folie de donner corps à ses rêves d'aventure; une fois que les montreurs d'ours avaient goûté à l'Amérique, c'était difficile de s'en passer: les grands espaces au lieu de l'étroitesse de leur petit village, la liberté au lieu des tracasseries familiales ou des ennuis de bornages avec les voisins, amuser les gens dans les rues plutôt que s'épuiser à faucher. Pour autant il leur fallait aussi bien du courage, car ces voyages comprenaient de nombreux  risques . D'ailleurs les oursailhers avaient coutume de rédiger leur testament avant de partir et de s'acheter un révolver, une fois arrivés Outre Atlantique . Lorsque en 1921, une loi américaine interdit ces spectacles animaliers, les éplucheurs de pomme de terre partent en exil et succèdent aux montreurs d'ours. Cent cinquante ans plus tard, il y a deux french restaurants Cominacois sur Broadway et des dizaines de descendants Outre Atlantique qui ne connaissent pas un mot de français et des octogénaires ariégeois qui parlent anglais. Il faut que tu dises " Daniel de Roc" parce que Daniel Loubet, ils ne connaissent pas, moi je suis un Roc, j'y ai passé du temps dans cette maison me dit papa, le visage éclairé de fierté et voilé de mélancolie. Ici il y a autant de Loubet que de rats taupiers, alors pour s'identifier on doit passer par le sobriquet. Les gens du village, pour la plupart, je ne peux les nommer que de cette façon : les Blanchards, les Gabatch , le Moussur ....je n'ai jamais entendu leurs prénoms , ni même leurs noms de famille . En fait il s'agit du nom de la maison, souvent le patronyme des premiers occupants. Ainsi , j'ai découvert un jour que le voisin que mon père a toujours appelé Peyot , recevait son courrier au nom de Francis Dejean ; quand on arrive à Cominac, on change donc d'identité, on brouille les pistes ; ce langage codé, ça me plaît. papa un Roc, ça lui va bien et moi aussi par extension , je suis de Roc , d'Ariège Terre Courage. Mon prénom est un hommage a Alexandre, mon grand-père adoré de mon père Alexis Auriac de Roc , encore un fil qui  tisse sa toile entre mon ancêtre montreur d'ours , et moi, un lien qui éveille ma curiosité. Je ne connais de lui que sa profession et son exil américain, rien de plus, l'histoire ne s'est pas transmise. Je décide de profiter de cet hiver à Cominac pour mener l'enquête sur mes racines, je veux en savoir plus sur cet homme et peut-être sur moi en filagramme . Que reste t-il de lui dans ce que je suis ? Il est encore un peu là, sa maison n'a pas bougé surplombant Bénazet , cette bâtisse se démarque par sa taille massive, fruit des devises qu'Alexis envoyait à son frère resté au pays, qui s'est chargé d'agrandir la demeure familiale ; c'est la première qui a été couvertes en ardoises, tandis que toutes les autres étaient en chaumes, la première enduite de crépis, quand les autres exhibaient encore leurs pierres et la première dotées de deux fois plus de fenêtres que celles du voisinage, autant de signes de distinction, signe de réussite de l'aventure américaine. Je dévale la pente sans retenue, mes pieds surfent sur l'épais lit de feuilles mortes et ravivent l'odeur de la terre et de serpolet; mon escapade mycologique sur la piste forestière est couronnée de trois coulemelles , le champignon des feignants qui dresse sa tête blanche en plein coeur du vert des prairies, comme un phare indulgent pour les bredouilles des cèpes, les grands perdants de la course à la girolles, et ceux qui n'ont ni patience pour sortir vainqueur de ce jeu de cache cache, ni les jambes assez musclées pour assumer de longues marches, dans les dévers acérés de nos sous-bois montagnards . De toute façon , je pensais à autre chose, absorbée que j'étais dans l'abyssale spirale du passé, les lieux me murmuraient un souvenir d'enfance. J'arrive du sentier en contrebas, mes pieds se fraient un chemin entre pierres et orties, picotements des mollets à travers le fin pantalon, elles m'ont eues. Je les entends, ils ignorent ma présence le généreux buisson d'hortensias me sert de paravent; je m'énivre du son de leurs voix qui chantent cette langue que j'aime tant , Marius et Ginette parlent en occitan, comme ils l'ont toujours fait, comme ils le faisaient à l'école en cachette pour éviter le bonnet d'âne. Lorsque ma tête émerge enfin du monticule fleuri, ils s'arrêtent net, pris en flagrant délit, saisis en plein coeur d'une proximité qui ne partagent pas avec moi, la fille de Daniel, celle qui n'a pas grandi ici, celle qui a pris des cours pour apprendre l'occitan, tandis qu'ils ont été biberonnés au patois. Comment leur dire ? Je garde précieusement le souvenir nostalgique des veillées de ce temps où la vie se vivait en trois dimensions, du temps ou l'écran n'avait pas encore parqués chacun chez soi et grignoté la vie sociale ; réunis en famille, un soir chez l'un, un soir chez l'autre , ça palabrait jusque tard  Dans ce que laisse filtrer ma mémoire, j'étais la seule enfant, ces instants me laissent un goût joyeux, celui qui diffusent le partage, la fraternité, la joie d'être ensemble et cette saveur de mystère familier que  le patois diffusait dans l'air, chaude mélodie à jamais nichée dans le creux de mon oreille. L'enfance de mon père ne s'est pas vécut en français, pour lui le patois, c'est la langue d'une époque, la langue de l'intime, il est chargé de tout l'amour qu'il a reçu de ses grands-parents maternels, Alexandre et Julie, dont la maison trône en haut de Bénazet . Au fur et à mesure que le cimetière grossit, ces sonorités s'endorment doucement ; réprimé, déprécié ce patrimoine ne s'est pas transmis, mon père ne m'a jamais parlé le patois. Quand je lui ai demandé pourquoi ? il m'a dit qu'il n'en voyait pas l'intérêt, j'ai pris des cours pendant deux ans , puis arrêter parce que je n'avais personne avec qui le parler, douloureux constat . J'ai tenté de communiquer avec mon père qui s'est trouvé un peu gêné de cette main tendue, ça ne lui a pas trop plu, il a prétexté que ce n'étais pas le même patois, qu'il ne le comprenait pas. Pour lui j'ai appris une langue d'érudits, des gens de ville, de ceux qui écrivent des livres dans cette langue, j'avais appris l'occitan, mon père parle le patois, dans ces montagnes ariègeoises ce terme  n'a rien  de dépréciatif , il s'exprime couramment mais ne sait ni le lire, ni l' écrire , le patois, c'est l'archétype de la transmission orale, ce n'est pas quelque chose que l'on apprends à l'université ! J'ai versé quelques larmes, accepter que le lien ne se ferait pas ainsi. Pourtant je continue à maintenir en moi une petite étincelle de cet héritage en profitant du joyeux renouveau des bals trad et continu d'entonner à l'occasion quelques chants occitans, histoire de faire résonner encore un peu la langue de mes ancêtres Assise à écouter le silence dans l'âtre de la cheminée, mes yeux ne peuvent se détourner de cette affiche qui orne ce pan de mur de la maison, du plus loin qu'il m'en souvienne, on y voit un ours, les pattes dans la neige dans un paysage de montagne ; et c'est à travers lui que je pense à nouveau à mon ancêtre oursailhers , et à Marie Joséphine son épouse, cette femme sédentaire qui a épousé un nomade . L'itinérance , Alexis avait cela dans le sang puisque son père exerçait l'antique métier de scieur de long ambulant ;sabots aux pieds et baluchon chargé d'outils sur l'épaule, il parcourait des centaines de kilomètres pour proposer ces services. Couper, abattre, débiter, équarrir placer le tronc sur l'échafaudage et enfin scier dans le sens de la longueur pour réaliser des planches. Longtemps j'ai entendu parler du même discours élogieux sur cette ville d'Outre Atlantique , mon père fou de New-York, il y est allé pas moins de trois fois ! Lui qui s'apparente plus à un ours ariégeois, qu'à un rat des villes, lui qui est tout à son aise à jouer avec son tracteur et sa tronçonneuse, ce même homme des bois me parlait de cette ville avec des yeux d'enfants émerveillés . J'y suis allée, je n'ai pas fait figure d'exception, j'ai succombé au charme de cette ville curieusement, je ne me sentais pas comme une fourmi menacée d'écrasement, j'étais plutôt à l'aise à serpenter les buildings le nez au vent à la recherche de ce parfum Cominacois infusé depuis plus d'un demi siècle et demi dans ces murs de cette ville. Lorsque l'on est enfant des montagnes sauvages d'Ariège cette improbable évidence de se sentir un peu chez soi  à New-York vient sans doute du joyeux murmure de nos ancêtres. Depuis plusieurs semaines, le tourbillonnements des blancs flocons à succédé à celui des feuilles mortes ; je réponds à l'appel des racines des ancêtres , j'écoute la sagesse de leurs murmures, je m'observe en kaléidoscope dans ces miroirs de famille le temps d'une saison ici à Cominac : Le temps que la chenille se transforme en papillon, à l'arrivée des premiers bougeons .


jeudi 3 octobre 2024

Les enfants d'Elisabeth de Hélène Legrais






Elne (Pyrénées Orientales, 24 décembre 1939 ) Teresa resserra le col de sa vielle vareuse  sur son cou, l'humidité glaciale de la plage lui collait à la peau même ici à des kilomètres de la mer plombée de décembre. Teresa  se dévissa le cou, juste le temps d'apercevoir du coin de l'œil, le portail qui se refermait derrière la voiture , une nouvelle prison, une de plus qui ne disait pas son nom. Dans un crissement de pneu, d'une double volée de marches, qui s'enroulaient de part et d'autre d'une terrasse circulaire faisant office de perron, au dessus se dressait la masse sombre d'un grand bâtiment de trois étages surmonté d'une verrière en forme de campanile. Oué maravilla !" Quelle merveille " , une main soutenant ses reins douloureux, Susana s'extirpa de l'Opel avec un cri d'admiration; Mira Teresa , un vrai château!  Teresa dédaigna répondre. Depuis Argelès, Susana s'était extasiée, devant les coquettes villas nichées au coeur des pinèdes, indifférentes, au sort des réfugiés parqués à quelques centaines de mètres de leur jolie clôture peinte en blanc; les champs et les vignes, ou choux frileux et ceps dénudés s'alignaient en rang impeccables, quelques boutiques aperçu en traversant Elne, et les femmes qui échangeaient devant leurs étals les dernières nouvelles. En cette saison la nuit tombait très tôt et à cinq heures de l'après-midi, le crépuscule noyait déjà d'ombre la campagne environnante. La directrice de cette maternité mise sur pied dans l'urgence par l'Ayada suiza a los niño de España( le Secours Suisse aux enfants d'Espagne)  ne ressemblait pas à l'image que Teresa s'en était faite, à peine plus âgée qu'elle même, vingt cinq ans peut-être, elle était tout sauf impressionnante : Un petit bout de femme menu aux yeux limpides et au large front intelligent. Deux jeunes femmes en bonnet et tabliers blancs, dévalèrent l'escalier de gauche à leur rencontre. La première offrit son bras à Susana pour l'aider  à monter les marches, Teresa refusa, l'aide de l'infirmière blonde, un combattant marche seul ! Chaque pas lui coûtait, c'est ainsi vacillante et fière qu'elle franchit le seuil du bâtiment. Des flammes claires dansaient dans la cheminées répandant une douce chaleur, sept ou huit femmes étaient réunis autour d'une grande table de bois blanc, certaines tenaient des nouveaux nés dans leurs bras, les autres semblaient sur le point d'accoucher. La directrice fit signe aux deux nouvelles de la suivre : Que diriez vous d'un bain bien chaud avec une serviette de toilette et du savon? Vous vous sentirez bien mieux une fois propre! Eh bien vous n'êtes pas encore déshabillée? Je vais vous aider à retirer cette vieille veste d'uniforme ,elle est raide de crasse et elle grouille sans doute de vermine, il vaudrait mieux la brûler, Jamais !Teresa fit deux pas en arrière, alors nous la laverons ! C'est s'en doute un souvenir, peut-être appartenait elle à un soldat de vos amis , quelqu'un qui vous est cher? C'est la mienne, je suis milicienne, je me suis engagée le jour de mes dix huit ans annonça fièrement Teresa. Vous étiez brancardière ?Chargée de transmissions ? Combattante !  les sourcils de la directrice se froncèrent , Teresa porta l'estocade avec un fusil, dans une brigade d'infanterie. J'ai combattu à Teruel et sur le front de l'Ebre , j'ai été blessé au bras , voulez vous voir ma cicatrice ? Vous avez tué ? Teresa haussa les épaules, quelquefois je suppose, quand ça mitraille de partout, comment savoir qui a touché...Mais on me confiais surtout des missions de liaisons. Elle avait aussi couper ses cheveux à ras, quand elle avait vu les gendarmes mobiles séparer les hommes des femmes, avait refuser de quitter ses compagnons de combat, une trentaines de miliciens, s'était ainsi dissimulée au milieu des hommes soldats, le calot rabattu sur les yeux , Teresa avait ainsi partagé pendant plusieurs mois une chabola ( hutte) faîte de roseaux et d'un bout de tôle ondulée à moitié enterré dans le sable avec une demi douzaine de ses frères d'armes. Jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus leur dissimuler sa grossesse et c'était Andrés lui même qu'il l'avait supplié de ce dénoncer afin de rejoindre l'îlot des femmes et de bénéficier ainsi des conditions de vie un peu meilleures. Une maigre paillasse dans une baraque glaciale sans même un plancher pour isoler du sable, cinquante grammes de pain et un verre de lait en plus , valaient ils de se retrouver ainsi seule et abandonnée ? Désormais elle n'était plus une combattante, juste une femelle pleine qui attendait de mettre bas... Le groupe des femmes réunis dans la salle octogonale du rez de chaussée s'était amenuisé, les plus valides devaient aider à préparer le repas et à mettre la table. Seules restaient autour de la table une Andalouse dont le ventre énorme semblait sur le point d'éclater et les mères berçant toujours leurs progénitures. Ce qui ramena à Teresa des images dont elle avait gravée dans sa mémoire , la bombe larguée par l'avion italien avait frappé l'immeuble de plein fouet, et puis les sirènes avaient sonné la fin de l'alerte et la population, s'était répandue hagarde dans les rues de Barcelone dévastée, Teresa et son unité avaient l'ordre de rechercher des survivants dans ses décombres; ils s'étaient mis au travail avec ardeur, de tous ses amas de briques et les blocs de béton, jusqu'à cette petite main minuscule pendait inerte , par dessus le bras de sa mère. A Table ! Señora c'est l'heure du repas, la vie de la maternité d'Elisabeth était maintenant son quotidien, l'histoire de femmes solidaires, dans le désespoir et l'espoir l'emmène vers une autre page de sa vie, elle fait la connaissance de Remei cette couturière, professeur de coupe dans un atelier de Badalona avait passé la frontière en camion par la côte à Portbou , l'accueil de la population de Cerbère, le premier village français après la frontière, Remei avait passé quelques mois à Argelès avec son mari Joan et ses parents avait été transférés dans un autre camp sur la plage de Saint-Cyprien . Remei était en plein travail au Marruecos ( Maroc) c'était le nom que les femmes avaient donné à la salle de l'accouchement parce que l'on y transpirait  et qu'on y souffrait beaucoup. Et puis les cavaliers maures de France ne revenaient ils pas les terroriser encore dans leurs rêves? elles avaient baptisé chacune de ses chambres du nom d'une ville espagnole , Madrid la nursery, Séville la pièce pour les enfants malades, Cordoue celle pour les femmes enceintes et aussi Barcelone, Bilbao, Santander , Saragosse , San Sebastian etc...un peu d'Espagne en terre d'exil pour leur tenir chaud au coeur. Mercedes  avait donné naissance à une petite Rosa Maria et Remei voulait y voir un bon présage, lors d'une distribution de vêtements collecté par des associations d'entraide, elle avait récupéré des pulls en laine fine, la laine détricotée, le fil lavé et rembobiné en pelote, elle avait pu ainsi confectionner une brassière rayée rose et blanc et de minuscules chaussons. Teresa ne faisait pas de travail de couture, car sa mère ne lui avait pas enseigné et disait: " L'Espagne à suffisamment de femmes habiles à tirer l'aiguille au coin du feu, maintenant ce dont elle a besoin c'est des femmes instruites, capables de prendre des responsabilités et de participer à la vie du pays, il faut construire une Espagne neuve" lui répétait sa mère en brandissant sous son nez, avec une moue de dégoût , comme s'il s'agissait d'un torchon malpropre et puant, une de ses merveilles de napperon en dentelle qu'elle confectionnait les yeux fermés. Llibertat "Liberté en Catalan" c'est le prénom que Teresa à choisi pour sa fille, Isabel resta la plume en l'air au dessus de la feuille du papier ou s'apprêtait à noter toutes les indications nécessaires pour aller déclarer cette nouvelle naissance à la mairie d'Elne; Teresa ne lui laissa pas le temps d'objecter quoi que ce fût " Et ne dites pas que ce sera un fardeau trop lourd à porter pour une petite fille! N'est ce pas au contraire le plus beau programme qu'on puisse lui proposer pour sa future vie de femme. Comment savoir à présent l'état d'esprit de son "homme" Ils s'étaient rencontré au fond d'un fossé , un tir nourri d'artillerie les avaient obligés à plonger à l'aveuglette pour se mettre à l'abri. Ce n'était qu'une fois le calme revenu qu'ils s'étaient dévisagés avec stupeur, avant d'éclater de rire, un obus avait fait exploser non loin d'eux un geyser d'argile et leurs visages étaient recouverts d'un masque rouge qui trouait seulement leurs yeux écarquillés et les dents blanches d'Andrès . Teresa avait trouvé ce sourire irrésistible! Elle n'avait guère eu de nouvelles de lui depuis son arrivée à Elne, juste un petit mot de remerciement par le biais d'un conducteur de camion pour le chocolat et la boîte de gâteaux  qu'elle lui avait fait parvenir en début d'année. Remei qui va à Argelès va lui apporter une lettre de Teresa lui annonçant la naissance de sa fille. La réponse d'Andrès lui parvint une semaine plus tard; il s'inquiétait de savoir si sa fille tétait bien, si elle prenait du poids, il approuvait sans réserve le choix de son prénom et demandait que lors de sa prochaine venue à Argelès, la señorita Isabel lui apporte les papiers nécessaires pour pouvoir reconnaître Llibertat , afin que la petite porte son  nom;  il ajoutait qu'il avait pensé un moment s'engager dans la Légion étrangère française pour continuer à se battre contre le fascisme, puisque la France était désormais en guerre contre l'Allemagne , mais bien sûr maintenant qu'il était père, il avait changé ses plans, il concluait par des mots tendres, qui firent monter des larmes dans les yeux de Teresa. Bien qu'elle voulut partir rejoindre Andrès en cherchant dans le bureau de la directrice ces papiers, elle fût dissuader car elle courrait un grand risque avec le bébé de se faire arrêter. Elle restait à la maternité et on lui avait confier la tâche d'aller chercher les courses en vélo en trainant une carriole qui servait aussi à ramener la sage femme quand un accouchement se précipitait et que la voiture était occupée ailleurs, durant le trajet en luttant contre la tramontane, elle avait dévorée des yeux le paysage, elle mit pied à terre à l'approche des premiers étals, elle venait quasiment tous les jours à Elne, elle préférait les jours du marché le vendredi, les odeurs fortes de fromage, d'épice, de morue séchée et d'anchois, les couleurs vives des fruits et des légumes , tous le monde la connaissait à présent et certains pas tous bien sûr, lui rendaient son salut et échangeaient quelques mots avec elle ,chez la souriante Maguy aux grands yeux noirs elle achetait ses légumes apprenant que sa cliente venait du château d'En Bardou , elle lui avait demandé si elle avait un enfant et depuis elle lui demandait des nouvelles de la petite Llibertat, son amabilité envers " l'Espagnole" suscitait parfois chez ses voisins du marché quelques réflexions acides , cette fille avait du cran ! et Teresa aimait çà, un vieux bonhomme bourru qui proposait ses tresses d'ail et d'oignon à deux étals de là  avait fini par lui confier entre deux longs silences que Maguy était déjà la cible de certaines critiques bien avant de l'avoir rencontrée, elle était en effet ce que l'on appelait " une fille mère " Elle avait aussi appris à cette occasion qu'il pourrait être  profitable de ne pas dévoiler sa connaissance du français, dont elle était si fière; devant une étrangère, on ne se gênait pas pour parler ! " Que voulez vous qu'elle y comprenne Elle avait ainsi pu  se tenir au courant de la débâcle française face à l'armée allemande, les habitués du marché d'Elne ne parlaient  que de la guerre et de l'exode provoqué par l'avancée  inexorable des Allemands. Le retour était toujours pénible, la carriole  pleine pesait son poids et Teresa devait appuyer de toutes ses forces sur les pédales pour ne pas rester engluée dans la boue. Une grosse voiture noire était garée devant le perron de la maternité qui semblait prise d'une effervescence inhabituelle, elle faillit se heurter à soeur Betty qui dégringolait l'escalier de pierre " Mon Dieu , mon Dieu quel honneur!" Que se passe t-il ? Le Maître est venu nous rendre visite ! Au premier abord, le petit monsieur replet aux lunettes rondes et à la calvitie, coiffée d'un chapeau mou lui disait rien; affable et attentif, il s'enquérait de la santé et de l'histoire de chacune en homme visiblement habitué à côtoyer  du monde, à évoluer en public. C'est alors que la lumière se fit dans l'esprit de Teresa Pau Casals ! le célèbre violoncelliste avait quitté l'Espagne après la promonciamiento (coup d'Etat) des militaires  mené par Franco contre la République espagnole en 1936;  refusant de jouer la moindre note de musique sous la botte fasciste . Il s'était installé juste de l'autre côté de la frontière , à Prades, au pied du Canigou qui régnait sur les plaines du Roussillon,. Depuis que la Retirada avait jeté des centaines de millions de ses compatriotes dans les camps, Pau Casals que les Catalans appelaient Pablo, se démenait pour leur venir en aide. Certaines  femmes de la maternité l'avaient sollicité au début de l'année et il leur avait envoyé de l'argent, la señorita Isabel touchée lui avait écrit pour le remercier de sa générosité, il lui avait répondu et protestait : Qu'étaient quelques billets en regard du réconfort et des soins prodigués à ses compatriotes par le personnel du Secours Suisse aux enfants ? Il promettait que, dès que son emploi du temps le lui permettrait il viendrait à la maternité manifester son soutien de vive voix. Il avait attendu début juillet, mais il était là. Et vous mon enfant d'où venez vous ?Elle se retourna surprise, le Maître lui souriait, sans même réfléchir, Teresa se mit au garde à vous, par habitude parce qu'elle ne savait plus manifester son respect autrement depuis des années, depuis qu'elle avait endossé son uniforme de milicienne, elle entendit des femmes pouffer. Pau Casals n'eut pas l'air de s'en moquer, bien au contraire, la mine grave, il se redressa de toute sa taille pour répondre à son salut militaire. Par quelle unité avez vous servi , soldat interrogea t'-il?  et ce terme que plus personne n'avait employé à son égard depuis son départ du camp embua ses yeux  Fin juillet le Maréchal Pétain était venu visiter les camps de Barcarès et de Saint-Cyprien afin de se rendre compte de la situation par lui même. Pendant cinq jours et cinq nuits , la pluie était tombée sans discontinuer, il n'y avait plus d'électricité, les ponts étaient submergés, la route et la voie ferrée coupées et en bout de course aux confins de la plaine, aux embouchures de l'Agly, de la Têt et du Tech, les plages étaient submergées . Pour une fois, elle s'était dit que la détention d'Andrès au fort du Miradou avait des avantages , il n'était pas à la merci des intempéries. Après les inondations d'octobre on avait demandé des volontaires dans les camps pour réparer les dégâts, beaucoup de soldats français étaient prisonniers en Allemagne. La brigade de travail d'Andrès était partie pour Ille sur Têt afin de remettre en état les berges de la rivière et le canal d'arrosage qu'on appelait le Ribéral . On avait averti par message que Andrès  était libre au maquis , Llibertat qui avait fêter son premier anniversaire . Alors cette sortie à Prades, avec permission officielle , Teresa se rendit chez une certaine Brigitte Salète , dont la famille tenait un café hôtel , comme si elles étaient de vieilles connaissances elle se firent une vigoureuse embrassade elle laissa son bar  à son parrain et accompagna Teresa et Llibertat vers des vignes, elle montra du doigt  un cabanon, voici le casot, vous n'avez rien à craindre, il appartient à ma famille, puis elle laissa Teresa et sa fille, elle avait cru mourir sur place, là au milieu des vignes , quand Andrès avait couru vers elles , un autre maquisard faisait le guet. Une lettre de la mairie d'Elne reçu à la maternité , la préfecture à ordonné à chaque municipalité de resencer tous les juifs présent sur le territoire de la commune et on me demande de fournir la liste des mères et des enfants qui se trouvent au château . La señora Isabel  répondit qu'elles étaient toutes reparties dans leur camp d'origine. La vie d'Hénia ne doit pas être facile, seule avec son bébé, et son mari caché dans une maison du village, il faudra penser à lui envoyer un nouveau colis de lait en poudre, heureusement qu'elle peut compter sur l'amitié de la famille Capdet, il y a de braves gens tout de même! Le rendez vous avait été fixé à minuit à l'entrée de Llupia , un village juste avant Thuir , Teresa ralentit , en approchant des premières maisons, puis se gara et éteignit les phares de l'Opel . Soudain une silhouette sortit de derrière un arbre et vint toquer à la vitre du côté passager. La señora Isabel entrouvrit la portière et elles reconnurent l'accent prononcé de Maurice Eckstein , elle sortit et buta contre Hénia qui étreignit la directrice avec reconnaissance, Monsieur Capdet, le paysan français qui cachait son mari était là aussi, les deux hommes allèrent chercher le landau où le petit Guy dormait sous la couverture qui l'avait envelopper le jour de sa circoncision , Monsieur Eckstein le souleva délicatement pour ne pas le réveiller contemplant avec intensité le visage joufflu sous ses fins cheveux blonds, comme s'il voulait imprimés dans sa mémoire l'image de ce fils, qu'il ne reverrait sans doute pas d'ici de  longues semaines, puis il déposa un baiser sur le front chaud pour qu'on ne voit pas ses larmes qui noyaient ses yeux. dans le rétroviseur elle aperçut le coeur serré , Maurice Eckstein , flanqué de son ange gardien qui repartait vers sa cachette en poussant le landau vide, la mère et l'enfant étaient désormais à l'abri. Mais tu te trompes voyons ! Ce n'est pas le chemin du château, Lili posa sa main apaisante sur celle de sa mère, assise  à ses côtés sur la banquette arrière de la voiture. Regarde , il y a les panneaux Maternité Suisse d'Elne, C'est bien ici . Ce n'est pas parce que je suis vieille et que j'ai besoin de lunettes, j'y ai quand même passé quatre ans de ma vie ! Teresa saisit la main  qu'il lui tendait et s'extirpa  péniblement de l'habitacle, Maudite vieillesse ! Ses articulations lui faisaient mal et sa hanche l'obligeait à présent à s'appuyer sur une canne; elle allait avoir quatre vingt huit printemps dans trois semaines . Teresa rajusta sur son chemisier le coeur en or et grenat , cadeau de mariage de son cher Andrès et jeta un regard curieux au travers de ce portail , c'est alors qu'elle la vit la maternité, de ce côté une aile du château  avait disparu remplacé par une grande verrière  verticale décorée d'un vitrail qui donnait sur sa piscine bleu turquoise. Un grand monsieur aux gestes amples et au large sourire vint à leur rencontre, Il se présenta : François Charpentier, maître verrier de son état et heureux propriétaire de ce château , où il avait plaisir à les accueillir en ce grand jour, Llibertat lui tendit la lettre d'invitation qu'elles avaient reçue. il y avait déjà foule aux pieds des marches et sur la terrasse circulaire devant la porte d'entrée. " Vous êtes maman Teresa" s'exclama t'-il , j'ai tellement entendu parlé  de vous , permettez moi que je vous embrasse et vous devez être la petite Lili poursuivit il , vous êtes très attendues vous savez ? il les devança, jusqu'en haut du perron où se tenait le maire d'Elne, un moustachu jovial lui même descendant d'exilés  républicains espagnols. Arrivée devant la porte vitrée , Teresa lâcha le bras de sa fille, en décembre 1939, c'était seule qu'elle avait tenu à entrer, pour la première fois dans ce bâtiment dont elle ignorait encore qu'il allait devenir sa maison pour quatre années . C'était seule à nouveau qu'elle voulait en repasser le seuil cinquante huit ans après avoir été obligée de le quitter en avril 1944, les Allemands avaient réquisitionnés , ses occupants avaient trois jours pour déguerpir ; il fallait déménager le matériel, le personnel, les femmes et les enfants dans un  nouveau lieu d'accueil en Aveyron . Elisabeth proposa à Célia et Teresa d'y partir avec elles , mais elles avaient toutes deux décliné l'invitation . Le mari de Célia était toujours en Allemagne et elle tenait à ne pas s'éloigner de l'Espagne, Teresa , elle voulait bien sûr rester à proximité d'Andrès toujours au maquis, dans les montagnes, s'est ainsi que leurs chemins se sont séparés . Mais le brouhaha des conversations, éloignait jusqu'à leurs souvenirs, elle rouvrit les yeux. Et vit Célia, sa fille Celita, plusieurs personnes encore comme  Hénia, Guitou, Juju et Sébastien Capdet qui avait aidé monsieur Eckstein et enfin Elisabeth elle était aussi menu et petite  que dans son souvenir, plus même puisqu'elle s'était tassé avec l'âge et qu'elle s'appuyait comme Teresa sur une canne, ses cheveux de neige n'étaient plus nattés en couronne autour de sa tête, mais son regard n'avait rien perdu de sa vivacité et de son intelligence elles s'étreignirent longuement. Le château d'En Bardou où été installé la maternité Suisse à été racheté le 1er juillet en 2005 par la ville d'Elne, grâce notamment à une grande souscription populaire. Le but est de poursuivre, l'œuvre d'Elisabeth Eidenbenz en y créant une auberge humanitaires pour accueillir des femmes et des enfants victimes de divers conflits qui ensanglante notre planète.